La pêcheL'architecture

Chapitre 2:

La vie quotidienne acadienne

Deux métiers prédominent en Acadie depuis le grand dérangement: la pêche et l’agriculture. Ces métiers ont grandement influencé la culture acadienne.

L’agriculture ou les «défricheurs d’eau»



Nous avons parlé auparavant du rôle de Louis Hébert, le premier fermier d'Amérique du Nord. Lorsque les premiers colons arrivent de France, ils doivent, comme les Hollandais, s'approprier les terres basses de la mer. «Les premiers colons à Port-Royal s’étaient aperçus de la richesse de ces terres et avaient inventé une façon de les endiguer pour les préserver des inondations des marées. De longues digues furent donc construites le long des rivières déversant dans le bassin d’Annapolis et, à mesure que les colons se dispersaient à travers la province, dans la région du bassin des Mines et de Beaubassin.»21

La construction des digues est un travail qui peut seulement se faire quand la marée est basse. Donc, comme au Québec, et par la suite dans l’Ouest, les Acadiens apprennent vite ll'importance de la coopération. Des corvées sont organisées pour bâtir les digues. Une fois que ces digues sont construites, et que le sel s'est écoulé (quelques saisons sont nécessaires), les fermiers ensemencent des céréales, du foin et des légumes sur ces terres fertiles.

À cause de cette pratique qui consiste à approprier les terres fertiles de la mer, les Acadiens ont été nommés «Les défricheurs d’eau». «Même s’il est resté très semblable à son frère de Nouvelle-France, il est un domaine exclusif au fermier acadien, duquel il demeure le spécialiste incontesté et c’est la culture des marais.»22

Le fermier acadien a souvent été accusé d'être paresseux. Pourtant, la culture des marais est plus difficile et demande plus de travail que la culture des champs, car il faut bâtir les aboiteaux (digues) avant même de commencer à cultiver le terrain. Ce n'est certainement pas un métier pour un homme parresseux.

Les Acadiens apprennent vite l'importance de la coopération: la culture des marais devient un travail qui requiert toute la communauté. «Les terres marécageuses étaient généralement réparties entre les membres d’un village ou d’une communauté. L’entretien des aboiteaux sera donc à caractère très social. Lorsqu’il y a une brèche dans une levée et que la marée montante menace d’inonder, chacun, sans se préoccuper de savoir si c’est sa partie de la levée qui est brisée, va avec ses voisins la “rapiécer”. Car le danger menace tous les fermiers puisque chacun est propriétaire d’une partie du pré.»23

Dans ces marais, on ensemence des céréales et des légumes de toutes sortes comme des choux, des navets et des pois. «À l’automne, ils amassaient des tas de ces légumes dans les champs et les couvraient de foin; la neige venait ensuite les recouvrir. Ainsi, les légumes restaient frais jusqu’au printemps, et les habitants pouvaient en prendre quand ils en avaient besoin.»24

Dans certaines régions, on utilise les marais seulement pour le foin. «Légèrement salé, ce fourrage est excellent pour la diète des vaches. De plus, autre avantage, il reste vert tard dans la saison.»25

Avant la déportation, les Acadiens étaient surtout fermiers. Lorsqu’ils reviennent en Acadie après le grand dérangement, ils s’établissent cette fois dans la région nord du Nouveau-Brunswick et deviennent principalement pêcheurs. De plus, les méthodes agricoles ont changé au cours des années. «Ce métier de “défricheur d’eau” vieux comme l’Acadie et en quelque sorte unique à celle-ci, est aujourd’hui en train de disparaître et avec lui une science teintée de poésie.»26

La pêche



Lorsque les Acadiens regagnent leur pays d'origine, après le grand dérangement, ils ne peuvent reprendre leur ferme car elles sont maintenant entre les mains des Anglais et des Écossais, des Allemands et des Américains. Plusieurs d’entre eux choisissent alors d’aller s’établir dans le nord-est du Nouveau-Brunswick. Là, ils fondent de nouvelles communautés avec des noms comme Shediac, Bouctouche, Tracadie, Shippagan et Caraquet.

La plupart vivent dorénavant de la pêche. La morue est pendant longtemps le seul poisson acheté par les compagnies anglaises, mais les Acadiens pêchent aussi le saumon, le maquereau et le hareng. Mais puisque c’est la morue que les Anglais veulent, c’est ce poisson qu’on pêche. «Toujours vendue salée ou séchée, on l’exporte dans des barils.»27

À cause de son importance économique et sociale, la pêche devient un élément clé de la culture populaire acadienne. Il n’est donc pas surprenant de trouver des références à la pêche et à la mer dans les contes, les chansons (et les complaintes28) et dans le théâtre de l’Acadie.

Parfois, les récits de la mer sont tirés d’un lointain passé, mais dans d’autres cas il peut s’agir d’un événement qui est arrivé récemment. Voici deux extraits de complaintes acadiennes. Une raconte l’histoire de Firmin Gallant, mort en mer en 1862, tandis que l’autre relate l’histoire d’un bateau qui chavire en 1959 à Baie-Sainte-Anne au Nouveau-Brunswick.


La complainte de Firmin Gallant
(23 juin 1862)


«C’est dans notre petite île
Nommée du nom de Saint-Jean,
De Rustico quelques milles,
J’entrevois un cher enfant.
Dans une petite barque,
Du rivage bien éloigné,
Qui par beaucoup de recherches
Ses filets s’en va chercher.
Survint une vague haute,
Le bateau a chaviré.
À moins d’un mille de la côte
Ce cher enfant s’est noyé.
Étant au fond de l’abîme
Ce cher enfant a crié:
“Dieu qui mesurez l’abîme,
“Oh! daignez (me) délivrer.”»29
Le désastre de Baie-Sainte-Anne
(20 juin 1959)


«La chanson que je m’en va’s vous chanter,
C’est sur le malheur qui est arrivé.
C’était un vendredi soir,
Les pêcheurs ont été driver,30
La tempête s’est élevée
Il y en a la moitié qui sont noyés.»31












Cette complainte compte un total de onze couplets. L’auteur, bien sûr, ne révèle pas le nom du cher enfant avant le dernier couplet.

Puisque ces complaintes viennent de la tradition orale et qu’elles n’ont été écrites que récemment, il peut souvent y avoir plusieurs versions d’une même complainte.

Dans la tradition acadienne, comme au Québec, on va également trouver des complaintes à propos de la vie en forêt, des départs de la maison familiale, mais nombreuses sont celles qui chantent les malheurs de la mer. C’est que la pêche est très importante pour les Acadiens.