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Prévenir les troubles alimentaires

par Niva Piran, Ph.D., C.Psych., Professeure agrégée, Department of Applied Psychology, Ontario Institute for Studies in Education

La prévention des troubles alimentaires est non seulement parsemée d'embûches, elle comporte aussi des risques et elle s'est rarement avérée efficace. Certains en questionnent même le bien-fondé. Mais peut-on demeurer inactif? Évidemment non, si on considère que ces troubles se situent dans l'axe d'une progression, que le traitement des cas établis n'est pas un moyen de contrôle efficace et que la fréquence des cas cliniques et subcliniques demeure élevée. Ainsi, une étude auprès d'étudiantes d'université révèle que parmi celles répondant aux critères d'un trouble alimentaire aucune n'a cherché à obtenir de l'aide. En plus, les étudiantes entre 18 et 21 ans, qui présentent certains symptômes de boulimie, souffrent de leur condition, tant socialement que psychologiquement, même si elles ne satisfont par à tous les critères de diagnostic.1 Nous devons donc attaquer la prévention de front, tout en demeurant conscients des défis qu'elle présente.

Svelte à tout prix
Nos modèles culturels sanctionnent des comportements reliés aux troubles alimentaires : privation, régime et même purge occasionnelle. Ils sont difficiles à combattre.

Notre culture prône des attitudes qui favorisent les troubles alimentaires. Ainsi, l'accent mis sur la minceur au détriment de la santé peut se révéler dévastateur pour des jeunes en pleine croissance. On tolère aussi fort mal les changements qui surviennent chez la femme lors des menstruations telle la rétention d'eau ou durant la grossesse. Avec de telles attitudes, pouvons-nous espérer que les adolescentes acceptent les transformations qui sont le lot de la puberté?

Savoir s'estimer
Les troubles alimentaires s'accompagnent d'un manque de valorisation personnelle. Comment les adolescentes réagissent-elles face au statut inférieur des femmes dans leur milieu ou au rôle secondaire que jouent souvent leurs mères dans leurs relations personnelles? Des recherches au Stone Center à Boston2 démontrent que, vers l'âge de 11 et 12 ans, les filles refoulent plusieurs aspects de leur personnalité, souffrent d'incertitude quant à leur identité, leurs attitudes, leurs valeurs et leurs opinions et manifestent peu d'estime à l'égard d'elles-mêmes.

La responsabilité parentale
Les programmes de prévention en milieu scolaire mettent souvent de grandes responsabilités sur les épaules des enfants et trop peu du fardeau sur celles des parents. Même des programmes élaborés n'offrent pas de documentation à l'intention des parents. Il est légitime de se demander si dans notre société, les adultes sont aptes à prendre en main leur responsabilité à l'égard du bien-être de leurs enfants. Nous vivons dans un monde qui pratique la politique de l'autruche. Ainsi, une étude prospective que nous menions auprès de filles de 11 ans dans une école bourgeoise de Toronto a révélé que 44 % d'entre elles suivaient un régime amaigrissant.3 Cela, avec l'appui du milieu, peut se traduire rapidement en habitudes alimentaires désordonnées. Toutefois, peu de parents sont venus assister à une causerie que mes collègues et moi donnions sur ce sujet.

Améliorer la prévention
Plusieurs approches créatives de prévention ont été mises de l'avant au Canada, aux États-Unis et en Europe sans que leurs résultats aient été évalués (Tableau). Mon examen sommaire des programmes de prévention destinés aux enfants d'âge scolaire indique que les stratégies éprouvées en matière de prévention du tabac et de l'abus de drogues n'y ont pas trouvé écho. Ces programmes mettent davantage l'accent sur les conséquences à long terme plutôt que sur les bénéfices immédiats qui sont plus tangibles et importants pour l'adolescent. La documentation est imprégnée de valeurs et d'attitudes potentiellement destructrices, particulièrement pour des jeunes filles. Par exemple, certains textes donnent des tableaux de taille et de poids moyens, d'autres signalent que les filles seraient plus sensibles que les garçons et que les garçons devraient aider les filles. Deux études de cas sur l'efficacité de ces programmes notent un changement au niveau des connaissances mais non au niveau des comportements.4

Sans modèle développemental des troubles alimentaires, la prévention s'avère difficile puisqu'on ne peut identifier tous les facteurs de risque pertinents et agir sur chacun d'eux.

Risques associés à la prévention
Puisque les adolescentes sont très soucieuses de leur corps et de leur apparence, toute intervention touchant ces aspects n'est pas sans risque. Les résultats négatifs peuvent se manifester par une augmentation d'anxiété ou de dépression, un manque de confiance, une intensification des efforts de perte de poids ou l'établissement d'un climat de rejet par les pairs.

De plus, même si la privation a son poids psychologique, elle peut faciliter l'intégration sociale de l'adolescente puisqu'elle se conforme ainsi aux normes courantes en matière de poids et de régime. C'est être «branché» que de se préoccuper de son poids! Même si 25 % du stress psychologique éprouvé par des étudiantes d'université est relié à des préoccupations pondérales, une étude communautaire démontre que ces dernières expliquent moins bien le stress au niveau de l'ajustement social.1 Qu'une adolescente dépasse le poids moyen ou acceptable pour ses pairs peut entraver son acceptation par le groupe.

Changer le milieu
Si la solution en matière de prévention des troubles alimentaires demeure inconnue, nous possédons tout de même quelques indices. D'abord, son succès repose sur l'appui du cadre social. Pourquoi la prévention du tabagisme a-t-elle connu un plus grand succès que celle de l'alcoolisme? Parce que boire est accepté dans notre société : un message contradictoire pour nos jeunes. Par contre, moins d'adolescents commencent aujourd'hui à fumer. Même si certains attribuent le succès de la campagne antitabac à son approche sophistiquée, son effet n'a commencé à se faire sentir que le jour où fumer est devenu démodé.

Les enfants doivent se sentir entourés par un milieu qui cherche à changer autant qu'eux. Il importe de travailler avec le système tout en le modifiant. Qui choisit-on pour représenter l'école, qui sont les étudiantes-modèles? L'approbation que reçoivent les jeunes des modèles à émuler est primordiale. Un autre élément se trouve dans le curriculum : y présente-t-on héroïnes, quelles attitudes négatives véhicule-t-on?

Un succès en matière de prévention a été enregistré dans un milieu à risque : l'École nationale de ballet de Toronto.5 Le régime était auparavant la norme, il est maintenant défendu avant l'âge de 16 ans, lorsque la croissance est terminée. Les étudiantes sentent qu'elles ont le choix de refuser de suivre un régime, malgré l'insistance de leurs professeurs, parce qu'elles ont l'appui de la direction de l'école.

Cibler les adultes
Pour mettre en oeuvre un programme, il faut changer les adultes présents auprès des enfants. Il faut donc travailler de concert avec enseignants et parents pour examiner leurs préjugés concernant l'apparence et le poids idéal, et les aviser des risques que peuvent comporter les régimes amaigrissants, particulièrement chez les adolescentes. Les membres de la famille peuvent atténuer ou renforcer les facteurs sociaux négatifs. Ils peuvent être inconscients de l'impact des commentaires désobligeants sur le développement des troubles alimentaires. Une étude a démontré que les taquineries d'un parent reliées à l'apparence corporelle d'un enfant, avaient un impact plus négatif que les blagues des pairs.3

Les meilleures stratégies
Pour marquer des points, les programmes de prévention doivent être réfléchis et suivis. Les stratégies qui ont connu du succès auprès des jeunes en matière de prévention antitabac et antidrogues pourraient être utiles, notamment celles qui se fondent sur l'appui des pairs et sur la projection d'une image endossée par le groupe.

Les adolescentes se soucient énormément de leur apparence. Leur souligner que le régime amaigrissant entrepris aujourd'hui risque d'affecter plus tard leurs poids et proportions corporelles, aura sans doute plus d'effet que le spectre de l'infertilité ou de l'ostéoporose. Les intervenants doivent donc discuter des conséquences à court terme plutôt qu'à long terme. Une autre approche serait de mettre l'accent sur la vitalité plutôt que sur l'apparence.

Les jeunes doivent être appuyées dans la recherche d'une contre-culture qui favoriserait l'appui mutuel. Elles ont besoin de conseils et de savoir qu'elles peuvent s'adresser à un intervenant responsable. Les programmes doivent inclure un suivi continu car une initiative d'un mois s'avérera insuffisante. Des programmes conçus pour les groupes d'âge visés devraient se tenir annuellement.

Parfaire nos connaissances
Nous avons besoin de recherches portant sur la prévention des troubles alimentaires et tout particulièrement de données prospectives. Les données cliniques supportant difficilement les généralisations au niveau des populations, il faut accroître le nombre d'enquêtes communautaires. Nous devons examiner plus à fond la situation des plus jeunes. Certaines recherches ont déjà révélé d'importants ensembles de facteurs qui pourraient mener à des troubles alimentaires chez les filles prépubescentes. Nous devons aussi être plus à l'écoute de la culture et des pressions que subissent les adolescentes. La santé de nos enfants l'exige.

Programmes de prévention destinés aux enfants d'âge scolaire

A 5-Day Lesson Plan Book on Eating Disorders: Grades 7 - 12
Levine MP, Hill L (1991)
National Anorexic Society of Harding Hospital
1925 Dublin Granville Road
Columbus, Ohio
USA 43229
(614) 436-1112

Teacher's Resource Kit:
A Teacher's Lesson Plan Kit for the Prevention of Eating Disorders
Rice C (1989)
National Eating Disorder Information Centre
200 Elizabeth Street, CW 1-380
Toronto, ON M5G 2C4M
(416) 340-4156

How Schools Can Help Combat Student Eating Disorders
Levine MP (1987)
National Education Association
Professional Library
1201 - 16th Street N.W.
Washington, DC
USA 20036
(202) 833-4000

Un plan d'études pour la prévention de l'anorexie nerveuse et la boulimie
Carney B (1986)
Bulimia Anorexia Nervosa Association
c/o University of Windsor
Faculty of Human Kinetics
401 Sunset Avenue
Windsor, ON N9B 3P4
(519) 253-4232 Ext: 3063 or 2429

The Perfect Fit: A Healthy Lifestyle Resource for Teenagers
(1986)
National Resource Centre
YWCA of Canada
80 Gerrard Street East
Toronto, ON M5G 1G6
(416) 593-9886

RÉFÉRENCES

  1. Casteels-Reis T, Piran N: Life Adjustment of Subclinical Bulimics. Presented at the Fifth International Conference on Eating Disorders, New York, April 1992

  2. Gilligan C: In a Different Voice. Harvard U Pr, Cambridge, Mass, 1982

  3. Phillips S, Piran N: Factors Affecting Negative Body Image and Eating Attitudes in Preadolescent Females. Presented at the Fifth International Conference on Eating Disorders, New York, April 1992

  4. Rosen JC: Prevention of eating disorders. National Anorexic Aid Society Newletter, Columbus, Ohio, 1989; Apr-June: 1-3

  5. Piran N: Can a Subculture Change? A Trial Prevention in a High Risk Setting. Scientific Plenary Session, Fifth International Conference on Eating Disorders, New York, April 1992


Cet article a paru dans RAPPORT, Volume 8, No. 1, hiver 1993, publié par l'Institut national de la nutrition.

Affiché par : l'Institut national de la nutrition, September 1996.


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