Les utilisateurs du Chemin du Roy

Quand Boiscler écrit qu’il a emprunté le chemin en chaise, il parle de la chaise de poste qui s’appellera calèche au pays. C’est un « véhicule léger, conduit par un cheval, qui peut parcourir des distances importantes ; il est résistant et circule sur à peu près n’importe quelle route… Sa banquette surélevée installée sur des ressorts accueille deux passagers tandis que le conducteur se place à l’arrière du cheval qu’il peut diriger aisément» (P. Lambert, p11). Ce véhicule à deux roues, non couvert, sert au transport public. Boiscler l’utilise et l’intendant Hocquart aussi. L’hiver, il est remplacé par la carriole, l’équivalent de la calèche monté sur des patins pour glisser sur la neige et la glace.


Les débuts du transport public

Avec l’ouverture du Chemin du Roy, on peut mettre en marche, si l’on peut dire, un transport public terrestre structuré par postes de relais. S’installe, à peu près au quinze kilomètres, là où il y a au moins un embryon de village, un relais tenu par un maître de poste. C’est lui qui assure le transport jusqu’au prochain poste (P. Lambert, p.12). Ce n’est pas le service postal proprement dit. À la saison hivernale, avec le fleuve gelé, des relais sont sur la glace. À la fin du régime français, dans les années 1750, les voyages en calèche (chaise de poste) sont utilisés par la plupart des voyageurs. Les années qui suivent la Conquête sont désorganisées au point de vue transport public. Mais dès 1767, les relais de poste sont soumis aux mêmes lois que ceux de l’Angleterre. Les maîtres de poste ont le monopole des chevaux et des véhicules pour les voyageurs. (La Gazette de Québec, 16 février 1767, cité par Lambert). On parle des courriers qui transportent «la Malle des lettres».

Une ordonnance du gouverneur Haldimand, en 1780, réglemente plus sérieusement les relais eux-mêmes et le transport du courrier et du public. On divise le chemin entre Québec et Montréal (60 lieues) en 24 puis en 29 relais où les maîtres de poste assurent aux voyageurs, à un quart d’heure d’avis, des calèches ou des carrioles. Encore à cette date, seule la route de Québec à Montréal, en y ajoutant celle de Montréal à Saint-Jean, est un véritable chemin de poste. Suivra la route de Lévis à Rivière-du-Loup, en 1786, comme première étape vers Halifax, vers le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse en rejoignant le chemin du Grand Portage et le lac Témiscouata. Le grand voyageur britannique Isaac Weld, à la fin des années 1790, vante le Chemin du Roy:

« On ne trouve point dans tout l’Amérique septentrionale de route aussi commode et aussi bien servie que celle qui conduit de Québec à Montréal. Des postes sont établis à des distances réglées. Là, des chevaux, des calèches ou des carrioles, suivant la saison, paraissent attendre le voyageur. Chaque maître de poste est tenu d’avoir chez lui quatre calèches relais, ce que l’on appelle dans le pays un aide-de-poste, qui est tenu d’avoir un nombre égal de ces voitures, et de les fournir au maître de poste, lorsque celui-ci les requiert. Au privilège exclusif de fournir des chevaux et des voitures, il n’y a d’attaché que l’obligation de servir les voyageurs dans un quart d’heure, si c’est pendant le jour, et une demi-heure si c’est la nuit. Les postillons sont obligés de courir à raison de deux lieues par heure. Le prix d’une calèche attelée d’un seul cheval est d’un shilling […] Quoique les calèches de poste soient lourdes et grossièrement construites, elles ne cahotent pas le voyageur et elles sont en tout point préférables aux diligences américaines dans lesquelles si l’on n’a pas eu la précaution de se pouvoir de coussins, on est sûr d’avoir les côtes et les bras meurtris avant d’arriver au terme de son voyage ». (Isaac Weld, p.246-247.)

Dans les premières années du XIXe siècle, montent des critiques, à commencer par celles du Britannique John Lambert, envers les calèches inconfortables (cité par P. Lambert, p14). Les relais laissent à désirer pour les attentes des véhicules; les services d’hébergement et de restauration sont aléatoires.

En 1811, on abandonne les calèches pour les services de diligences. Mais déjà circulent, depuis plusieurs années, les diligences postales.

Le service postal

Le service organisé du courrier est un besoin dans un pays de distance et de dispersion. Le courrier doit se rendre de Québec à Montréal et à la Nouvelle-Angleterre. Dans les années 1760, il y a un courrier express qui fait les 60 lieues en 30 heures, mais les besoins sont plus grands qu’un seul express (E. C. Guillet, p.21). En 1774, on augmente à deux courriers par semaine, partant de Québec les lundi et jeudi et atteignant Montréal les mercredi et samedi. Québec reçoit l’équivalent les mêmes jours (P. Lambert, p.14).

La liaison régulière vers la Nouvelle-Angleterre cesse pendant la guerre d’Indépendance des États-Unis, de 1775 à 1783. La nécessité crée l’entente : en mars 1792, est signée la convention postale pour la malle Canada-États-Unis et Angleterre. Il va falloir délaisser les messagers à cheval et transporter les sacs postaux en voiture, dans des malles-poste où les voyageurs peuvent monter. Ce sont les diligences postales, les premières diligences québécoises. En 1799, une malle-poste circule entre Québec et Montréal, une fois par semaine.

En novembre 1793, on mesure la distance des postes entre Montréal et Trois-Rivières, «par ordre de l’honorable Hugh Finlay, directeur général des postes des provinces de Québec, Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick, etc». On nomme 12 maîtres de poste. Mais revenons d’abord à l’organisation du service postal. Il concerne notre Chemin du Roy qui va changer de tracé, au début d’une façon saisonnière, puis, définitivement.

Les premières diligences

Quand, en 1792, circulent les premières voitures de transport public autres que les calèches, les anglophones les appellent stages. Le mot diligence n’est attesté que plus tard, en 1808, dans un contrat entre des marchands et un aubergiste où le conducteur doit «se munir de bonnes voitures et bons chevaux pour faire concourrire la diligence et la sûreté des voyageurs » (cité par P. Lambert, p.19).

En 1814, on peut lire « voitures diligentes vulgairement nommé [sic] ligne de stage » (cité par P. Lambert, p.19). On emploie pendant tout le XIXe siècle autant le mot stage que le mot diligence, c’est-à-dire des voitures à relais. Le mot malle-poste (mail coach), c’est-à-dire une diligence postale est plus rare, alors que pourtant les diligences transportent le courrier et les voyageurs et sont donc des malles-poste où simplement dit des malles.

Quant aux diligences d’hiver, ce sont en général des carrioles. Pour clarifier le vocabulaire, la plupart des voitures d’hiver ou d’été sont nommées diligences ou stages. Dans l’esprit des utilisateurs, au XIXe siècle, une diligence est une «voiture à étapes», qu’importe sa forme. Si l’on choisit la fonction plutôt que la forme on peut faire entrer dans la catégorie diligence « une voiture hippomobile à quatre roues (ou à patins durant l’hiver) utilisée pour le transport public selon des étapes et un horaire pré-établi » (cité par P. Lambert, p.19).

Diligence, malle-poste ou bateau à vapeur

La plupart du temps, la voiture de la poste transporte des voyageurs. Dans les années 1810, leur nombre augmentant, les compagnies de transport offrent des diligences. Dès 1815, à la saison estivale, les voyageurs préfèrent le bateau à vapeur. Les malles-poste poursuivent leur fonction toute l’année et le service de diligences sert surtout l’hiver. Le courrier, sur le Chemin du Roy, est transporté en tous temps en malle-poste. Les vapeurs «embarquent» le courrier dans les années 1840. Mais comme il existe évidemment des agglomérations qui doivent être desservies postalement entre les relais, la malle-poste circule tous les jours; des voyageurs s’ajoutent au courrier. Il ne faut pas oublier que l’été, alors que les vapeurs prennent la relève du transport public, ceux-ci négligent la plupart des villages riverains pour ne jeter l’ancre qu’à Sorel, Port-Saint-François et Trois-Rivières (P. Lambert, p.35).

L’hiver, le voyageur a le choix entre la malle-poste et la diligence régulière. L’argument de la vitesse fait pencher la balance du choix vers la malle-poste qui ne passe pas la nuit à Trois-Rivières mais qui s’arrête pourtant à la quasi trentaine de postes du trajet Québec-Montréal. On peut parcourir cette distance en 34 ou 36 heures sans le repos du lit. De plus, les tarifs sont plus bas. Mais, malgré l’arrêt nocturne de Trois-Rivières, le trajet Québec-Montréal peut se faire en deux jours. Une affiche publicitaire datée de 1851 annonce que les propriétaires offrent «un trajet en deux jours» et qu’ils ont établi une ligne de diligence qui laissera Montréal et Québec tous les jours (excepté les dimanches). Elle part à cinq heures du matin et s’arrête à Trois-Rivières. Il est intéressant d’apprendre qu’il y a des extras à toute heure.

Il faut rappeler qu’à l’âge d’or des diligences (environ 1810-1850), des changements se font jusqu’au nombre des arrêts. Ainsi, à l’époque des calèches, comme nous l’avons vu, le nombre de relais atteint une trentaine, c’est-à-dire à chaque village. Avec les diligences, le nombre est réduit à dix postes, entre Québec et Montréal : L’Ancienne-Lorette, Cap-Santé, Deschambault, Sainte-Anne, Trois-Rivières, Yamachiche, Maskinongé, Berthier, Lavaltrie, Bout-de-l’Ile. Les propriétaires se font une concurrence féroce. On en vient à distinguer la ligne rouge de Samuel Hough et la ligne verte de Michel Gauvin, parce que les propriétaires peignent leurs véhicules de ces couleurs. Les deux compagnies l’une davantage aux services des «Canadiens», l’autre des «Anglais», devant l’inanité de leur concurrence, s’associent en 1844. Il n’y a alors qu’une seule ligne de diligence d’hiver sur le Chemin du Roy. Signalons l’importance de Berthier à l’époque des deux lignes concurrentes comme à celle de la ligne unique. Berthier étant situé à mi-chemin de Montréal et Trois-Rivières, le repas de midi y est toujours servi. L’arpenteur général Joseph Bouchette rapporte plus de 20 auberges à Berthier dans les années 1820.

Un nouveau concurrent : le train

Après les années 1850, alors que le transport en bateaux à vapeur monopolise presque le transport estival, s’ajoute le rail comme autre concurrent au transport routier. En 1854, c’est l’ouverture de la voie ferrée entre Lévis et Richmond avec raccordement au Grand Tronc vers Montréal. La ligne de diligence disparaît. Seule la malle-poste transporte courrier et voyageur en toutes saisons. Le coup de grâce est donné, en 1879, avec la voie ferrée de la rive nord du fleuve, le Québec Montréal Ontario Outaouais. Il n’y a plus de malle poste entre Québec et Montréal. Ainsi, le Chemin du Roy, que ce soit le long du chenal du Nord ou dans le rang York ne connaîtra plus le transport public en voiture à cheval. Il est à peu près certain que la malle-poste a dû emprunter, la plupart du temps, sauf dans les inondations du printemps, la portion originelle entre Berthier et Maskinongé, parce que plus courte en traversant la rivière Chicot donc en suivant le rang qui porte le même nom de rang du Nord d’un village à l’autre.