Chapitre 3:

Le nationalisme acadien

Après le grand dérangement, il n’est pas surprenant que les Acadiens, de retour au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, essayent de se soustraire au regard d’une population anglophone qu’ils considèrent comme une ennemie. Ils choisissent alors «des régions isolées, évitant de se faire connaître ou d’attirer l’attention sur eux. Ils y réussirent si bien qu’ils finirent par s’ignorer eux-mêmes.»39 Le poète américain, Henry Wadsworth Longfellow, auteur du poème Évangeline (1847), dit des Acadiens: «les pères sont revenus de l’exil pour mourir dans leur pays natal.»40 Ils reviennent, selon Longfellow, pour mourir dans l’oubli.

Il est intéressant de noter qu’on voit le début d'une «Renaissance» acadienne à peu près au moment de la publication du poème Évangeline. C’est vers le début des années 1850 qu’on voit un réveil chez les Acadiens. Certains sont élus à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, ou même au Parlement canadien. C’est à ce moment qu’on commence à s'intéresser à l’éducation des jeunes.

En 1854, c’est l’ouverture du séminaire Saint-Thomas à Memramcook, dont la mission est de donner un enseignement supérieur aux Acadiens. En 1864, on voit la fondation du collège Saint-Joseph. Enfin, en 1867, année de la Confédération canadienne, c’est la création du journal français acadien, Le Moniteur Acadien.

Le congrès national de 1881



Même s’il reconnaît l’importance de chacun de ces événements sur le développement culturel et nationaliste des Acadiens, l’historien Émery Leblanc est d’avis que la «Renaissance» ne commence pas vraiment avant 1881. «Mais c’est à partir du congrès national de 1881 que les Acadiens ont commencé à vivre comme entité distincte.»41

Comme ce sera le cas en Saskatchewan en 1912 avec la fondation de l’ACFC, c’est un événement survenu au Québec qui pousse le peuple acadien à se regrouper en association nationale. En 1880, c’est la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec qui invite le peuple acadien à la célébration de sa fête nationale. «Vous viendrez, aussi, Acadiens courageux et fidèles, race indomptable que ni la guerre ni la proscription n’ont pu courber ni détruire, rameau plein de sève, violemment arraché d’un grand arbre mais qui renaît et reparaît au soleil de la liberté.»42 En 1912, c’est la grande convention de la Société du Parler Français à Québec qui pousse les Franco-Canadiens de la Saskatchewan à se regrouper.

Un autre point commun qu’on retrouve entre les Acadiens de 1880 et les Franco-Canadiens de la Saskatchewan de 1912, c’est que les délégations, dans les deux cas, sont formées de prêtres et d’hommes politiques. Les femmes sont exclues, dans les deux cas.

Un an plus tard, les 20 et 21 juillet 1881, un grand congrès a lieu à Memramcook. Plus de 5 000 Acadiens participent à ce premier congrès national. Un comité de 12 hommes essaie de choisir une date pour «la fête nationale des Acadiens». Certains veulent le 24 juin, la Saint-Jean-Baptiste. D’autres veulent le 15 août, fête de l’Assomption.

Le lendemain, après un débat houleux, on s’accorde pour choisir le 15 août comme jour de la fête nationale des Acadiens. Débats houleux? Au point même que des Acadiens accusent d'autres d’être vendus ou assimilés: «les esprits s’échauffaient et on en vint aux personnalités, reprochant par exemple à certains Acadiens d’angliciser leur nom ou d’épouser des anglaises.»43

Trois ans plus tard, lors d’un deuxième congrès national à Miscouche, sur l'Île-du-Prince-Édouard, les délégués ont adopté la proposition suivante: «Que le drapeau tricolore soit le drapeau national des Acadiens-français. Comme marque distinctive de la nationalité acadienne, on placera une étoile, figure de Marie, dans la partie bleue, qui est la couleur symbolique des personnes consacrées à la sainte Vierge.»44

Donc, comme on peut voir, petit à petit les Acadiens se munissent d’outils qui favorisent le développement de leur culture: journal, association nationale, drapeau, écoles.

Dans le domaine de l’éducation, l’établissement de séminaires, comme celui de Memramcook et le collège Saint-Joseph, mènent en 1961 à la création de l’Université de Moncton.

Comme en Saskatchewan, une autre structure sociale permet au peuple Acadien de survivre et éventuellement de grandir et de développer sa culture: c’est l’Église. Comme c’est le cas au début du XXe siècle en Saskatchewan, les curés sont les chefs spirituels et politiques des Acadiens. Comme les Acadiens ont leurs abbés Le Loutre, Doucet et Cormier, nous en Saskatchewan nous avons nos Myre, Baudoux, Mathieu, Royer et Gravel.

La culture acadienne compte 300 ans d’histoire, de peines et de joies. Elle continue à s’adapter de jour en jour, empruntant ici et là. Vibrante, cette culture se traduit par des chants, des romans, des histoires de ses fils et de ses filles. Réveille chanté par Édith Butler rappelle le grand dérangement de 1755, mais UIC du groupe 1755 raconte aussi les peines et les misères des Acadiens d’aujourd’hui. Et, bien sûr, il y a les chansons de la mer: les complaintes, comme La complainte de Pierre à Eusèbe.


«Approchez-vous si vous voulez entendre
Une complainte qui vous fera comprendre,
Que l’homme n’est pas pour toujours ici-bas,
Mais qu’un seul pas peut le conduire au trépas.»45