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Chapitre: 2 La pertes des nôtres


«Il y a des Fransaskois qui ne le sont que de nom ayant accepté la langue, les valeurs, les schèmes de pensée de la majorité.»5

Ils sont venus nombreux, les fils et les filles
La demeure d'un des
premiers colons
de France, de Belgique et de Suisse pour s’établir dans la Prairie de la Saskatchewan. Ils sont venus pour s’éloigner de la persécution religieuse, de la pauvreté et de la guerre. Ils sont venus plus nombreux du Québec et de la Nouvelle-Angleterre; ils sont venus parce qu’il n’y avait plus de bonnes terres agricoles au Québec, parce qu’ils n’aimaient pas vivre dans les grandes villes industrialisées de la Nouvelle-Angleterre ou tout simplement parce que la Saskatchewan offrait une belle occasion pour un jeune professionnel de s’établir juriste, médecin ou enseignant.

Les colons de langue française sont venus nombreux bien qu’on se soit souvent plaint que le gouvernement fédéral ait encouragé l’immigration des Slaves au détriment de celle des Canadiens français et des Français. Bien sûr, au Québec le clergé catholique n’encourageait pas beaucoup l’émigration des Canadiens français. Dans Le Patriote de l’Ouest du 16 mai 1912, Amédée Cléroux, agent de colonisation du gouvernement fédéral en Saskatchewan, publie une lettre du père A.M. Josse, o.m.i., missionnaire-colonisateur à Grande-Prairie en Alberta. Selon le missionnaire oblat, «la faute, la grande faute, c’est que l’on n’a point assez prêché la bonne croisade parmi les Canadiens Français.»6

Entre 1885 et le début de la crise économique des années 1930, la population de langue française des anciens districts d’Assiniboia et de la Saskatchewan des Territoires du Nord-Ouest (la Saskatchewan, après 1905) est passée de moins de 700 personnes à plus de 50 000.

Au cours des années, depuis la crise économique, le nombre de personnes parlant français a diminué de façon dramatique au point qu'aujourd’hui il est d'environ 10 000. Où sont allés les autres francophones? Ont-ils quitté la province pour aller s’établir ailleurs ou ont-ils été assimilés selon la définition de 1840 «Action d’assimiler des hommes, des peuples; processus par lequel ces hommes, ces peuples s’assimilent.»7 Ont-ils accepté la langue, les valeurs, les schèmes de pensée de la majorité?


L'enseignement

Depuis le début du siècle, les francophones se sont battus pour sauvegarder leur langue et leur culture: pour ne pas être assimilés. L’éducation a été l'arène principale des luttes pour la survivance des Franco-Canadiens de la Saskatchewan. Et c’est toujours par l’éducation qu’on espère freiner la perte des nôtres.

Au début de la colonisation de l’Ouest canadien, le français, comme l’anglais, est la langue officielle des Territoires du Nord-Ouest. Graduellement, au cours des années, les droits des francophones sont abolis par la majorité anglophone. C’est surtout grâce à l’enseignement que les Franco-Canadiens de la Saskatchewan espèrent assurer leur survivance en Saskatchewan.

Lorsque l’Acte des Territoires du Nord-Ouest est adopté en 1875, il prévoit des dispositions pour l’enseignement en français et la création de districts scolaires français. «... il y sera toujours pourvu qu’une majorité de contribuables d’un district ou d’une partie des Territoires du Nord-Ouest, ou d’aucune partie moindre ou subdivision de tel district ou partie, sous quelque nom qu’elle soit désignée, pourra y établir telles écoles qu’elle jugera à propos, et imposer et prélever les contributions ou taxes nécessaires à cet effet...» 8 Les Canadiens français catholiques peuvent donc établir des districts scolaires séparés où leur langue et leur foi font partie du programme d’enseignement. Le français est également utilisé à l’assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest.

Mais par la suite, on commence à limiter le droit à l’enseignement du français. En 1988, des règlements limitent l’enseignement du français dans les Territoires en obligeant l’enseignement de l’anglais. Une ordonnance déclare que les commissaires de toutes les écoles devront s’assurer «qu’un cours primaire soit offert en anglais».9 Il n’est même pas question du français dans cette ordonnance.

Une nouvelle ordonnance de l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest, en 1892, restaure le cours primaire en français, celui qui avait été permis jusqu’en 1888, et permet aussi l’enseignement d’un cours de religion, pourvu que ce cours soit donné durant la dernière demi-heure de la journée. Mais ce qui a particulièrement choqué les Canadiens français, et leur clergé, c’est la perte du droit d’administrer les écoles. «Au plan religieux également, la situation était sérieusement compromise, puisque les catholiques avaient perdu le contrôle de leurs écoles.»10

Lorsque la province de Saskatchewan est créée en 1905, la nouvelle Loi de la Saskatchewan prévoit «le droit d’établir des écoles séparées, non-confessionnelles, sujettes aux règlements du Ministère de l’Éducation.»11 Et les choses semblent bien aller jusqu’au début de la première guerre mondiale, en 1914. Puisqu’ils ont souvent tendance à se regrouper dans des régions spécifiques (Gravelbourg, Ponteix, Bellegarde, Saint-Denis, Bellevue, Debden) les francophones établissent leurs propres districts scolaires et écoles où ils continuent d’enseigner le français.

Il y a souvent pénurie d’enseignants de langue française en Saskatchewan et les Franco-Canadiens sont obligés de fermer plusieurs écoles françaises. Les dirigeants de l’ACFC se joignent à leurs confrères du Manitoba et de l’Alberta pour former l’Association Interprovinciale en 1917. «Le nouvel organisme recrutait des enseignants bilingues au Québec et en Ontario en plus d’assurer leur entretien pendant un séjour obligatoire à l’école normale de la Saskatchewan. L’A.I. accordait aussi des prêts aux jeunes Franco-Saskatchewanais qui suivaient les cours d’une école normale au Québec ou en Saskatchewan. Elle jouait le rôle de “bureau de placement” en tenant à jour la liste des postes libres et en se chargeant de la correspondance avec les instituteurs intéressés par l’un ou l’autre des postes.»12

Mais lorsque la guerre éclate en 1914, les Canadiens français votent contre la conscription alors que bon nombre d’anglophones désirent venir en aide à la mère patrie (Angleterre). Des sentiments anti-français se développent donc chez les Anglais de la province, comme il s'en développe contre les Allemands. Dans ses mémoires, Raymond Denis raconte l’atmosphère qui règne dans la province à cette époque: «Nous ne pouvions pas assister à une assemblée quelconque sans entendre crier “les Frenchmen dans Québec” et dans toutes les réunions, commissaires d’écoles, personnel enseignant, même chez les “Grain Growers” on n’entendait qu’un cri qui était devenu un slogan: “Une langue, une école, un drapeau”, c’est-à-dire la langue anglaise, l’école anglaise et le drapeau anglais.»13

Le gouvernement libéral de la Saskatchewan décide alors en 1918 d’adopter un amendement à la Loi des écoles. «Le Gouvernement libéral, dirigé par l’Honorable M. Martin, gouvernement qui, jusque-là, s’était montré plutôt tolérant, changea brusquement d’attitude et annonça qu’il allait soumettre à la législature un projet de loi qui allait régler une fois pour toutes la question des écoles.»14 Comment allait-il régler l’affaire? «L’enseignement ne serait plus donné qu’en anglais dans toutes les écoles, bien que les commissions scolaires aient encore eu le droit d’autoriser l’enseignement d’une heure de français par jour.»15

Durant les années 1930, le gouvernement conservateur de la Saskatchewan modifie la Loi des écoles mais les Franco-Canadiens ont toujours droit à l’enseignement d’une heure de français par jour.

Malgré ces changements, le nombre de personnes parlant français reste sensiblement le même jusqu’à la fin des années 1950 puisque presque tous les Franco-Canadiens sont isolés dans leur ferme ou réunis dans des petits villages ayant une forte concentration de francophones. Ils parlent régulièrement français entre eux et, dans bien des cas, les enfants vont seulement apprendre l’anglais à l’école. Le clergé décourage les mariages exogames; il encourage même des mariages entre cousins pour que les deux conjoints soient francophones et catholiques.

Il est alors relativement facile de s’isoler des méfaits de l’assimilation. Dans bien des cas, les petites écoles de campagne, tout en respectant la loi scolaire et en n'enseignant qu'une heure de français par jour, sont un bassin de promotion de la langue française. La langue d’usage à la récréation est le français comme elle est généralement la langue d’usage lorsque vient le temps de préparer le concert de Noël. À la maison, on lit des livres en français et on s’abonne à des journaux et à des revues de langue française. Puisqu’il n’y a pas encore de télévision, les soirées se passent en famille à jouer aux cartes, à chanter des vieux chants traditionnels français ou à conter des histoires. Avec les frères et soeurs ou avec les amis, les jeux sont en français.

Mais, qu’advient-il lorsque les murs de cet isolement sont brisés? Qu’advient-il lorsqu’on ferme les petites écoles de campagne pour établir des écoles centralisées? Qu’advient-il lorsque les Franco-Canadiens abandonnent leur ferme et leur petit village pour se diriger vers la grande ville pour étudier à l’université ou pour trouver du travail? Qu’advient-il lorsque le clergé perd son influence et que les mariages mixtes deviennent en vogue? Enfin, qu’advient-il lorsque le plus puissant médium au monde, la télévision, et il n'y a que la télévision anglaise, envahit les foyers francophones? C’est l’assimilation galopante!