Chapitre 3

La Politisation
Introduction...

Depuis le début de son existence, certains ont cherché à politiser l’Association jeunesse fransaskoise, à en faire un organisme à l’image de l’ACFC, soit une association de revendication. Dès la première rencontre des jeunes francophones du sud de la Saskatchewan organisée par l’ACFC au Collège Mathieu de Gravelbourg en 1965, l'ACFC cherche à les attirer comme alliés: «L’exposé de M. Lalonde fut à ce point convaincant, que les congressistes se séparèrent avec chacun la ferme résolution de prendre part à la lutte avec leurs aînés et de ne pas attendre d’entrer dans la carrière quand les anciens n’y seront plus.»18

En 1965, l’ACFC veut que les jeunes s'engagent dans les luttes scolaires. Cette année-là, des parents francophones de Saskatoon menacent de retirer leurs enfants de l'école pour protester contre l’article 203 de la Loi des écoles. L’article 203 de la Loi des écoles déclarait que l’anglais était la seule langue d’instruction dans les écoles de la Saskatchewan, mais que le français pouvait être enseigné pendant une période ne dépassant pas une heure par jour.

Il a déjà été question dans cet article de la manifestation organisée par les animateurs de l’ACFC devant l’édifice de Radio-Canada à Regina en automne 1974. Par la suite, les jeunes furent accusés d’avoir fait «pour la première fois, un geste politique concret, sans être pleinement conscient des conséquences.»19 Même si les adultes accusent les jeunes de ne pas toujours être pleinement conscients des gestes qu’ils font, l’ACFC ne se prive pas d’essayer de les entraîner dans l’arène politique.

En 1979, par exemple, alors que les jeunes préparent leur grand ralliement de l’Ouest «On s’garroche à Batoche», l’ajf est entraînée dans une affaire politique par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. La Société décide de répondre à la compagnie Air Canada qui a appuyé financièrement le groupe «Pro-Canada Foundation» à propos de la question du référendum québécois. Un des agents de développement communautaire de l’ACFC, Pierre Leblanc, réussit à convaincre le comité exécutif de l’ajf de s’impliquer dans une «Opération Boycottage» d’Air Canada. «Nous avons demandé en guise de conclusion à M. Leblanc s’il prenait l’avion en ce temps-ci et il nous a laissé entendre que pour le moment il se contentait de l’autobus.»20 Le boycott ne porte pas fruit et c’est l’ajf qui est accusée de jouer à faire de la politique.

Les adultes ne se privent alors pas d’utiliser les jeunes pour atteindre leur propre but politique, mais d’un autre côté, ils les accusent de ne s’intéresser qu’au plaisir: «1979: Party Time! ajf organisait des party-déplut aux parents. ajf-crédibilité menacé.»21

Toutefois, lorsque les jeunes cherchent à jouer le rôle que veut l’ACFC, lorsqu’ils sont prêts à s’engager dans le domaine de la politique fransaskoise, ils se voient repoussés par les chefs de l’ACFC. Par exemple, en 1975, l’ajf obtient le droit de nommer un vice-président jeunesse au bureau de direction de l’ACFC. Et, au congrès biennal de l’ACFC en 1979, elle va encore plus loin et obtient le droit de vote aux élections de l’ACFC pour tous les membres âgés de plus de 18 ans, sans qu’ils soient obligés d'acheter une carte de membre de l’ACFC.

Malgré cela, l’ajf se plaint souvent de ne pas être consultée par les adultes et inversement que l’ACFC cherche toujours à se mêler des affaires des jeunes. C’est pour cette raison que l’association décide de quitter les bureaux de l’ACFC en 1980 et de déménager à Saskatoon. Au cours des deux ou trois années suivantes, l’association continue de concentrer ses efforts sur l’aspect culturel et sur des événements «l’fun» comme la Fête fransaskoise, le Festival théâtral fransaskois, etc.

Mais peu à peu, la direction de l’ajf change et on commence à orienter les activités vers les jeunes de Saskatoon, oubliant ainsi les jeunes des petites communautés. «Une maison des jeunes à Saskatoon serait pensable en avril 1983. C’est ce que Jean Malette, directeur de l’Association Jeunesse Fransaskoise, a laissé savoir lors d’une conversation téléphonique à l’issue du bureau de direction de son organisme le 17 avril dernier.»22

Cette maison pour les jeunes, conçue en 1983, devait prendre la forme d’un café-rencontre ou d’un café-théâtre. Toutefois, lorsque la maison des jeunes, le Centre Maurice Baudoux, ouvre enfin ses portes en 1985, elle ressemble plus à un lieu de rencontre quasi politique qu’à un café-rencontre. «C’est l’endroit idéal pour l’élaboration et la planification des services temporaires et permanents dont ont besoin les jeunes. Il s’agit d’un point de repère pour les jeunes Fransaskois qui servira au développement institutionnel.»23 En 1985, le nouveau directeur général de l’ajf, Pierre Leblanc, est un ancien agent de développement communautaire de l’ACFC. Les communiqués de l’Association jeunesse sont maintenant envahis par le langage politisé de l’association mère. «Élaboration», «planification» et «institutionnel» sont des termes de l’ACFC, pas de l’ajf.

À cette époque, on parle d’ouvrir des maisons pour les jeunes dans d’autres centres francophones de la province. Mais, le Centre Maurice Baudoux existe pendant un an avant de fermer définitivement ses portes, et l’expérience n’est pas répétée ailleurs.

Entre 1982 et 1987, l’ajf commence à s’éloigner des jeunes. La direction veut que l’Association se rapproche des adultes et des délibérations politiques. Même si la majorité de la clientèle de l’Association jeunesse, les 15 à 19 ans, continue à vivre en milieu rural et veut continuer à organiser des fêtes fransaskoises, des festivals de théâtre et d’autres activités culturelles intéressantes, la direction de l’ajf est persuadée que sa nouvelle clientèle se trouve parmi les 19 à 25 ans, les jeunes universitaires et les jeunes travailleurs. «Jeunes pionniers sont dans les centres urbains - l’ajf ne répond pas à leur besoin.»24