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Soyez plus inventive dans votre programme artistique : Créer des liens

par Patricia Tarr

Les intervenantes planifient les activités artistiques dans les services de garde destinés à la petite enfance en se basant sur deux perspectives distinctes. Pour certains, l'art consiste à préparer des activités selon les saisons, par exemple, repasser des feuilles entre des feuilles de papier ciré, faire des fantômes en papier, créer des dindons en dessinant sur la main d'un enfant et d'autres activités qui forment l'ensemble traditionnel du «folklore» de l'art chez les enfants. Pour d'autres, les expériences artistiques consistent à placer du matériel de bricolage à la disposition des enfants et à les laisser explorer et créer sans orientation ou ingérence de la part des adultes. Les éducatrices artistiques s'objectent depuis longtemps à la pratique consistant à donner aux jeunes enfants des projets artistiques qui se limitent à colorier ou à coller des formes prédéterminées qui produisent des objets similaires conçus par des adultes. Ils soutiennent que ces activités n'améliorent en rien la capacité des enfants à penser de façon créatrice, à poser et à solutionner des problèmes, à développer de bonnes aptitudes artistiques ou à exprimer des idées de façon visuelle. Par ailleurs, les éducatrices artistiques ont aussi commencé à contester la validité éducative de permettre aux enfants de «laisser libre cours à leur imagination» sans aucune interaction enseignante-enfant. Ces deux approches à la programmation nuisent aux capacités artistiques des enfants. La première sous-estime la capacité des enfants à créer des images visuelles personnelles en leur imposant un processus précis. Par ailleurs, la deuxième surestime les capacités des enfants. Elle néglige de faciliter la croissance personnelle des enfants, car elle présume que ces derniers peuvent acquérir savoir et aptitudes en faisant leurs propres expériences avec les matériels ou à la suite d'une courte introduction à une technique. On tient pour acquis que quelques enfants talentueux continueront à s'intéresser à l'art après l'enfance. On s'attend à ce que la plupart d'entre eux deviennent des adultes incapables de «tracer une ligne droite».

Apprendre à dessiner

L'apprentissage du dessin est parfois comparé à l'apprentissage de la langue. Le gribouillage ou «faire des marques» s'apparente au babillage. Des formes simples et discrètes, comme des cercles, deviennent l'équivalent des premiers mots et les dessins reconnaissables sont comme des phrases et des paragraphes. Les deux formes symboliques semblent le résultat de l'auto-apprentissage et issues de capacités innées pour le langage et la représentation symbolique. Toutefois, lorsque nous appliquons cette analogie au processus d'apprentissage langagier et du dessin chez les enfants, la comparaison ne tient plus. L'apprentissage langagier est un processus interactif. Le langage est continuellement émulé et ce fait est essentiel au processus d'apprentissage de la communication verbale. Par ailleurs, on a souvent laissé les enfants à eux-mêmes concernant l'apprentissage de la création d'images visuelles sans leur fournir des possibilités d'interaction sociale dans le cadre du processus artistique ou sans praticiennes compétentes à émuler. Par contre, quand on enseigne aux enfants à suivre des instructions précises pour créer un objet, ils apprennent l'équivalent d'expressions prononcées machinalement comme «passe une bonne journée». Les deux n'expriment ni sentiment ni signification véritables.

Dans le présent document, je voudrais exhorter les intervenantes en services de garde axés sur chacune de ces perspectives artistiques à réexaminer leur approche de l'apprentissage artistique des enfants. Étant donné que les adultes socialisent les enfants en vertu de normes culturelles reconnues, les intervenantes doivent réfléchir à leurs convictions, leurs valeurs et leurs attitudes envers l'art et le processus artistique afin de fournir des expériences artistiques de qualité aux jeunes enfants.

Convictions et valeurs de l'éducation aux arts

Les éducatrices artistiques, comme Colbert et Taunton (1992), estiment que les programmes artistiques de qualité devraient offrir aux enfants la possibilité d'utiliser des matériels avec une créativité et une habileté accrues. Les programmes de qualité devraient aller au-delà de la production artistique et permettre aux enfants de discuter de leurs travaux et de commenter ceux de leurs pairs et des artistes adultes. Les enfants devraient pouvoir réaliser des expériences qui leur permettront de connaître les formes riches et diverses de l'expression artistique de différentes cultures et de toute l'histoire. Les enfants doivent être sensibilisés au rôle des arts dans leur vie quotidienne. Les éducatrices artistiques admettent que tous les enfants ne deviendront pas des artistes, mais soulignent que tout le monde a droit à la littératie visuelle et de connaître son héritage culturel. Même si ces composantes semblent abstraites et au-delà des capacités des jeunes enfants, on peut leur en inculquer les rudiments pendant les années préscolaires et de la maternelle.

Comment les intervenantes en garderie peuvent-elles fournir aux enfants des occasions d'expérimenter avec les matériels et de réaliser des expériences artistiques intègres et qui contribueront à développer leurs aptitudes en expression visuelle? Les réponses à cette question reposent sur la planification artistique des artistes et sur la façon dont cette dernière est parallèle ou peut être incorporée aux comportements exploratoires et ludiques des jeunes enfants.

L'artiste comme modèle à émuler

Même si les adultes encouragent les enfants à faire des jeux de rôle et à émuler des modèles de nombreux domaines de la vie adulte, le rôle de l'artiste est rarement inclus, même si les formes artistiques constituent une composante essentielle des programmes axés sur la petite enfance. Le fait de comprendre comment et pourquoi les artistes créent aidera les intervenantes en services de garde à planifier et à appliquer des programmes artistiques qui permettront aux enfants d'établir des liens entre les travaux qu'ils réalisent avec le matériel d'artiste et ceux des artistes adultes.

Herberholz et Herberholz (1994) a résumé un certain nombre de façons par lesquelles les artistes abordent leur travail : ils commencent habituellement par des esquisses ou réfléchissent attentivement aux façons d'aborder leur travail; ils peuvent travailler un certain nombre de pièces à la fois en explorant et en réexaminant un thème ou une idée pendant une période donnée. En outre, ils découvrent des idées pour leurs travaux d'une variété de sources, y compris les vertus d'un nouveau matériel, les autres artistes ou les oeuvres d'art. Tout comme on écrit pour de nombreuses raisons, l'art prend diverses formes et sert à attirer l'attention du spectateur aux idées qui s'expriment mieux de façon visuelle. Ces idées comprennent, entre autres, les récits; les notes des gens; les endroits, les choses et les événements; les énoncés politiques ou religieux; les expériences; les rêves; les émotions; et, les énoncés sur les relations visuelles. L'art est une forme d'enquête et une façon d'en apprendre sur nous-mêmes et le monde.

Les jeunes enfants et les artistes partagent certaines façons communes d'expérimenter leur environnement. Ils posent des questions, explorent les matériels et considèrent de façon positive la richesse visuelle et sensorielle du monde qui les entoure. De nombreux artistes affectionnent collectionner des choses. Les artistes et les jeunes enfants sont des enquêteurs et des joueurs sérieux. On ne veut pas indiquer par là que les artistes sont de jeunes enfants, mais plutôt qu'il existe des caractéristiques communes à stimuler pendant l'enfance.

Une enquête menée auprès de tout-petits de deux ans qui participaient à des activités artistiques au University of British Columbia Child Study Centre (Tarr, 1992), a révélé que certaines des façons dont les adultes socialisent les enfants aux pratiques artistiques allaient à l'encontre de celles utilisées par les artistes adultes. Les intervenantes bloquent toute possibilité pour l'enfant de continuer ou de paufiner un travail quand elles retirent une peinture du chevalet ou un bricolage d'une table aussitôt que l'enfant l'a terminé. Dans les cours de l'UBC destinés aux enfants de deux ans, les enfants retouchaient leur travail quand il était encore là. Ces observations ont permis de constater que les expériences des enfants étaient limitées parce que les enseignantes supposaient que si l'enfant quittait le chevalet ou la table, le travail était achevé. Dans le cadre d'entrevues, les enseignantes ont discuté de l'importance du processus artistique, mais n'en ont pas reconnu toutes les répercussions. Il importe de reconnaître la nécessité d'avoir de l'espace disponible pour que les autres enfants travaillent, mais je crois qu'il est possible de dire aux enfants que leur article est toujours là s'ils veulent y travailler encore. Toutefois, la plupart des intervenantes estimeraient peut-être qu'un enfant qui travaille sur plus d'une chose à la fois manque d'attention plutôt que de croire qu'il suit un processus artistique valable.

Les jeunes enfants n'ont pas la même attention à long terme que les artistes adultes parce que leur expérience est directe et immédiate. Au départ, ils ne se préoccupent pas de préparer et de planifier soigneusement une idée qu'ils veulent développer. Toutefois, à long terme, les intervenantes devraient aider les enfants à faire de telles expériences en leur suggérant ces possibilités au début. Les leçons offertes dans les centres préscolaires de Reggio Emilia en Italie démontrent que le soutien et l'orientation fournis par un adulte sensible permet aux enfants d'explorer et d'exprimer des idées concernant un sujet sur une période de temps prolongée. Ces enfants, qui travaillent avec les enseignantes et un artiste en résidence, sont capables de réviser et de paufiner leurs idées si on leur donne des occasions valables de le faire.

Inviter un artiste

Pensez à la possibilité d'inviter un artiste à venir travailler un peu dans votre garderie (avec du matériel non toxique seulement). Il ne s'agit pas pour l'artiste de fournir un modèle à copier par les enfants, mais de démontrer le processus artistique et, dans une conversation informelle, de décrire le processus et les problèmes qui surviennent dans la création d'une oeuvre d'art. Si possible, planifiez un projet coopératif où les enfants et l'artiste contribuent également. Par exemple, à l'Université de Calgary, les étudiantes en éducation de la petite enfance inscrites au cours sur l'expression artistique ont travaillé avec de jeunes enfants pour planifier et réaliser de gros animaux en papier-mâché. Les enfants ont fourni les idées pour le projet et les étudiantes, de l'aide technique. Les étudiantes et les enfants ont appliqué du papier-mâché et de la peinture, mais les enfants se sont eux-mêmes occupés des détails des visages.

Un jour de printemps, une finissante en éducation artistique a placé son chevalet et ses peintures acryliques dans la classe des enfants de deux ans. Ils ont été fascinés de la voir peindre et l'ont vite aidée à mélanger des couleurs. D'autres enfants peignaient à leur chevalet où il y avait des couleurs similaires de peintures à tempera. À d'autres occasions, l'artiste et les enfants peignaient une toile ensemble. Les enfants attendaient leur tour avec impatience et même les enfants plus indécis ont participé. Ces activités ont généré une discussion et une interaction concernant le processus artistique et les peintures des enfants reflétaient l'expérience partagée avec l'artiste. En examinant un tableau presque achevé, un enfant d'à peine trois ans a déclaré «Il faut un peu plus de cette couleur, juste là», en montrant un endroit sur la toile.

Commencer avec l'exploration et le jeu

Observez un enfant de deux ans faire des expériences avec de la peinture et de la colle pour la première fois. Il regardera attentivement la façon dont le pinceau fait bouger la peinture sur le papier ou les lignes créées par la colle qui dégoutte de l'applicateur. Pendant ces premières expériences les propriétés naturelles du matériel guideront l'utilisation qu'en fait l'enfant. Celui de deux ans se concentrera peut-être sur l'emplacement visuel des marques qu'elle fait sur le papier ou peut choisir avec soin des morceaux particuliers pour créer un collage sur une feuille de papier. Ces explorations sont délibérées et comprennent la sensibilisation à l'esthétique concernant des éléments comme la couleur, l'emplacement ou la texture. Il n'est pas trop tôt pour les intervenantes en garderie de réagir aux qualités visuelles du travail de l'enfant en utilisant des mots descriptifs pour les couleurs, les lignes, les formes et les textures ou en parlant des sentiments suscités par les marques sur le papier. Il s'agit d'une réaction plus valable que de questionner l'enfant sur le sujet de son travail ou sur ce qu'il représente, ce qui pourrait être prématuré compte tenu du niveau d'expression de l'enfant. Cette interaction donne l'occasion à l'enfant de discuter davantage de son travail. Cette forme d'échange sensibilise aussi l'enfant au fait que l'on peut discuter des oeuvres d'art. Les intervenantes peuvent aussi traiter des images visuelles dans le coin du livre. Même les enfants de deux ans peuvent émettre des opinions concernant laquelle des versions des Trois petits cochons ils préférent.

Suggestions

Les intervenantes en services de garde peuvent faire plusieurs choses importantes pour améliorer la qualité et la portée de leurs programmes artistiques :

Patricia Tarr, Ph. D., est professeure adjointe, programme en éducation de la petite enfance à l'Université de Calgary, où elle a aussi enseigné les méthodes artistiques aux étudiantes en éducation de la petite enfance et en éducation au primaire. Elle a achevé la recherche pour sa thèse de doctorat au moment où elle enseignait dans le cadre du ANCHOR Project au UBC Child Study Centre. Elle a travaillé auprès des enfants dans différents milieux, y compris la garderie, le centre préscolaire, la maternelle et les galeries d'art.

Références

Colbert, C. et Taunton, M. (1992). Developmentally Appropriate Practice for the Visual Arts Education of Young Children (NAEA Briefing Paper). Reston, Vermont : The National Art Education Association.

Edwards, C., Gandini, L., et Forman, G. (1993). The Hundred Languages of Children: The Reggio Emilia Approach to Early Childhood Education. Norwood, New Jersey : Ablex.

Herberholz, D. et Herberholz, B. (1994). Artworks for Elementary Teachers: Developing Artistic and Perceptual Awareness (7th ed.). Dubuque, Iowa : WCB Brown & Benchmark.

Isadora, R. (1979). Ben's Trumpet. New York: Mulberry Books.

Lionni, L. (1967). Frederick. New York: Pantheon Books.

Tarr, P. (1992). Two-Year-Old Children's Artistic Expression in a Group Setting: Interaction and the Construction of Meaning. Thèse de doctorat non publiée, University of British Columbia.

Autres lectures recommandées

Feeney, S. et Moravcik, E. (1987). A Thing of Beauty: Aesthetic Development in Young Children. Young Children, 42(6), 7-15.

Herberholz, B. et Hanson, L. (1990). Early Childhood Art (4th ed.). Dubuque, Iowa : William C. Brown.

Schirrmacher, R. (1993). Art and Creative Development for Young Children (2nd ed.). Scarborough: Nelson Canada.

Cet article a paru dans Interaction (été 1995), publié par la Fédération canadienne des services de garde à l'enfance.

Affiché par la Fédération canadienne des services de garde à l'enfance, aôut 1997.


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