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Au cours de l'Année internationale de la famille, Alan Mirabelli, directeur des communications à l'Institut Vanier de la famille, s'est entretenu avec des parents et des groupes communautaires partout au pays. Voici des extraits de ce qu'il leur a dit au sujet des familles, des communautés et de la télévision.

Irréalité virtuelle : la télévision, les familles et les communautés des années 90
par Alan Mirabelli

Lorsque la télévision est apparue dans les années 50, elle a été très vite acceptée comme une nouvelle invitée dans nos foyers. Au Canada, aux États-Unis et partout en Europe, adultes et enfants ont commencé à regarder la télévision trois heures par jour. Quarante ans plus tard, rien n'a changé. Nous continuons à regarder la télé trois heures par jour, sept jours par semaine, même si une partie de ce temps est maintenant consacrée aux vidéocassettes et aux jeux vidéo. Notre utilisation de la télévision a changé considérablement à mesure que nos familles et nos communautés se sont transformées.

La nouvelle invitée est là

Au départ, nous considérions la télévision comme un moyen d'expérimenter des choses que nous ne pourrions normalement pas vivre. Nous avons regardé le drame de l'assassinat de Kennedy et l'atterrissage sur la lune. De la même façon, nous recevions des événements culturels dans notre salon. Nous avons aussi considéré la télévision comme un outil enrichissant.

Regarder la télévision était aussi une activité familiale. Le poste de télévision, qui permettait d'accéder qu'à quelques canaux, était placé dans la salle familiale et le fait de regarder un programme particulier le dimanche soir constituait un événement spécial qu'il fallait négocier avec les membres de la famille.

Aujourd'hui, nous utilisons rarement ce média pour stimuler la discussion. Au lieu de cela, nous avons tendance à nous isoler. Nous avons une télévision dans la chambre à coucher où un membre de la famille s'installe. Il y en a une autre à la cuisine pour accommoder une autre personne. Tout le monde à un choix et la programmation vise divers groupes. Les adolescents regardent des programmes correspondant davantage à leurs goûts et les personnes âgées font de même. Lorsque les membres de la famille se réunissent, ils ne peuvent plus discuter d'expériences communes compte tenu de ce qu'ils ont vu à la télévision.

Laisse-moi regarder les nouvelles d'abord!

On note un autre phénomène dans les familles relié à la manière dont elles utilisent la télévision et la façon dont cette dernière influe sur le temps familial. Le média de la télévision transmet son message à un moment précis. Si on vous interrompt vous le manquez. En ce sens, c'est différent de la lecture. En d'autres mots, si votre enfant vient vous voir et vous dit : «Je voudrais te parler de quelque chose qui s'est passé aujourd'hui», il y a des chances que vous lui répondiez «Shh, attends une minute, je regarde les nouvelles.» De pareilles situations surviennent aussi entre conjoints ou avec d'autres membres de la famille.

Avant l'apparition de la télévision, vous pouviez aller au café du coin ou au cinéma du quartier si vous vous sentiez seul. Si vous vous absentiez du foyer pendant plusieurs soirées au cours d'une semaine, la personne qui y demeurait commençait à se rendre compte que quelque chose n'allait pas parce que la separation physique -- la solitude -- était éloquente.

Aujourd'hui, cependant, la télévision nous sépare. Le fait de s'asseoir sur le même canapé à regarder le petit écran nous donne l'impression que nous sommes ensemble. Cependant, tout le processus de l'engagement humain est peut-être subordonné au fait que nous avons choisi de regarder trois heures de télévision ininterrompues pendant la soirée.

Ce n'est pas la faute du média, mais de la façon dont nous avons choisi de l'utiliser, en tant qu'êtres humains, pour nous débarrasser de l'aspect compliqué de notre vie : l'interaction.

La télévision comme outil de socialisation des enfants

L'interaction est essentielle à la socialisation des enfants. Étant donné que les changements survenus dans notre vie familiale et communautaire ont largement diminué la diversité des expériences et des interactions des enfants, la télévision est devenue, par défaut, le principal instrument de socialisation de nos enfants.

Cette situation est due au manque de temps qui est le lot de la plupart des familles. Vu que la majorité des parents travaillent à l'extérieur du foyer, nous avons tendance à vivre notre vie familiale entre 17 h 30 et 19 h 30, l'heure à laquelle nous commençons à mettre les enfants au lit. La plupart des membres adultes de la famille passent de 40 à 50 heures par semaine au travail, dorment pendant 56 heures et consacrent 30 heures aux travaux domestiques et aux soins personnels. Ajoutez à cela les 21 heures par semaine que passe en moyenne une personne devant la télé et il ne reste pas grand temps pour les activités communautaires et familiales. Entre l'école, les devoirs et le dodo, le temps dont dispose les enfants est à peu près le même que celui des adultes et ils passent aussi 21 heures devant le petit écran.

Il en résulte que tous les types d'activités familiales et communautaires en pâtissent. La socialisation des enfants qui intervient dans le cadre d'autres activités diminue à mesure que le temps disponible rétrécit.

Les activités différentes que font les enfants se passent rarement dans des groupes et des situations diverses. Un nombre croissant de Canadiens et de Canadiennes ont cherché refuge dans les banlieues où les habitants de la communauté ont une situation économique, un niveau de scolarité et des intérêts professionnels similaires.

Les enfants sont davantage isolés quand on les regroupe par âge, par sexe et par intérêt à l'école et dans le cadre d'autres activités organisées. Le groupe affinitaire exerce une influence prédominante sur leur vie. La communauté et la famille jouent un rôle très limité dans la socialisation des enfants.

Contrairement à ce qui se passe dans beaucoup de cultures où les enfants participent à la vie communautaire dominante, nous «privatisons» les enfants en Amérique du Nord. Si les gens interviennent dans l'éducation de nos enfants, nous avons tendance à leur dire de se mêler de leurs affaires. Parallèlement, nous évitons d'intervenir dans les affaires des autres par crainte de la réaction de l'enfant ou du parent.

Si les enfants ne participant pas à la vie communautaire, ni ne rencontrent ou n'interagissent avec différentes personnes, comment peuvent-ils savoir comment ça se passe ailleurs? Comment apprennent-ils ce que c'est que d'être jeune parent avec un poupon? Comment peuvent-ils comprendre ce que c'est que de se sentir frêle et d'avoir à demander de l'aide aux autres? Comment peuvent-ils déterminer la façon dont ils se comporteraient plus tard dans une pareille situation.

Les enfants doivent s'appuyer sur des modèles quelque part. Aujourd'hui, ils sont susceptibles de voir ces modèles à la télévision -- par défaut -- parce que c'est là qu'ils passent le plus clair de leur temps libre. C'est aussi le seul endroit où ils entrent en contact avec la diversité. Cependant, l'apprentissage télévisuel demeure limité. La télévision permet de connaître beaucoup de choses, mais une compréhension réelle provient de l'expérience vécue et de la réflexion sur la signification de ces expériences.

L'expérience virtuelle c. l'expérience réelle
Le fait de nous tenir à l'écart des activités communautaires donne à la télévision tout son pouvoir parce que les enfants décident de ce qui est réel et de ce qui ne l'est pas en se basant sur l'expérience qu'ils apportent devant la télévision. Par exemple, s'ils sont témoins de conflits entre leurs parents, ils sont susceptibles de savoir que les gens se sentent frustrés de temps à autre, qu'il y a des limites à l'expression de cette frustration et que l'amour et l'affection suivent habituellement la résolution d'un conflit.

Si les enfants ont des parents qui ne se disputent jamais devant eux, ils peuvent toujours faire face à des situations conflictuelles dans leur vie quotidienne, par exemple, dans la rue, à l'épicerie ou dans la communauté. Ils apprennent ainsi qu'il y a d'autres façons de résoudre les conflits et qu'il existe des limites à l'expression de la colère.

Les enfants qui n'ont pas d'expériences vécues pourraient tirer leur modèle de «programmes d'actions» à la télévision. Au petit écran, la violence physique est le mode prédominant de résolution de conflit. En l'absence d'expériences vécues, les enfants vont certainement être indûment influencés par de tels modèles de comportement.

D'autre part, les enfants ayant une expérience plus diversifiée peuvent reconnaître que certains programmes de télévision relèvent de la fantaisie et que dans la vraie vie ils ne peuvent pas se comporter ainsi.

Attention à l'isolement

Notre retrait de la communauté et notre utilisation du média influent aussi sur notre perception du monde qui nous entoure. Après une journée longue et ardue, nous sommes prêts à retourner dans notre foyer, à fermer notre porte à clé, et à mettre les trois verrous de sûreté et la télévision en marche pour voir ce qui se passe dans le monde extérieur.

Quelque chose se passe quand vous agissez ainsi. Vous pouvez obtenir de l'information sur votre communauté en regardant la télévision, mais vous ne pouvez réellement pas «savoir» ce qui se passe à moins d'y faire un tour.

La question devient vitale lorsque nous examinons la violence montrée à la télévision. Les nouvelles télévisées ont tendance à mettre l'accent sur les situations les plus violentes qui se produisent dans la communauté. Cette violence peut représenter une infime portion de la vie communautaire. Cependant, si vous vous asseyez à la maison trois heures durant tous les soirs pour regarder les nouvelles et la violence dramatisée, vous commencez à percevoir le monde sous un aspect beaucoup plus violent qu'il ne l'est en réalité. Peu importe que ce soit à Détroit, à Montréal ou à Toronto -- la télévision renforce la perception que la société ou la communauté dans laquelle vous vivez est beaucoup plus violente qu'elle ne l'est en réalité.

Cette situation peut entraîner un plus grand sentiment d'insécurité et de crainte, particulièrement si vous faites partie d'un des groupes souvent présentés comme victimes. Les persomes âgées du Canada, par exemple, pourraient sentir la nécessité de prendre une foule de précautions inutiles pour se protéger.

La perception voulant que la communauté soit un milieu violent nous pousse à réduire notre participation aux activités communautaires. Nous nous enfermons pour regarder les nouvelles locales soir après soir. Les nouvelles confirment le sentiment que les rues ne sont pas sécuritaires. Alors, nous nous isolons encore plus au lieu de nous rendre compte que nous sommes vulnérables parce que nous ne participons pas à la vie publique -- parce que nous ne nous connaissons pas et que nous ne voulons rien savoir les uns des autres.

Un enfant est vulnérable lorsqu'il n'y a personne d'autre dans la rue qui le connaît, qui sait où il habite et qui sont ses voisins. Si un étranger s'approche d'un enfant dans une communauté solidaire et participative, tout le monde sait qu'il s'agit d'une personne qui n'habite pas le quartier et l'enfant est protégé.

Résultats de recherches sur la télévision
Le débat sur les conséquences négatives de la télévision remonte presque aussi loin que l'invention de la télévision elle-même -- particulièrement en ce qui touche les jeunes téléspectateurs amateurs d'émissions violentes. Ce débat se poursuit encore aujourd'hui. Tandis qu'un nombre de chercheurs soutiennent qu'on ne peut pas prouver l'existence de liens causals directs, diverses recherches citées dans La violence dans les médias : ses effets sur les enfants (1993, Centre national d'information sur la violence dans la famille, Santé Canada) indiquent ce qui suit :
 Il existe une corrélation entre le fait d'être exposé à la violence télévisuelle et le comportement agressif (verbal et physique);

 Les enfants qui regardent beaucoup de violence à la télévision tolèrent davantage les comportements agressifs chez les autres enfants avant de demander de l'aide auprès d'un adulte;

 Les personnes qui regardent beaucoup la télévision ont tendance à être plus craintives que les autres;

 Les enfants âgées de 6 à 10 ans peuvent être particutièrement sensibles aux effets de la télévision;

 Les enfants ont un comportement plus agressif lorsqu'on leur donne des jouets utilisés dans des scènes de violence à la télévision;

 Les enfants âgées d'environ trois ans imiteront un modèle vu à la télévision comme s'il s'agissait d'un modèle de la vraie vie;

 La télévision peut rendre les téléspectateurs insensibles à la violence;

 Les adultes peuvent influer de façon significative sur ce que les enfants apprennent à la télévision.

Le CRTC et le Comité permanent sur les communications et la culture affirment que même si les résultats des recherches ne sont pas concluants, les preuves à l'effet que la télévision contribue à la violence dans la société sont assez convaincantes pour qu'on prenne des mesures pour la réduire dans la programmation, particulièrement celle destinée aux enfants.

La télévision est là pour rester

La télévision peut faire partie d'un cycle d'isolement individuel et familial, mais le média en soi ne peut pas être blâmé. Ce que nous voyons à la télévision -- le contenu -- ne représente qu'une partie du problème. Ce qui pose problème, c'est la façon dont nous avons tendance à utiliser la télévision dans notre vie quotidienne pour réaffirmer notre isolement et éviter l'interaction. Cette façon d'utiliser la télévision peut priver certains d'entre nous d'une expérience adéquate de la vraie vie qui nous permettrait d'interpréter et d'évaluer ce que nous voyons à la télévision.

Il nous appartient de choisir la façon dont nous utilisons la télévision et le temps que nous y consacrons. En tant qu'individus, nous pouvons exercer ce choix judicieusement aussi bien pour nous-mêmes que pour nos enfants. Nous pouvons guider nos enfants vers d'autres activités.

En tant que société, nous pouvons reconnaître l'influence de la télévision dans la socialisation de nos enfants et prendre des mesures pour nous assurer que nous leur offrons la programmation qu'ils méritent.


Alan Mirabelli est directeur des communications à l'institut Vanier de la famille.


Cet article a paru dans Transition (mars 1995) publié par l'Institut Vanier de la famille.

Affiché par l' Institut Vanier de la famille, septembre 1996.


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