Culture et patrimoine

Table ronde : I’Acadie et les arts

Luc A. Charette
Directeur de la Galerie d’art de l’Université de Moncton

René Cormier
Directeur général et artistique du Théâtre populaire d’Acadie


Luc A. Charette

Directeur de la Galerie d’art
de l’Université de Moncton
NOUVEAU-BRUNSWICK

Le développement des arts visuels en Acadie en est encore à ses premiers balbutiements quand on considère la question dans une perspective nationale et internationale.

En Acadie, on confond encore art et artisanat. La question n’est pas d’ordre qualitatif, mais plutôt d’ordre historique et philosophique. Les philosophes ont longtemps affirmé que les conditions de génie, de don inné et de production étaient identiques pour réaliser une oeuvre artistique et une oeuvre artisanale. Ce n’est qu’après la Renaissance que la distinction est apparue dans la culture occidentale, et les esthéticiens d’aujourd’hui s’accordent sur l’unicité de la production artistique,

L’esthétique moderne n’admet pas la pièce artisanale dans le monde des arts dits « visuels », si belle et si spectaculaire soit-elle. Il n’est pas question ici de dévaluer l’artisan par rapport à l’artiste, mais uniquement de discuter de la démarcation entre les deux pratiques afin de ne pas juger l’une selon les critères propres à l’autre.

Sur la scène internationale, les questions d’auto-identité sont au centre des préoccupations artistiques actuelles, et la tendance politically correct qui prévaut est en quelque sorte le chien de garde contre l’appropriation culturelle. Dans le domaine de l’art contemporain, les règles de la profession sont clairement définies et obligent souvent les artistes professionnels à évoluer à l’intérieur d’un cadre spécifique où les démarcations entre peinture, sculpture, photographie, etc., sont choses du passé. Même le terme « artiste visuel » s’avère désuet puisqu’il ne s’agit plus de productions strictement visuelles; nombre d’artistes contemporains utilisent l’installation sonore et la performance dans leurs oeuvres.

Les critères d’évaluation ont suivi le mouvement évolutif de la discipline artistique. Quand on parle d’art, on ne se réfère plus à la beauté esthétique et à la dextérité manuelle, mais surtout à l’activité cérébrale, à la recherche tant dans le choix du sujet que dans l’angle sous lequel il est abordé. On ne peut plus juger l’art contemporain avec les critères d’antan.

Cela dit, il apparaît extrêmement important d’étudier plus à fond la production qui émerge de l’Acadie, où l’on a encore tendance à confondre art et artisanat. À ce jour, aucun de nos artistes dits « visuels » n’a encore réussi à faire carrière sur la scène nationale ou internationale, et si notre désir collectif est de voir nos artistes franchir cette étape, nous devons d’abord appuyer les plus sérieux. À cet effet, nous devons parfaire notre système d’éducation en matière d’art afin d’être en mesure de reconnaître ceux et celles qui pratiquent un art selon les problématiques actuelles et qui exercent leur profession en tenant compte des caractéristiques contemporaines. Et vous conviendrez qu’en Acadie, ces artistes dits «visuels » ne sont pas au nombre de centaines, mais bien plus près de la quinzaine.

 


René Cormier

Directeur général et artistique
du Théâtre populaire d’Acadie
NOUVEAU-BRUNSWICK

Les arts de la scène en Acadie ont longtemps pris la forme d’activités d’amateurs destinées exclusivement à divertir. Toutefois, dans les années 1970, cette expression artistique s’est de plus en plus imposée aux Acadiens comme un moyen privilégié d’exprimer leurs préoccupations, dans l’effervescence du mouvement nationaliste de l’époque. Les Acadiens se dotèrent alors d’outils professionnels et de lieux propices à la création. Les boîtes à chansons se multiplièrent, le Théâtre populaire d’Acadie et le Théâtre de l’Escaouette virent le jour, l’Université de Moncton mit sur pied son département d’art dramatique... Des auteurs commencèrent à publier; une dramaturgie et un répertoire de chansons émergèrent. Puis des troupes de danse moderne, doublées d’écoles, sont venues s’ajouter aux troupes de danse folklorique.

Au cours des années 1980, l’expression artistique acadienne s’est détachée du nationalisme. La question nationaliste semblait dépassée, ou elle s’exprimait autrement et l’on s’interrogeait sur la teneur de ce discours. Ce mouvement a favorisé parmi les artistes acadiens une certaine diversité qui a produit deux courants : les artistes qui partent pour les grands centres et ceux qui restent en Acadie pour chaque jour la créer.

Il s’en est suivi une crise d’identité dans le milieu artistique acadien, du moins pour les arts de la scène: Qu’est-ce qui est du théâtre acadien et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Si Louis Mailloux et La Bringue sont facilement identifiables au répertoire acadien, d’autres pièces le sont moins. Même chose pour la musique, même chose pour la danse. Et l’artiste qui part pour Montréal est-il moins acadien parce que « exilé » et celui qui demeure en Acadie est-il moins professionnel parce que non reconnu sur la scène nationale ?

Personnellement, je trouve dangereux d’affirmer que « l’Acadie, c’est dans mon cœur, c’est dans ma tête » et que ça s’arrête là. Quand je travaillais en France et au Québec, j’avais l’impression de me développer, moi, comme artiste. Depuis que je suis revenu en Acadie, j’ai l’impression de travailler à quelque chose de plus grand que moi, à un geste collectif, et je considère qu’il est extrêmement important qu’on reconnaisse, en tant qu’Acadiens et Acadiennes, l’existence d’un lieu de création proprement acadienne, qui peut se situer ici, dans les provinces Maritimes. Et cela n’exclut personne.

Il est sain d’avoir des artistes qui portent le message à l’extérieur et d’autres qui restent pour « garder le trésor ». Il faut des deux. Les gens qui font l’Acadie d’aujourd’hui doivent contribuer à ce trésor-là si l’on ne veut pas se retrouver avec des messagers qui n’aient plus rien à porter qu’un trésor vide.