Retour à l'index

Les handicaps physiques en milieu de garde à l'enfance :

rendre la bride à l'enfant

par Soeur Ginger Patchen

Elle est venue vers nous, la mère de Mathieu
pour nous parler de sa nouvelle amie de son fils.
Un événement somme toute assez banal
pour la plupart d'entre nous.
Après tout, Mathieu, qui a eu ses quatre ans,
est maintenant à la maternelle.
Dans cette école, se faire des amis
n'a rien qui sorte de l'ordinaire.
Mais, dit Mathieu, comprenez donc,
nous avons joué dans la pataugeoire, résolu des casse-tête,
écouté une histoire et chanté à l'unisson.

Voulant deviner, à la manière des parents,
qui donc était cette nouvelle amie,
la mère de Mathieu erra longtemps, dans le dédale de conjectures
qu'il lui fallut abandonner...
Keri-Ann amenait toujours sa propre chaise ...
«Tu sais, maman, une chaise à grandes roues.»
Mathieu ne lui a pas dit, à sa mère,
que Keri-Ann, quand elle joue dans l'eau,
est liée sur une planche,
qu'elle laisse tomber les pièces de son casse-tête
et qu'elle doit montrer du regard
l'endroit où il faut les placer...
qu'elle écoute mais ne peut dire comment
et ne peut faire bravo
sans qu'on lui tienne les deux mains.

Ce que Mathieu a dit...
c'est qu'il avait une nouvelle amie.

Voilà un scénario fort inhabituel pour aborder la question de la formation, de la modification et de l'adaptation des programmes ou la question de l'accès aux ressources et de la qualité des soins; néanmoins, je crois que l'histoire de Keri-Ann et de Mathieu nous offre un instantané de ce qu'il faut pour faciliter l'inclusion d'un enfant. Mathieu et Keri-Ann s'imposent, dans cet exemple; ce sont eux qui mènent le jeu et c'est généralement le cas dans un milieu où on fait appel à une stratégie de développement. Dans le cadre d'une telle approche, c'est ce qui convient à chaque enfant qui détermine le processus de changement et non l'inverse. Les facteurs qui permettent de faciliter l'inclusion sont multiples.

Dans l'environnement pédagogique d'aujourd'hui, la question n'est pas de savoir si on doit faciliter l'apprentissage, mais plutôt de savoir comment agir pour parvenir aux meilleurs résultats. Les établissements de garde à l'enfance obtiennent les résultats les plus efficaces quand ils visent avant tout à satisfaire aux besoins de croissance de l'enfant, renforçant par là même sa qualité de vie. La construction de relations positives est la clé de toute entreprise. Les éléments qui permettent de répondre aux besoins des enfants qui ont des déficiences physiques font déjà partie de nos usages et de nos pratiques. Keri-Ann et Mathieu évoluaient dans les mêmes centres d'apprentissage que les autres enfants; ils se sont mutuellement aidés à progresser au fil d'une gamme variée d'expériences d'apprentissage. La nouveauté, c'est la façon dont ils ont personnalisé leur accès à ces expériences.

Nous comprenons tous la nécessité de rampes, de garde-fous, de marchettes, de fauteuils roulants, de prothèses auditives et de lunettes. Toutefois, ce que nous avons tendance à oublier, ce sont les adaptations toutes simples qui peuvent contribuer à réduire le sentiment d'exclusion et même parfois les barrières fort réelles auxquelles se heurtent les enfants concernés. Pensons par exemple aux fauteuils roulants standard, conçus pour les gens qui les poussent plutôt que pour ceux qui y sont assis. La

hauteur du siège est réglée pour l'adulte assis dans une chaise normale qui veut «aider» l'enfant. Les problèmes surgissent lorsque la hauteur empêche l'enfant assis dans la chaise de communiquer avec d'autres enfants assis dans des chaises normales et à des tables qui ont été conçues et construites pour des enfants sans déficiences. La recherche d'options acceptables exige que nous examinions chaque but et déterminions comment ce but pourrait être atteint de la meilleure façon, aussi discrètement que possible. Les situations où l'enfant est assis sur les genoux d'un adulte, dans une chaise pour enfants standard adaptée ou dans un fauteuil roulant à siège bas représentent toutes des moyens efficaces de répondre aux besoins d'enfants ayant une déficience qui participent à des activités autour d'une table. En outre, ces combinaisons permettent à ces enfants de changer de temps en temps de posture.

Pendant de nombreuses années on a cru que la meilleure façon d'aider un enfant ayant une déficience cérébrale était d'installer un siège fait sur mesure dans un fauteuil roulant standard. C'est en découvrant jusqu'à quel point les fauteuils roulants nous empêchaient d'atteindre notre objectif ­ améliorer la communication ­ et en nous interrogeant sur la frustration qui nous viendrait si nous devions rester assis dans la même position pendant des heures que nous en sommes venus à réévaluer le bien-fondé de ces pratiques reconnues. D'accord, le fait de s'asseoir sur les genoux d'un adulte peut ne pas convenir à tous les âges. Mais dans les endroits où d'autres enfants semblent trouver cet usage acceptable, pourquoi devrions-nous exclure l'enfant qui a une déficience physique d'une expérience qui le nourrit? Lorsque l'on cherche à inclure l'enfant, la seule présence de ce matériel inadéquat peut saper l'atteinte de notre but.

Si vous pensez qu'on vise ici une sorte de miracle, vous n'avez pas tort. En fait, c'est un cycle quotidien d'équilibrage, d'adaptation et de stabilisation. Mais rassurez-vous, si vous êtes actuellement éducatrice auprès de la prime enfance, vous avez probablement toutes les qualités requises pour être cette jongleuse professionnelle dont les enfants ont besoin. Le développement, la sécurité, les besoins et les désirs individuels -- toutes ces questions sont pertinentes si on veut habiliter l'enfant en tant que personne, si on veut habiliter chaque enfant, n'importe quel enfant. Il y a certes des occasions où il faut disposer d'un matériel spécialisé. Vous vous souviendrez que Keri-Ann se servait d'un support vertical pour jouer dans l'eau. Même si elle ne s'en servait pas toujours, lorsqu'elle y faisait appel, elle faisait l'expérience d'une autonomie, par rapport aux membres du personnel, qu'aucune autre méthode n'aurait pu lui procurer.

Au fil des ans, nous avons constaté, non sans surprise, qu'un enfant pouvait se déplacer toute la journée sur un tricycle (même dans une petite salle de classe), et qu'il s'agissait là d'un mode de locomotion plus maniable qu'on ne l'aurait cru. C'est non seulement un moyen de locomotion pour l'enfant, mais aussi une activité inclusive et normalisante. Il en va de même des balles thérapeutiques de grande taille que se partagent les enfants à tour de rôle ou du Toddler-Bobbler (essentiellement une trampoline modifiée). Le chant, la gestuelle, le balancement sont tous des moyens efficaces d'inclusion et d'intégration. Il est vrai qu'au fil des ans, le matériel thérapeutique a commencé à faire partie de notre inventaire général d'outils, mais ce qu'il faut avant tout, c'est faire montre d'un peu d'imagination avec une vaste gamme d'instruments standard.

Après avoir compris que nous allions accueillir des enfants ayant des déficiences physiques dans notre garderie, nous avons planifié l'aménagement de notre cour de récréation extérieure avec beaucoup de soin. Par exemple, nous avons installé un grand bac à sable à niveaux multiples. Les enfants peuvent s'y asseoir, rester debout à côté ou faire glisser leur fauteuil roulant sous certaines sections du bac. Notre collection de balançoires inclut les types suivants : ceinture standard, hamac, Exerglide, aéroplane et pneu horizontal à rotation limitée. Bien que le hamac ait été conçu pour permettre à ceux qui ne peuvent pas s'asseoir ou qui ne peuvent pas s'y maintenir, la possibilité de se balancer, il est devenu l'instrument favori de tous les enfants. L'Exerglide permet à ceux qui n'ont pas assez de force dans les jambes de faire des tractions avec les bras et il offre l'avantage sur un plan strictement social d'accommoder deux personnes en même temps. La cage à écureuil offre un accès aux fauteuils roulants, à son niveau le plus bas et comporte un panneau double à glissière qui permet à l'enfant d'être accompagné ou d'obtenir de l'aide. La plus grande partie de la surface de la cour de récréation est en Tuff-Turf ou en Elastocrete, un matériau qui protège les membres en cas de chute tout en favorisant la marche et la mobilité des fauteuils roulants. Dans notre «parc», comme les enfants l'appellent, on trouve aussi des arbres, du gazon, des arbustes, des rocailles, des tables à pique-nique, des sentiers pour tricycles, des anneaux et toute une variété de jouets mobiles. Un équipement dont tout le monde peut profiter.

Rendre la bride aux enfants est la meilleure façon de leur donner accès à de nombreuses situations d'apprentissage et d'expérimentation. Ce n'est pas toujours facile. Par exemple, l'an dernier à Noël, une de nos enfants, J.J., se servait régulièrement d'une marchette. Un jour, quelques-uns de ses amis nous ont demandé des cordes en élastique. J'ai donné suite à leur demande avec quelque réticence et je les ai observés, en train de faire une série de noeuds compliqués. Ils ont ensuite attaché les élastiques au cadre de la marchette. Je restais là figée, à retenir ma respiration (une expérience assez commune, je dois dire), pendant que J.J., coiffée d'un chapeau, gloussait en catimini, et que tout l'équipage se mettait en marche pour ... le Pôle nord. Alors qu'ils sortaient de mon champ de vision j'ai compris que la jolie J.J. était Saint-Nicholas et les enfants attelés aux élastiques, son renne!

Mille et une façons d'habiliter les enfants

 Solliciter l'aide d'autres enfants. Les enfants tirent avantage des situations où ils ont l'occasion de participer, d'aider et de créer des relations. Vous-même pouvez tirer profit de l'originalité de leurs solutions. L'enfant qui a une déficience bénéficie de nos efforts combinés et de la certitude qu'il est à l'origine de cette pensée créatrice et de tous ces traits de génie.

 Servez-vous de miroirs. Les miroirs debout ou les miroirs sur table sont d'excellents outils de motivation pour aider l'enfant à se forger une image de soi positive et une véritable estime de soi, pour l'encourager à prendre soin de son corps, pour corriger ses problèmes de langage et d'articulation et pour renforcer les muscles de sa tête, de son cou et de sa poitrine. Les miroirs peuvent aussi servir au grimage, au déguisement et à nommer les différentes parties du corps.

 Décorez vos murs. Changez régulièrement les images, les tableaux, les murales et les dessins qui ornent vos murs, vos fenêtres et vos vestibules. Tous les enfants qui ont un contrôle limité des mouvements du tronc seront ainsi encouragés à lever la tête pour découvrir ces objets, et à renforcer ces groupes musculaires. Des stimuli additionnels ont également un effet bénéfique pour la plupart des enfants.

 Procurez-leur des bases solides. Pour les enfants dont les pieds ne peuvent atteindre le sol, des repose-pieds offriront une meilleure stabilité et un meilleur point d'ancrage pour les activités en position assise (on peut se servir d'annuaires de téléphone à cette fin). C'est une technique qui vaut pour tout le monde. Toute activité, qu'elle se déroule sur un siège de toilette ou ailleurs ­ résoudre un puzzle ou rédiger un texte ­, devient plus facile quand on est «bien ancré au sol».

Chantez et gesticulez. Lorsque les modes habituels de communication par la parole ou par d'autres moyens n'ont pas les effets escomptés, pourquoi ne pas tenter de chanter vos directives ou de ponctuer vos propos de nouveaux signes gestuels? La combinaison est souvent plus efficace qu'une méthode isolée. En vue d'aider les enfants à choisir ou pour permettre aux enfants qui ne sont pas capables de parler de tirer au sort une chanson, à tour de rôle, bâtissez un album d'illustrations représentant diverses chansons (un croissant de lune pour Au clair de la lune, un pont pour Le pont d'Avignon, etc.).

La thérapie de l'un sert aussi aux autres. Incorporez autant d'activités thérapeutiques que possible dans la routine quotidienne de chacun. Certains enfants peuvent avoir besoin de certains mouvements, et tous auront plaisir à s'exécuter. On retrouve, dans beaucoup de chansons et de comptines, des mouvements d'élongation, de flexion, d'étirement, de roulement, de balancement et de déplacement à quatre pattes.

La différence est «faire-airique». Souvenez-vous qu'apprendre à faire les choses de manière différente est une expérience de vie positive. Même si nous nous efforçons d'enseigner ce concept à nos enfants, il ne reste pas moins difficile à appliquer pendant la plus grande partie de notre vie. La tendance est de ne faire confiance qu'aux bonnes vieilles méthodes éprouvées. Ne vous laissez pas induire en erreur par cette pensée trompeuse et défaitiste, suivez votre intuition et transformez le possible en réalité.

Soeur Ginger Patchen a été directrice de l'Epiphany Children's Centre de Winnipeg au Manitoba pendant 16 ans.

Références

Esbensen, Steen, An Outdoor Classroom, Ypsilanti, Michigan, High/Scope Press, 1987.

Kramer, Paula et Hinojosa, Jim, Pediatric Occupational Therapy, Baltimore, Maryland, Williams and Wilkins, 1993.

Miller, Susan, Games, Giggles and Giant Steps. Cleveland, Ohio, Edgell Communications, 1988.

Livres recommandés pour enfants

Cairo, Shelley, Our Brother Has Down's Syndrome, Toronto, Ontario, Annick Press, Ltd., 1985.

Dwight, Laura, We can Do It!, New York, Checkerboard Press, 1992.

Merrifield, Margaret, Come Sit By Me, Toronto, Ontario, Women's Press, 1990.

Rabe, Bernice, Where's Chimpy?, Toronto, Ontario, General Publishing, Ltd., 1988.

Smith, Sally L., Different Is Not Bad -- Different Is The World, Longmont, Colorado, Sopris West, 1994.

Pour les articles se rapportant aux besoins spéciaux, aller à la table des matières.

Cet article a paru dans Interaction (hiver 1997), publié par la Fédération canadienne des services de garde à l'enfance.

Affiché par la Fédération canadienne des services de garde à l'enfance, juillet 1997.


Home PageSchoolNetRetour au Menu