Chapitre 1:

Les battages et les homesteads de l’Ouest

Au début du siècle, et ce jusqu’à l’arrivée dans l’Ouest canadien des grosses moissonneuses-batteuses après la Deuxième Guerre mondiale, des milliers d’ouvriers sont recherchés chaque automne pour aider avec la moisson. À cette fin, le gouvernement, les compagnies de chemin de fer et les journaux organisent des campagnes de publicité chaque année pour recruter des milliers de jeunes hommes des Maritimes, du Québec et de l’Ontario qui viendraient travailler dans l’Ouest pendant quelques mois. Ces jeunes hommes sont connus sous le nom de «batteux»; ils sont chômeurs, étudiants ou même commis de magasin.

Certains viennent dans l’Ouest, aident aux battages puis regagnent l’Est, relativement plus riches qu’ils ne l’étaient à leur arrivée. Les gages des «batteux» sont élevés, comparativement aux salaires payés ailleurs au Canada. Un débutant peut gagner jusqu’à 1,50 $ par jour, alors qu’un employé avec plus d’expérience peut obtenir jusqu’à 3,50 $ par jour. En 1915, par exemple, alors qu’il y a une récolte record en Saskatchewan, les salaires atteignent 6,00 $ et 8,00 $ par jour. Ailleurs, un commis de magasin reçoit peut-être 30 $ par mois.


La région de Sainte-Claire-de-Dorchester au Québec, près de la rivière Chaudière.


Plusieurs de ces jeunes hommes viennent dans l’Ouest pour l’aventure. D’autres viennent se prendre un homestead. Le gouvernement canadien les encourage certainement à rester avec son offre de terrain gratuit. Ils n’ont qu’à payer le coût d’inscription de 10 $. Les trains offrent également des prix spéciaux aux «batteux» pour qu’ils puissent se rendre dans l’Ouest. «Pour la somme de 10 $, on pouvait se rendre jusqu’à Moose Jaw en Saskatchewan.»1

En 1909, Joseph Fournier, un cultivateur de Sainte-Claire-de-Dorchester au Québec, décide de se joindre à une de ces excursions de «batteux» et de venir voir les terres de la Saskatchewan.2 «Joseph Fournier [...] trouvant que l’avenir ne lui souriait pas dans sa paroisse natale, résolut d’aller chercher ailleurs un endroit où il pourrait établir sa nombreuse famille.»3 Fournier avait déjà fait des voyages ici et là au Québec, mais n’avait rien trouvé à son goût. Il s’était même rendu jusqu’au Manitoba, comme «batteux» en 1906, mais encore une fois il avait été déçu.

À l’été de 1909, Joseph Fournier, ses deux fils, Louis et Joseph, et un neveu, Joseph Chabot, paient chacun dix dollars pour leur billet de train et se dirigent vers la Saskatchewan. «La récolte était abondante; le blé rapportait 35 à 40 boisseaux l’acre et l’avoine de 55 à 70 à l’acre.»4 Les quatre cultivateurs de Sainte-Claire n’ont aucune difficulté à se trouver de l’emploi comme «batteux» chez un fermier de Milestone, à quelque 50 kilomètres au sud de Regina.

Pendant les moissons, ils doivent arrêter les travaux pour un certain temps, à cause de la pluie. Pendant ce temps, le groupe se rend au bureau de l’agent des Terres du Dominion à Moose Jaw où ils apprennent que le township 6 du rang 8 vient d’être ouvert à la colonisation. Au bureau de l’agent des Terres, ils font également la connaissance d’un dénommé Fortier, qui a fait partie de l’équipe des arpenteurs de ce township. Fortier est prêt à leur suggérer les meilleurs carreaux dans cette concession, moyennant un cachet de 10,00 $ le carreau.

Le groupe de Sainte-Claire accepte l’offre de Fortier. Joseph Fournier, ses deux fils et son neveu quittent le bureau des Terres du Dominion avec la garantie de deux sections de terrain (8 carreaux) dans la région sud-ouest de la Montagne de Bois, quelque 50 kilomètres à l’est de la paroisse de Notre-Dame d’Auvergne et près de la frontière américaine. Chacun d’eux a dû investir 510 $: 20 $ pour les conseils de Fortier (10 $ par carreau); 10 $ pour inscrire leur homestead et 480 $ (3 $ l’acre) pour le deuxième carreau qu’ils réservaient.


Types de jalons utilisés par les arpenteurs dans le Nord-Ouest entre 1881 et 1892. (Source: Histoire des Franco-Canadiens de la Saskatchewan, Richard Lapointe et Lucille Tessier)