Chapitre 3:

Le cas d'une école française

Nous avons vu que Bellevue avait été la première communauté à établir un district scolaire catholique en Saskatchewan; en 1885 le lieutenant-gouverneur avait accordé sa permission pour la création du district scolaire de Bellevue et la tenue d’élections des commissaires.

Au début de la colonisation de la Saskatchewan, l’organisation d’un district scolaire était relativement simple. Les gens demandaient la permission au gouvernement de former un nouveau district scolaire. Ensuite, ils étaient responsables d’élire les commissaires, de construire l’école et d’embaucher l’enseignant ou l’enseignante. Les commissaires pouvaient emprunter de l’argent au gouvernement pour démarrer leur école, mais ce prêt devait être remboursé et les habitants du district scolaire devaient assumer toutes les dépenses de l’école.

Au début de la colonisation, les anglophones et les francophones se lancent dans l’établissement de districts scolaires catholiques. Toutefois, les deux groupes linguistiques n’ont pas le même objectif: les anglophones veulent tout simplement créer une atmosphère pour l’enseignement de la religion catholique, tandis que les francophones veulent que l’école catholique soit un véhicule de la langue française. Le raisonnement des francophones est qu’en préservant la langue, on peut préserver la foi. 18

Le gouvernement de la Saskatchewan commence bientôt à s’ingérer dans le fonctionnement et le financement des écoles de la province. La Loi sur l’éducation est mise à jour en 1905, permettant l’enseignement du français. Mais cela ne règle pas l’affaire.

Durant la Première Guerre mondiale (1914-1918), les orangistes 19 du pays mènent une guerre contre les écoles catholiques et françaises. En Saskatchewan, l’existence des écoles catholiques n’est jamais véritablement menacée, mais l’opposition de certains à l’enseignement du français oblige le gouvernement libéral de William Martin à amender la Loi sur l’éducation en 1918.

Le gouvernement s'attache alors à «abolir l’enseignement de toute langue étrangère, mais, permettait que le français soit la langue d’enseignement en première année et qu’on enseigne le français pour une heure par jour dans les autres classes.» 20 L’enseignement de la religion serait offert durant la dernière demi-heure de la journée et elle pourrait être enseignée en anglais ou en français.

Cette décision du gouvernement provincial n’était pas bien vue par les francophones de la Saskatchewan, mais elle était mieux que l’English only, demandé en 1917 par les commissaires d’écoles de la Saskatchewan School Trustees Association.

À Bellevue, le père Myre a rétabli l’école Bellevue en 1902. Dans les années qui suivent, d’autres écoles ouvrent leurs portes dans la région: Gaudet (1912), Saint-Isidore (1930) et Saint-Gérard (1951). Plus au nord et à l’est existait l’école Argonne, tandis que dans la région de la Butte Minichinas, entre Bellevue et Domrémy, se trouvait l’école Éthier. C’est le cas de cette dernière école que nous allons explorer davantage.

L’école Éthier était considérée comme une école publique et non une école catholique. En 1921, William Mackie, probablement le seul résidant anglophone et protestant dans le district scolaire de l’école Éthier, écrit au premier ministre William Martin pour se plaindre de l’école. Selon lui, «l’école est en réalité un lieu de prière catholique et où on enseigne le français du matin au soir.»21 Mackie accuse deux des commissaires, Rémi Éthier et Léger Boutin, d’encourager l’enseignement du français. Il demande au premier ministre

d’envoyer un homme «juste et protestant» pour examiner les enfants de l’école et de juger de leur compétence.

Mackie indique même au premier ministre qu’il a l’appui de certains francophones de la région, car selon lui Omer Houle et Adélard Éthier sont prêts à partager avec lui les dépenses de la personne envoyée par le gouvernement si ses accusations s’avèrent non justifiées.

Le ministère de l’Éducation allait informer le premier ministre Martin quelque temps plus tard qu’un inspecteur avait déjà été envoyé à l’école Éthier et que selon cet inspecteur, l’enseignante, Mlle Marie-Annette Houle, dirigeait son école selon la Loi sur l’éducation. Le premier ministre fut également informé que le conflit semblait être le résultat de batailles de familles. En effet, la femme d’Omer Houle se serait disputée avec la soeur de son mari, l’enseignante de l’école, tandis que les deux frères Éthier, Adélard et Rémi, auraient également eu leur petite bataille.