Le développement de l'Institut pédagogique a débuté vers la fin des années soixante. Lors de sa première campagne électorale en 1969, M. Edward Schreyer et son Parti nouveau-démocrate avaient promis de redresser une injustice que subissaient les canadiens-français du Manitoba depuis 1916 lorsqu'ils avaient perdu leur droit à une éducation totalement en français.
Or, même si les gouvernements antérieurs avaient accordé déjà certains droits à l'enseignement en français, nos enseignants recevaient leur formation pédagogique en anglais et il y avaient pénurie de services ministériels en français: matériel et conseillers pédagogiques, recyclages, bibliothèques scolaires, bourses d'études, programmes d'échanges étudiants, etc. Tout était à bâtir dans ce domaine.
M. Schreyer et son parti furent élu avec une voix de majorité en juin 1969. M. Schreyer fit une alliance politique avec M. Laurent Desjardins, député libéral de Saint-Boniface et promis d'accorder un Institut pédagogique et un Centre culturel français et les services ministériels indispensables pour la mis en marche d'une éducation française. M. Desjardins avait été désigné pour mettre en branle cet énorme chantier. C'est ainsi que dès l'automne 1970, il forma une équipe de travail composée de M. Gérald Backeland, M. Arthur Corriveau et de Fernand Marion, c.s.v.
On fit appel à l'expertise du père Stéphane Valiquette, s.j., dernier recteur jésuite du Collège de Saint-Boniface, du père Cormier, c.s.c., fondateur de la Faculté d'éducation de l'Université de Moncton. On consulta les professeurs francophones de la Faculté d'éducation du Manitoba, les professeurs du Collège de Saint-Boniface dont le doyen, M. Origène Fillion.
De nombreux comités d'enseignants furent mis sur pied pour connaître leurs besoins. Tout ce branle-bas pour arriver à faire des recommandations précises au gouvernement. Un texte de loi mettant l'enseignement en français sur pied d'égalité avec l'enseignement en anglais avait été soigneusement préparé sous la direction du juge Alfred Monnin, et fut voté et proclamé à l'occasion du centenaire de l'entrée en Confédération de la province du Manitoba en juin 1970. Dès septembre 1972, la première classe d'étudiants en pédagogie commença ses cours au Collège universitaire de Saint-Boniface. Au début, plusieurs professeurs chargés de cours dispensaient l'enseignement. J'étais un de ceux-là, ayant la responsabilité d'un cours d'administration scolaire. Cependant, en peu de temps, un personnel à temps plein s'est formé.
Le petit noyau de francophones qui travaillaient au Ministère de l'éducation fut élargi afin d'offrir tout une gamme de services en français. Le sous-ministre de l'éducation de l'époque, M. Lionnel Orlikow, fit appel à l'expertise d'un fonctionnaire du Québec, M. Olivier Tremblay pour mettre sur pied ce qui est devenu en 1974, le Bureau de l'éducation française. Le premier sous-ministre-adjoint fut M. Raymond Hébert chargé de diriger ce Bureau. Dès lors, se développèrent une foule de programmes et de services pour seconder les enseignants, les commissions scolaires et la Faculté d'éducation du Collège universitaire de Saint-Boniface.
Au cours des étés 1976 à 1979 le Bureau de l'éducation française en collaboration avec le Collège de Saint-Boniface et le ministère des Affaires intergouvernemental du Québec, organisa des cours de pédagogie à Cap-Rouge à l'intention des enseignants francophones des quatre provinces de l'Ouest canadien. Le premier contingent se chiffraient à 75 participants. M. Antoine Gaborieau et Fernand Marion ont été les directeurs des ces cours. Ce programme permettait aux enseignants de vivre dans un milieu linguistique et culturel francophone et fut un grand succès.
Personnellement, j'ai été doyen par intérim de la Faculté d'éducation pour trois ans, de 1984 à 1987. C'était au plus fort des inscriptions à la Faculté. Nous avions alors plus de 75 finissants. Le placement de ces finissants comme stagiaires dans les écoles était un défi de taille car en plus des finissants, il fallait prévoir le placement de dizaines d'autres étudiants de la première et deuxième années en pédagogie. Notons qu'en général la collaboration fut très bonne. Les enseignants coopérants et les directeurs d'école se montraient toujours accueillants envers ces jeunes qui se préparaient à entrer dans la profession d'enseignant.
Fernand Marion, c.s.v.
Une étude par Roger Legal en 1985 est intitulée: L'Évolution du Collège universitaire de Saint-Boniface entre 1967 et 1983 : exposé historique et comparaison de diverses interprétations vis-à-vis de certains changements majeurs survenus traite en long et en large des points soulevés par divers répondants sondés pour expliquer la création de l'Institut pédagogique. Le cadre méthodologique de l'étude oblige d'étaler les éléments ainsi recueillis sur vingt-quatre (24) pages. La lectrice ou le lecteur intéressé par les aspects méthodologiques pourra consulter l'étude intégrale; par ailleurs, la lectrice ou le lecteur intéressé strictement au fond de la question se satisfera du condensé qui suit.
Des entrevues ont été menées par l'auteur auprès de quatre (4) représentants de chacune de six (6) entités. Deux des six entités étaient internes au Collège universitaire de Saint-Boniface, soit l'entité des employés professionnels dont les répondants étaient Paul Ruest, Antoine Gaborieau, Normand Collet et Lionel Fréchette; et l'entité Conseil d'administration représentée par Léo Couture, Alfred Monnin, Maurice Gauthier et Normand Boisvert. Les quatre autres entités étaient externes; il s'agissait de : la Communauté franco-manitobaine, l'Université du Manitoba, le Gouvernement du Manitoba et le Gouvernement du Canada. Les représentants de la Communauté franco-manitobaine étaient Gilberte Proteau, Jean Gisiger, Albert Lepage et Vincent Dureault. Les intervenants associés à l'Université du Manitoba étaient F.G. Stambrook, Eric D. MacPherson, Marcel A. Bonneau et Terrence P. Hogan. Pour le Gouvernement du Manitoba, W.C. Lorimer, Ronald Duhamel, Laurent Desjardins et Guy Roy ont agi à titre de répondants. Enfin, ce sont Roger Collet, Joseph P. Guay, Gildas Molgat et Robert Bockstaël qui ont été les porte-parole du Gouvernement du Canada.
Les vingt-quatre répondants ont chacun individuellement avancé divers points qui expliquaient, selon eux, la création de l'Institut pédagogique. Ces divers points ont été traités suivant un processus opérationnel constitué en trois analyses concentriques superposées; analyse intra-entité, analyse inter-entité/intra-groupe et analyse inter-groupe (consulter l'étude intégrale pour de plus amples détails relatifs à la méthodologie.
Onze (11) points émergent jouissant d'un haut niveau de consensus entre les intervenants de tous les groupes pour expliquer la création de l'Institut pédagogique. Ces onze points sont les suivants:
-prise de conscience par les Franco-Manitobains du phénomène de leur assimilation grandissante;
-vague nationale favorisant le développement des communautés linguistiques;
-recommandation de la Commission Laurendeau-Dunton visant la création d'un
- accession au pouvoir au niveau provincial du gouvernement Schreyer;
- adoption en 1970 de la Loi 113 permettant l'enseignement totalement en français et constatation du besoin de former des maîtres en français pour dispenser cet enseignement;
-pressions de la Société Franco-Manitobaine;
-adoption de la Loi 59 par le gouvernement conservateur de Duff Roblin en 1967, accordant le droit à l'enseignement en français la moitié du temps;
-absence depuis 1968 de l'Association d'Éducation des Canadiens-Français du Manitoba qui assurait indirectement certains aspects de la formation des maîtres francophones depuis que l'École Normale française avait dû fermer ses portes en 1916;
-révolution tranquille au Québec qui a fourni une inspiration à la Communauté franco-manitobaine;
- accession au pouvoir au niveau fédéral du gouvernement Trudeau et du noyau de French Power qui a contribué à diminuer le complexe d'infériorité des Franco-Manitobains;
-adoption de la loi fédérale sur les langues officielles en 1969
C'est une histoire que l'on ne saurait taire...
Texte de Roger Legal, Doyen de la Faculté d'éducation. Composé en 1985
La création de l'Institut pédagogique en 1972
institut pédagogique francophone pour l'Ouest canadien;