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Garde à l'enfance et nouveaux arrivants

par Julie Dotsch

Ly Ly, trois ans, peut entendre le bruit en s'approchant de la pièce. Elle ne sait pas à quoi s'attendre, mais sa maman lui a dit qu'elle était assez vieille pour aller à «l'école». Une femme à l'allure étrange s'approche d'elle et lui dit quelque chose qu'elle ne comprend pas. Elle se cache le visage dans la jupe de sa mère parce que la confusion et le bruit lui font peur. Des garçons plus grands passent en trombe à côté d'elle et elle se met à pleurer. Sa mère semble très mal à l'aise et embarrassée. L'éducatrice lui dit que ce sera plus facile pour Ly Ly si elle part rapidement. La mère hésite parce qu'elle n'a jamais laissé sa fille auparavant. Elle part les larmes aux yeux pendant que Ly Ly crie, pleure et donne des coups de pied sur la porte. Quand la mère tente de revenir, on lui dit par la porte entrouverte qu'elle doit vraiment partir parce qu'elle bouleverse davantage sa fille. Ly Ly peut la voir et l'entendre. Sa mère ne reviendra peut-être jamais et elle sera prisonnière de ces personnes étranges pour toujours. Tout à coup, un autre adulte l'éloigne de la porte. Ly Ly tente frénétiquement de lui échapper, mais l'éducatrice est beaucoup trop forte pour elle. Tellement de choses ont changé dans sa vie - sa maison, ses jouets, où elle couche et même les gens avec lesquels elle vit.

Pensez à un moment de votre vie où vous avez connu beaucoup de stress. Vous sentiez-vous isolée, en colère et impuissante? Vous rapellez vous avoir eu de la difficulté à manger, à dormir, à parler et à entretenir des rapports avec les autres? Si oui, vous pouvez sans doute imaginer ce que Ly Ly ressent. La garde à l'enfance peut être une expérience traumatisante pour un enfant immigré ou réfugié qui tente de s'adapter à une culture et à une langue nouvelles en plus de souffrir une anxiété normale face à une séparation. Les effets négatifs peuvent durer toute la vie. Si seulement on avait encouragé le parent à rester; si seulement une des éducatrices avait été capable de parler un peu le vietnamien afin que Ly Ly se sente plus en sécurité; si seulement l'éducatrice avait eu une formation concernant la séparation et l'impact de l'immigration sur les enfants; si seulement...

Malheureusement, dans les faits, de nombreuses éducatrices de la petite enfance ne comprennent pas les raisons particulières qui font que les enfants immigrants ou réfugiés réagissent négativement à la garde à l'enfance. Afin de comprendre leur angoisse, les éducatrices doivent en apprendre davantage sur les antécédents de l'enfant. Il n'a peut-être jamais été séparé des membres de sa famille auparavant ou a été traumatisé dans son pays ravagé par la guerre. Rappelez-vous que ces enfants tentent encore de s'adapter à des changements majeurs dans leur vie, y compris un climat différent, une nourriture bizarre, des vêtements étranges, un foyer différent, de nouvelles routines de sommeil, des jeux inconnus et de nouvelles situations avec des groupes de pairs. Ils font aussi face à deux défis énormes : apprendre une langue étrangère et déchiffrer les règles, les limites et les attentes d'une nouvelle culture. À la maison, les parents ont peut-être peu de temps à passer avec leurs enfants parce qu'ils s'acharnent à se bâtir une nouvelle vie. Compte tenu de ces raisons et de plusieurs autres, il n'est pas surprenant que l'adaptation à l'environnement des services de garde constitue un processus difficile pour les enfants nouvellement arrivés au pays.

Les éducatrices de la petite enfance peuvent aussi avoir des idées fausses qui les empêchent d'utiliser une approche plus adaptée aux besoins de ces enfants. Par exemple, les éducatrices peuvent présumer que les enfants nouvellement arrivés apprendront le français rapidement et facilement. Toutefois, la recherche révèle que l'apprentissage d'une deuxième langue exige beaucoup de confiance en soi, un modèle à émuler approprié et un sentiment de sécurité.

Les éducatrices doivent reconnaître qu'il n'est pas facile de s'adapter à une nouvelle culture. Les enfants ne pleurent pas parce qu'ils essaient d'attirer l'attention ou parce qu'ils sont gâtés, mais plutôt parce qu'ils ont peur. En outre, les éducatrices ne doivent pas douter des capacités parentales des nouveaux arrivants. Il existe bien des façons d'élever un enfant. Les éducatrices doivent respecter la richesse de la culture et des traditions familiales des parents.

Quand un enfant nouvellement arrivé s'inscrit à la garderie, il est très important que le même membre de la famille reste avec lui. La durée varie selon l'âge de l'enfant, l'ampleur du traumatisme, l'expérience antérieure dans les services de garde et s'il a ou non un frère, une soeur ou une amie bien connue dans la pièce. Toutefois, la présence d'un membre de la famille est nécessaire pour plusieurs raisons pendant la période de transition, même si l'enfant se sent en sécurité et a déjà fait l'expérience de la garderie.

Avantages pour l'enfant

Avantages pour les parents

Avantages pour l'éducatrice

Comme superviseure de la prématernelle de la Maison d'accueil de l'Ontario à Toronto, j'ai exigé que les parents restent avec leurs enfants quand ils les inscrivent à notre garderie. À l'arrivée, le parent enlève son manteau pour que l'enfant constate qu'il restera. Ensuite, ce dernier s'asseoit et on l'encourage à participer à un jeu ou à tenir l'enfant, selon le niveau d'anxiété de l'enfant. On invite alors le parent à parler dans sa langue maternelle afin que l'enfant se sente plus à l'aise dans son nouveau milieu.

Après quelques jours, il se peut que le parent et l'enfant soient prêts à tenter une séparation de quinze minutes. L'enfant est peut-être capable de jouer sans rechercher le parent et disposé à ce qu'un autre adulte familier interagisse avec lui sans éprouver trop de peur. À ce stade, le parent peut parler dans sa langue pour lui expliquer qu'il partira. C'est une bonne idée pour le parent que de laisser un de ses effets personnels avec l'enfant, par exemple un foulard ou un mouchoir (pas de bonbon ou de gomme). Si nous avons mal évalué la situation, l'enfant pourrait être plus bouleversé que prévu. Si c'est le cas, il faut faire revenir immédiatement le parent et essayer de rebâtir encore le niveau de confiance. Naturellement, ce sera beaucoup plus difficile cette fois parce que l'enfant a vécu une expérience traumatisante.

Vous pouvez faire beaucoup de choses pour aider un enfant nouvellement arrivé à composer avec la séparation. Les éducatrices de la petite enfance peuvent, entre autres :

Une fois que l'enfant se sent plus en sécurité, l'éducatrice doit commencer à l'encourager à devenir plus autonome tout en étant sensible à son besoin réel de réconfort. Au début, l'enfant peut avoir besoin d'observer les autres afin d'apprendre comment entrer dans le jeu et établir un rapport avec les autres enfants. L'enfant aura aussi besoin de constater que la nouvelle langue, bien que frustrante, peut être amusante et très utile. À ce moment, vous constaterez peut-être des comportements déconcertants ou nouveaux pour vous. Si vous avez l'esprit ouvert et une attitude positive, vous pourrez comprendre et accepter ces réactions particulières.

Chaque membre de la famille d'un enfant peut se révéler une source précieuse d'information. Les membres de la famille peuvent nous faire connaître l'enfant dans sa globalité en fournissant de l'information générale sur ses peurs, ce qu'il aime et n'aime pas et sur ses traumatismes passés. Ils peuvent aussi décrire leurs valeurs, leurs pratiques et leurs objectifs en matière de parentage. En élargissant le foyer de l'enfant afin qu'il fasse partie de la garderie et vice versa, le monde de l'enfant deviendra plus cohésif et continu.

En tant qu'éducatrices, nous pouvons appuyer un parentage positif et offrir des mots d'encouragement aux familles. Nous pouvons demander aux parents de nous aider à élaborer un programme pour les enfants afin que leurs objectifs et besoins contribuent à définir le travail que nous faisons. Nous pouvons apprendre à connaître les parents -- un soutien professionnel amical aide souvent les parents à effectuer les changements au besoin. Nous devons aussi être facilement accessibles aux parents. Si une éducatrice se voit assigner la tâche de personne-ressource au moment de l'arrivée et du départ de l'enfant, les parents pourront discuter avec elle de tout problème dès qu'il survient. Essayez de faire en sorte que l'éducatrice puisse participer pleinement à une conversation avec les parents sans avoir à surveiller des enfants en même temps. Une attention complète fait une grande différence dans la qualité de la relation parent-éducatrice.

Toutes ces suggestions doivent être appliquées dans le cadre d'un environnement destiné à l'éducation de la petite enfance de grande qualité et sans préjugés. Il y a de nombreuses façons d'en apprendre davantage sur les principes d'un comportement sans préjugés. Vous pouvez commencer par découvrir ce qui existe dans votre communauté : ressources, cours de français langue seconde, les organismes ethniques et d'autres services. Participez à des ateliers et à des cours. Lisez certains excellents ouvrages produits sur les programmes sans préjugés concernant l'éducation de la petite enfance. Essayez de créer vos propres ressources et partagez avec d'autres. Considérez aussi la possibilité de vous joindre au Early Childhood Diversity Network of Canada ou à un groupe local semblable afin de pouvoir contribuer à l'amélioration des programmes destinés à l'éducation de la petite enfance.

Comme superviseure de la prématernelle de la Maison d'accueil de l'Ontario, ministère de la Citoyenneté, Julie Dotsch travaille depuis vingt ans auprès des enfants d'âge préscolaire et de leurs familles nouvellement arrivés au Canada. Elle anime des ateliers, rédige des articles, analyse les politiques et agit comme consultante et animatrice sur ce sujet. Elle a aussi reçu le " 1994 Significant Educator of the Year Award " du Conseil canadien pour l'éducation multiculturelle et interculturelle. Pour de plus amples informations sur les ressources ou pour recevoir une copie de l'article de Julie sur les différents stades de l'adaptation et de l'acquisition du langage (en anglais), appelez-la au (416) 314-6735.


Early Childhood Diversity Network Canada (ECDNC)

QUI sommes-nous? Le ECDNC est formé d'un groupe d'éducatrices de la petite enfance, de membres du personnel de garderies communautaires, de chargées de cours en formation des éducatrices, d'enseignantes au primaire et d'autres personnes de partout au Canada. Le groupe partage un engagement commun vis-à- vis de l'éducation des jeunes enfants offerte par le biais de programmes de qualité respectueux de la culture, dénués de racisme et de préjugés.

QUE faisons-nous? Nos objectifs consistent à :

COMMENT? Des projets sont en voie de réalisation à l'échelle nationale, provinciale, régionale et communautaire. Ils mettent l'accent sur la formation des éducatrices, la recherche, l'élaboration de programmes d'études, l'aide en matière de publication, l'évaluation des outils et des méthodes didactiques, la promotion sociale, l'élaboration de politiques et l'éducation publique.

Êtes-vous INTÉRESSÉE? La participation et l'engagement à l'échelle communautaire sont essentiels à l'avancement du ECDNC. Pour communiquer avec le ECDNC, prière d'écrire au Ontario Welcome House Nursery, 132 St. Patrick Street, Toronto, Ontario M5T 1V1, Attention: Julie Dotsch ou composez le (416) 314-6735.


Cet article a paru dans Interaction (été 1994),
publié par la Fédération canadienne des services de garde à l'enfance.
Affiché par la Fédération canadienne des services de garde à l'enfance.


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