Jean-Baptiste Meilleur est un descendant de Jacques, capitaine au Régiment de Carignan, puis établi à la Rivière-des-Prairies. Il naquit à St-Laurent Ile de Montréal), le 9 mai 1796, du mariage de Jean-Baptiste Meilleur et de Suzanne Bleinier.
De condition modeste et sans fortune, les époux Meilleur ne songèrent guère à faire de leur enfant un savant. Mais Jean-Baptiste se sentit irrésistiblement attiré vers les études et rêva d’entrer au Collège de Montréal. Pour y arriver, il accumule lentement quelques maigres économies, fruit de son travail manuel. Puis lui arrive, comme du ciel, un petit héritage inespéré. Il le confie, sans hésiter, aux Messieurs de St-Sulpice, qui s’engagent en retour à le recevoir à leur collège comme écolier.
Mis aux études un peu tard, il y éprouve d’abord de grandes difficultés. Ses succès sont médiocres. Pourtant son ambition le fait tendre au premier rang, et, son énergie le soutenant, il arrivera bientôt, à force de travail, à briller et à l’emporter sur tous ses condisciples. Avec une facilité rare, il s’assimile désormais la riche moelle des classiques et devient en peu de temps une "teste bien faiste".
En ce temps-là, il y avait, au Collège de Montréal, parmi les élèves de Philosophie, un jeune Américain converti, ancien élève de l’Université de Dartmouth, dans le New-Hampshire, et qui devait être plus tard le célèbre abbé Jean Holmes. Meilleur se lia d’amitié avec lui et subit longtemps son influence intellectuelle. La classe de Rhétorique terminée, Meilleur, qui avait rêvé d’étudier le droit, se tourna vers la médecine. Sur les conseils de son ami Holmes, il s’inscrivit d’abord à l’Ecole de médecine de Castletown dans l’Etat du Vermont. Il suivit en même temps des cours de philosophie à Middlebury, sous le célèbre professeur Hall, élève de l’abbé Hauy.
Le 14 décembre 1825, il obtint le grade de docteur en médecine; un peu plus tard, lui furent décernés les diplômes du Collège de Middlebury et de l’Université de Dartmouth, où il avait quelque temps enseigné le français. C’est à cette époque qu’il a vraisemblablement écrit, en anglais, un premier opuscule intitulé: Traité de prononciation française. Très estimé de ses maîtres, le jeune universitaire fut élu membre de la Société Médicale et Philosophique de l’Etat du Vermont.
De ce séjour aux Etats-Unis le docteur reviendra avec une maîtrise parfaite de l’anglais; mais il en rapportera aussi une admiration quelque peu béate de la civilisation américaine. De là, chez lui, plus tard, des idées et des expressions d’opinion qui causeront de l’émoi parmi ses compatriotes.
De retour au Canada, il paraît s’être fixé d’abord à St-Laurent, sa paroisse natale; mais ce ne fut que pour un séjour d’un an. Le 26 juin 1827, il épouse, à Repentigny, Joséphine Eno, dit Deschamps. Les registres paroissiaux font foi qu’il est alors "domicilié en la paroisse de St-Pierre-du-Portage de l’Assomption". Est-il passé d’ici à St-Eustache? Un fait que lui-même rapporte, dans son Mémorial (éd. 1860), nous porte à le croire. Il y signale la construction d’un couvent des Dames de la Congrégation par M. le curé Jacques Paquin, et il ajoute:
"La pierre nécessaire pour la bâtisse de cette maison d’éducation fut amenée par corvée sur les lieux, en décembre de l’année 1828, et j’ai eu le plaisir d’y prendre part, pendant toute une semaine, en conduisant ma propre voiture". Un peu plus loin, il confirme ce fait en disant: "C’est à St-Eustache que j’ai commencé, par des écrits anonymes, tour à tour attaqués et appuyés, à donner publiquement l’idée de la fondation du florissant Collège de l’Assomption... Le premier de mes écrits sur ce sujet, mais dont le but apparent était de signaler la corvée en faveur du couvent de St-Eustache, était daté du 25 décembre 1828 et signé: Un passant." Peut-on conclure, sur la foi de ce pseudonyme, que le docteur n’était à St-Eustache que de passage, en visite un peu prolongée chez son excellent ami, le notaire Jean-Joseph Girouard, de St-Benoît? Il reste certain qu’en 1829, Meilleur était résident à l’Assomption. A la date du 2 novembre, on le trouve inscrit aux registres paroissiaux, dans l’acte de naissance de sa fille Hermine.
Pauvre et bientôt chargé d’une famille nombreuse — onze enfants lui naîtront — le docteur se donne avec zèle et conscience à l’exercice de la médecine. Il doit parcourir un vaste territoire, et ses devoirs professionnels sont bientôt absorbants. En 1832 particulièrement, alors que sévit une maladie épidémique, il déploiera une grande activité et fera preuve d’un excellent savoir médical. Néanmoins, il ne se cantonne pas tout entier dans son art. Son tempérament impulsif et nerveux le pousse à plus d’activité encore. Il s’intéresse à toute question municipale, politique, éducationnelle et religieuse. Il est à la fois praticien, marguillier, syndic des écoles, membre du Bureau officiel des examinateurs du ressort médical de Montréal, député (1834-1838). Et par-dessus tout cela, il trouve le temps de penser et d’écrire sur les sujets les plus divers.
Déjà en 1826, à peine sorti de l’Université, il a signalé à l’attention du Dr Stephenson, de Montréal, les propriétés médicinales de la plante Sang-dragon (San guinaria canadensis). En 1831, il découvre la lobélie (lobelia in fia ta) en la paroisse de Saint-Jacques-de-l’Achigan. Vers le même temps, sa plume fournit une abondante collaboration au premier journal de médecine que Xavier Tessier vient de fonder à Québec, ainsi qu’à la Bibliothèque canadienne de Bibaud. En 1834, il rédige pendant quelques mois l’Echo du pays.
Ses goûts le portent de préférence vers les recherches scientifiques. Un petit Traité sur le Charbon est cité avec éloge. Des articles sur la Géologie et l’application de la Chimie à l’agriculture lui valent l’honneur d’être traduit en anglais par son ancien professeur, Frederick Hall, qui remarque dans ces études des "idées ingénieuses et toutes neuves". En 1833, il écrit le premier Traité de Chimie qui ait été édité au Canada et qu’il intitule :
Cours abrégé et Leçons de Chimie, contenant une exposition méthodique des principes de cette science. Les connaisseurs en louèrent particulièrement l’introduction, très développée et traitant de la physique, de la chimie, de la minéralogie et de la géologie. Elu député en 1834, il est chargé, par la Chambre, de classer selon les règnes, genres et espèces, le Musée Chasseur, dont le gouvernement venait de faire l’acquisition.
En 1833, à l’heure où il fonde le Collège de l’Assomption, son esprit semble s’être tourné davantage encore vers les questions de l’enseignement. Déjà il a traduit en anglais un manuscrit de M. Roux, supérieur de St-Sulpice: Histoire du Collège de Montréal; à présent, il publie à Saint-Charles, à l’imprimerie du journal dont son ami, l’honorable P.-D. Debartzch, est le propriétaire et dont lui-même a été jadis le rédacteur, la première édition de sa Nouvelle Grammaire anglaise, rédigée d’après les meilleurs auteurs. Il écrit aussi, à l’usage des écoles, un Art épistolaire. Député, il se fera à la Chambre et dans les assemblées populaires le champion infatigable de l’éducation.
Esprit curieux, travailleur acharné, il s’intéresse à tout, particulièrement à la région qu’il habite. C’est ainsi qu’en cette même année 1833 il livre au public un Extrait du recensement de 1832 dans le comté de l’Assomption. Cet écrit original, mais d’un intérêt tout local, fut fort loué dans l’Encyclopédie canadienne. C’est une petite étude de géographie statistique et économique. remplie d’idées neuves et de suggestions précises et pratiques. Si les conseils du docteur eussent été écoutés et ses projets exécutés, l’Assomption fût vite devenue l’un des centres les plus actifs et les plus prospères de la province. Le malheur fut que, pour la plupart de ses concitoyens, il paraissait devancer son temps. En fait, il proposait des réformes et des travaux qui ne seront exécutés qu’un siècle plus tard. Voici, en raccourci, ce que réclamait le docteur Meilleur :
1
La facilité des communications:
a Avec le nord, par l’entretien d’une bonne
voie carrossable;
b Avec Montréal,
par le creusage de la rivière de l’Assomption;
2 La fondation d’un collège classique;
3 L’érection de halles pour marché public;
4 L’établissement d’une imprimerie et la publication d’un "papiergazette";
5 La construction d’un pont franc de péage, en face du village.
Le docteur Meilleur terminait l’exposé de ses plans de progrès par ces paroles, qui nous livrent toute la sincérité de son coeur: "Le principe qui me guide dans mes actions publiques me fait perdre de vue l’opinion et l’intérêt particulier de quelques-uns de mes concitoyens, même de mes meilleurs amis, pour n’envisager que le bien du plus grand nombre, que j‘aime et désire voir s’opérer en tout lieu. Le bien général est l’unique but que je m’efforcerai toujours d’atteindre, nonobstant l’estime que j’ai pour les uns et la considération que je dois aux autres, dont les idées et les intérêts particuliers pourraient se trouver dans l’opposition".
Cette déclaration de principes n’est évidemment pas d’un démagogue. Meilleur, qui fit de la politique et dut solliciter les suffrages du peuple, était avant tout un sincère. Il se fût mal accommodé de la tactique moderne des promesses électorales.
C’est ce même esprit—de droiture et d’indépendance qu’il manifestera dans ses Lettres sur l’éducation populaire.
Son Mémorial de l’éducation nous apprend par quelles circonstances il fut amené à publier ces Lettres et quelles en furent les idées maîtresses. "Elles furent écrites, y dit-il, à la demande spontanée de Lord Durham, par l’entremise de l’honorable Arthur Buller, attaché à l’administration de Sa Seigneurie... Nous nous sommes échangé, l’hon. Arthur Buller et moi, sept lettres sur le sujet de l’éducation: les miennes proposant les principes que je désirais faire passer en loi, et les siennes quelques petits commentaires, sans pourtant faire aucune proposition contraire aux miennes. Je faisais en même temps publier mes lettres sous le pseudonyme C.D., dans un journal périodique de Québec, afin de permettre à l’opinion publique de se prononcer sur le sujet, sans préjugé, ni prévention, sans autre intérêt que celui de la chose, et je priais l’hon. Buller de recueillir l’expression de cette opinion et d’en faire le profit de la cause. J’étais d’autant plus porté à en agir ainsi que des propositions contraires aux miennes se publiaient simultanément sur le même sujet dans les journaux de Montréal".
Cette prudence chez Meilleur n’était pas hors de saison dans une question aussi grave et dans les temps extrêmement difficiles où il la traitait. Quand on étudie la période douloureusement troublée qui va de 1837 à 1840, on s’arrête plutôt à l’histoire des luttes politiques et des échauffourées militaires qui eurent une fin si tragique, alors que la constitution fut suspendue, que l’effort des "patriotes" fut noyé dans le sang et le feu, et que plusieurs des nôtres durent passer en exil ou subir la pendaison. Pris par la lecture de ces pages angoissantes, nous oublions facilement qu’une autre partie, cependant très vitale pour notre race, se jouait autour de l’école.
De 1824 à 1841, l’Assemblée législative n’avait pas moins de six fois légiféré sur la question des écoles; mais aucune organisation ne s’était trouvée efficace et ne répondait aux voeux légitimes de la population. Les gouverneurs, se souvenant qu’une "loi qui change toujours n’est que désordre" (le chancelier Bacon), étaient désireux d’en arriver à un système d’éducation effectif et stable. De là, l’invitation que Durham fit à Meilleur d’exposer ses vues personnelles sur la question, litigieuse.
La tâche de Meilleur était ardue. Il devait se heurter au mauvais vouloir traditionnel des bureaucrates. Même chez ses compatriotes, il allait avoir affaire à toute une école dont sa droite raison et sa conscience réprouvaient la doctrine. Ces opposants voulaient le patronage du système scolaire par le gouvernement, le mode de contribution coercitif et obligatoire, fondé sur la superficie des propriétés immobilières.