Retour à l'index

Les parents collaborent avec le personnel à l'inclusion d'un enfant qui accuse un retard de développement

par Donna Michal

Pendant des années j'ai suivi le cheminement d'une famille et d'une équipe qui ont relevé les nombreux défis que posait l'intégration d'un enfant accusant un retard de développement dans un programme destiné à la petite enfance. Je voudrais vous faire part de leur histoire.

Lorsque j'ai rencontré Gloria, elle était parfaitement satisfaite des arrangements qu'elle avait pris pour la garde de sa fille Stéphanie, une charmante et ravissante enfant de 10 mois, aux yeux bruns et à la chevelure abondante et bouclée, qui accusait un retard de développement. Gloria reconduisait Stéphanie trois fois par semaine chez une responsable de garde en milieu familial des environs.

Dix-huit mois plus tard, je recevais un appel de Gloria en état de panique. La personne chargée de la garde de Stéphanie avait pris la décision de quitter la province. L'agence de garde n'avait pas de place disponible dans une autre famille des environs -- mais elle avait recommandé une garderie dans la localité. Gloria voulait être sûre que Stéphanie pourrait se développer dans une garderie. Le personnel accorderait-il une attention particulière à Stéphanie, qui, contrairement aux autres enfants de deux ans, n'avait pas encore commencé à marcher? Qui l'aiderait à s'exprimer? Comment savoir quel genre de nourriture elle absorberait au jour le jour? Gloria n'en finissait pas de s'interroger. Accompagnée de son mari Jack, elle s'est rendue plusieurs fois à la garderie et, après avoir pris le temps de s'entretenir avec la directrice, a finalement décidé d'y inscrire son enfant.

Au cours des trois années qui ont suivi, je suis restée en contact avec Stéphanie, ses parents et le personnel de la garderie. J'ai entendu parler des heures joyeuses où Stéphanie se rendait à des fêtes d'anniversaire avec ses camarades, où elle apprenait à aller à bicyclette et commençait à parler. J'ai aussi entendu parler des heures sombres où des problèmes de communication ont érigé des barrières entre les parents et le personnel et où Stéphanie ne réussissait pas s'intégrer aux jeux des autres enfants, et de tous ces longs mois au cours desquels l'apprentissage de la propreté semblait un objectif impossible à atteindre.

En dépit de ces difficultés de parcours, Gloria et Jack n'ont jamais remis en cause leur décision de collaborer avec le personnel et d'offrir à Stéphanie la possibilité de bien vivre sa prime enfance. Lorsque j'ai demandé à Gloria et au personnel de la garderie de me dire comment ils ont réussi à «inclure» Stéphanie dans le programme de la garderie, les cinq éléments suivants se sont très nettement dessinés :

1. Il faut s'assurer que le programme est fondé sur des pratiques saines et adaptées à la petite enfance.

Par exemple, le personnel observe-t-il le comportement des enfants et tient-il un registre des intérêts de chaque enfant, de ses réalisations et de ses possibilités de croissance? Si les membres du personnel prennent note de leurs observations et planifient des activités en conséquence, elles seront prêtes à le faire avec un enfant qui accuse un retard de développement. Même si ces observations, dans un cas comme celui de Stéphanie, doivent être plus détaillées (p. ex., enregistrer ses premiers balbutiements pour la gouverne de l'orthophoniste), les membres du personnel n'auront pas de mal à s'ajuster puisqu'elles seront déjà familiarisées avec l'élaboration d'un programme fondé sur l'observation des capacités et des aptitudes individuelles. À un certain moment, Gloria et Jack se sont aperçus que les repas posaient un problème à Stéphanie. Le personnel avait observé que Stéphanie avait de la difficulté à manger des aliments avec les doigts. Une série d'expériences pour donner à Stéphanie l'occasion de s'exercer à ramasser de petits objets a donc été menée à la salle de jeu. Grâce à l'utilisation de formes et d'objets amusants et colorés, beaucoup d'autres enfants ont partagé avec elle le plaisir!

En fait, les membres du personnel ont réussi à appliquer, dans la salle de jeu, toutes les activités prévues au programme de Stéphanie. Elle travaillait en compagnie des autres enfants, apprenant avec eux et à leur contact tout en se créant un cercle d'amis. L'orthophoniste lui-même a utilisé cette salle. Quand une période de travail individuel s'avérait nécessaire, il profitait d'une transition prévue à l'horaire (p. ex., les récréations en plein air) pour rencontrer Stéphanie sans la présence des autres enfants.

2. Il faut donner au personnel le temps de se rencontrer pour s'entraider et pour échanger des idées et des commentaires constructifs.

Le personnel de la garderie a besoin de temps pour se réunir, non seulement en tant qu'équipe, mais également pour contribuer à la gestion de l'établissement. Trouver les moyens d'y parvenir est un défi en soi! La directrice de la garderie de Stéphanie a fourni des ressources supplémentaires pendant une partie de la sieste pour permettre au personnel de prendre son repas de midi et de planifier son programme. Il était essentiel, pour le personnel de la salle de jeu, d'être sensibilisé aux capacités et aux besoins de Stéphanie et de tous les autres enfants. Chaque membre du personnel avait la responsabilité de six enfants. Lorsque Stéphanie y était, une éducatrice de la petite enfance, embauchée à temps partiel, s'occupait de ses soins primaires. Toutes les membres du personnel se rencontraient une fois par semaine pour planifier les activités de la semaine suivante et pour discuter des particularités de «leurs» enfants. De la même façon que le personnel s'occupant de Stéphanie consacrait du temps à discuter d'une stratégie donnée, que tout le monde devait connaître pour aider Stéphanie à mieux communiquer, d'autres membres du personnel discutaient des besoins particuliers de leurs jeunes clients (p. ex., discutaient d'un enfant qui venait d'avoir un frère ou une soeur, et cherchaient les moyens de mieux faire accepter ce changement familial). Parfois, une spécialiste chargée de suivre Stéphanie participait à une réunion du personnel pour que toute l'équipe soit sensibilisée à des techniques particulières. Lorsque Gloria et Jack ont souhaité que le personnel concentre ses efforts sur l'enseignement de la propreté, une spécialiste du comportement est venue à la réunion du personnel (et Gloria aussi!).

3. Il faut être à l'écoute des parents de l'enfant.

Il est arrivé que les membres du personnel soient aux prises avec un comportement déviant chez Stéphanie, mais ces problèmes, grâce à une communication constante avec ses parents, se sont résolus rapidement. Quelle est la nature et la fréquence des communications à privilégier entre le personnel et les parents? Tout dépend de chacun. À un moment donné, Gloria aurait voulu savoir le genre d'aliments que Stéphanie consommait chaque jour. Comme le personnel n'avait pas le temps de dresser une liste exhaustive des aliments qu'elle prenait, Gloria a élaboré une liste de contrôle, contenant des groupes d'aliments et des volumes, qu'elle a demandé au personnel de cocher après chaque repas.

Le personnel a également demandé à Gloria et à Jack de l'aider à établir la liste des objectifs annuels de Stéphanie. Gloria souhaitait qu'au cours de l'année Stéphanie apprenne à aller à bicyclette, à communiquer verbalement et à s'habiller. Les membres du personnel ont travaillé à l'atteinte de ces objectifs et leur ont incorporé d'autres compétences préscolaires (p. ex., elles ont amené l'enfant à expérimenter les formes et les couleurs en peignant et en décorant des bicyclettes). Il est essentiel que le personnel travaille de concert avec les parents à l'atteinte de tels objectifs. Parfois, nous avons tendance à voir l'«inclusion» comme un phénomène qui ne s'applique qu'en garderie. Pourtant, les parents de Stéphanie souhaitaient que leur fille soit aussi accueillie dans son milieu et qu'elle puisse se promener à bicyclette sur le trottoir, en face de leur résidence, en compagnie d'autres voisins du même âge.

4. Il faut offrir à l'enfant, au personnel et aux parents la possibilité d'accéder aux ressources dont ils ont besoin.

Puisque Stéphanie ne marchait pas encore et qu'on devait la porter de temps à autre, la directrice et Gloria ont réussi à se procurer les services d'une employée à temps partiel. Stéphanie avait aussi besoin d'une aide supplémentaire pour assurer son développement moteur et langagier; la directrice et Gloria ont donc pris des dispositions pour obtenir à la garderie les services d'une physiothérapeute et d'une orthophoniste qui ont rencontré la nouvelle employée et fourni des stratégies au reste du personnel de la salle de jeu. Il faut toutefois noter que si ces mesures ont pu être prises très rapidement dans le cas de Stéphanie, c'est grâce aux programmes gouvernementaux en vigueur. La réalité n'est pas toujours aussi rose, malheureusement.

Parents et directeurs pourraient fort bien devoir plaider leur cause pour obtenir les ressources dont un enfant a besoin. Il est important de le faire. Il ne servirait à rien d'essayer d'inclure dans un programme un enfant qui a un retard de développement sans disposer des services appropriés. Tous les enfants atteints d'un retard de développement n'auront pas nécessairement besoin des services d'un employé supplémentaire ou d'un spécialiste en orthophonie et en physiothérapie. Les parents, le personnel, les spécialistes et la directrice doivent faire converger leurs efforts pour comprendre la situation de l'enfant et réagir en conséquence.

De la même manière, le personnel doit avoir accès à l'information requise pour offrir le programme à l'enfant. Le personnel aura peut-être besoin d'un matériel complémentaire et de l'autorisation d'assister à des conférences, à des ateliers et à des séances de formation spécialisée. Certaines membres du personnel affectées à la salle de jeu ont participé à un atelier de communication en vue d'apprendre les étapes à suivre pour favoriser chez Stéphanie la maîtrise du langage. La directrice a réussi à financer ce stage de formation et à procurer au personnel les ressources documentaires qu'il lui fallait.

Il se peut également que les parents cherchent à obtenir des ressources supplémentaires. Gloria et Jack pouvaient compter sur une famille nombreuse pour assurer la garde de Stéphanie le soir et les fins de semaine, et aussi sur la garderie, dont l'aide s'est avérée précieuse. Gloria a accepté de payer ses propres frais d'inscription pour participer à l'atelier sur la communication qui était offert au personnel de la garderie.

Chaque enfant, chaque famille et chaque équipe de pédagogues a besoin de ressources différentes. Il est essentiel que tous ceux qui participent à l'éducation de l'enfant se rencontrent au moins une fois par année pour dresser la liste des ressources requises afin d'assurer la croissance active et l'apprentissage de l'enfant.

5. Il faut se concentrer sur les grandes lignes du programme et apprécier la présence des enfants!

Un jour, alors que Jack venait chercher Stéphanie, il a eu l'agréable surprise de la voir jouer avec deux autres petites filles dans le bac de sable de la cour de récréation. Il est resté quelques minutes à observer les enfants qui remplissaient leurs seaux, les vidaient, et riaient du plaisir de jouer ensemble. Alors qu'il se préparait à quitter la garderie, une membre du personnel lui a dit que Stéphanie avait à nouveau de la difficulté à se servir des ciseaux et a suggéré qu'elle fasse du découpage à la maison. Jack lui a, à son tour, raconté ce qu'il avait observé dans la cour de récréation en précisant qu'il était, à long terme, plus préoccupé par la capacité de Stéphanie de jouer et de se faire des amis que par son habileté à couper du papier. Ce commentaire a d'abord choqué l'éducatrice, mais à la réflexion et après en avoir parlé avec ses collègues, elle a compris le point de vue du père de Stéphanie.

Puisque certains enfants ayant un retard de développement doivent peiner pour acquérir les habiletés préscolaires de base, il peut être tentant pour le personnel (et parfois pour les parents) de trop insister sur le programme et les techniques. Il ne faut pas perdre de vue le développement global de l'enfant et l'importance de l'établissement de véritables relations au cours des années préscolaires. Il importe que le personnel apprenne à connaître tous les enfants et à jouir de leur compagnie. Les membres du personnel ont passé du temps en la compagnie de Stéphanie et elles l'ont rencontrée chez elle (comme elles l'ont fait d'ailleurs pour les autres enfants); c'est ainsi qu'elles ont appris qu'elle aimait jouer avec des animaux en peluche, qu'elle aimait se balancer au son de la musique, qu'elle mangeait beaucoup de fruits et appréciait la compagnie d'autres enfants.

Comme l'a dit la directrice de la garderie de Stéphanie, «une des nombreuses joies de travailler avec de jeunes enfants, c'est qu'on ne cesse de s'émerveiller en les voyant s'épanouir, comme une fleur». Gloria et Jack s'entendent pour dire que Stéphanie s'est épanouie au cours des années passées à la garderie. On ignore les dons que chaque enfant a en réserve et on doit en conséquence fournir à chacune et à chacun l'occasion de se développer au maximum de ses capacités. C'est exactement ce que Gloria et Jack ont fait, avec le personnel de la garderie, pour Stéphanie.

Donna Michal, actuellement en congé de maternité, est coordonnatrice du Demonstration Day Care Centre et présidente du Early Childhood Administration Program au Grant MacEwan College d'Edmonton, en Alberta.

Ressources recommandées

"Beginnings Workshop: Special Needs: Meeting the Needs of the Children", Child Care Information Exchange, numéro 105, septembre-octobre 1995.

Bredekamp, S. (éd.), Developmentally Appropriate Practice in Early Childhood Programs Serving Children From Birth Through Age 8 (édition expirée), Washington, D.C., NAEYC, 1987.

Denman-Sparks, L. et A.B.C. Task Force, Anti-bias Curriculum: Tools for Empowering Young Children, Washington, D.C., NAEYC, 1989.

Peck, C.A., Odom, S.L. et Bricker, D.D. (éd.), Integrating Young Children with Disabilities into Community Programs, Baltimore, Paul H. Brookes, 1993.

Ramsey, Patricia G., Making Friends in School: Promoting Peer Relationships in Early Childhood, New York, Teachers College, Columbia University, 1991.

Pour les articles se rapportant aux besoins spéciaux, aller à la table des matières.

Cet article a paru dans Interaction (hiver 1997), publié par la Fédération canadienne des services de garde à l'enfance.

Affiché par la Fédération canadienne des services de garde à l'enfance, juillet 1997.


Home PageSchoolNetRetour au Menu