Montmartre en France
Montmartre en Saskatchewan
Une colonie française sur une réserve
Les premiers colons

Chapitre 1

Une société française de colonisation en Saskatchewan

La Société Foncière du Canada

En 1918, un article dans le Patriote de l’Ouest décrivait la communauté française de Montmartre dans le sud de la Saskatchewan comme suit: «Tout le monde, ou à peu près, connaît le grand Montmartre de Paris, mais plusieurs peut-être ignorent qu’un autre Montmartre (le petit) existe sur la terre canadienne. Mais oui, dans la province de Saskatchewan, dans le diocèse de Regina, il a été fondé vers le printemps de 1893, par une compagnie française ayant pour président M. R. Foursin, une colonie que l’on baptisa du nom de Montmartre. Un peu plus tard, les autorités religieuses l’ont mise sous la protection du Sacré-Coeur, en lui donnant le vénérable et c’est sous son égide que Montmartre a grandi et prospéré.»1

C’est en 1893 que Pierre Foursin établit la Société Foncière du Canada. Il est alors secrétaire d’Hector Fabre, premier haut-commissaire canadien à Paris. Foursin réussit à convaincre un groupe de jeunes Parisiens fortunés d’investir jusqu’à 350 000 francs dans sa société. Ensuite, «la société s’était portée acquéreur de l’ancienneréserve de Piapot au sud-ouest de Wolseley pour y fonder la colonie de Montmartre.»2 Foursin et ses collaborateurs parisiens espèrent faire un profit de cette aventure dans le nord-ouest canadien, mais il y en a qui «y voyaient là un moyen de soulager la misère dans les régions rurales de leur pays et, de façon plus générale, de contribuer à répandre le génie français à travers le monde.»3

Pierre Foursin est né à Saint-Pair en Normandie en 1850. Durant la guerre franco-prussienne en 1870, Foursin atteint le grade de sergent-major. Après la guerre, il devient secrétaire d’Hector Fabre. Lors de rencontres avec Fabre et d’autres Canadiens, le jeune Français entend parler des vastes prairies de l’Ouest, des projets de construction d’un chemin de fer transcontinental et des intentions du gouvernement canadien d’ouvrir l’Ouest à l’immigration.

Un jour, vers 1890, Foursin rencontre un ministre d’Ottawa qui lui suggère «de devenir propagandiste et agent de colonisation, en vue d’apporter des colons français dans l’Ouest canadien.»4 Cette suggestion intrigue le jeune Foursin. Il en parle avec des amis de Paris; Armand Goupil, un notaire avec une petite fortune et un goût pour l’aventure, les frères Hayman (Auguste et Albert), propriétaires d’une bijouterie, les frères Chartier (Jean et André), deux étudiants dont les parents sont riches, et Louis Gigot, beau-frère des Chartier, un ingénieur.

Pierre Foursin a la parole facile; il n’a pas de difficulté à soutirer 350 000 francs à ses amis. «En France, à la fin du XIXe siècle, il n’est pas difficile de trouver des fonds pour établir une entreprise dans un pays lointain, surtout s’il y a possibilité de faire un voyage sur la mer.»5 La Société Foncière du Canada voit le jour en 1893. Ce groupe de jeunes Français n’a pas l’intention d’inviter le grand public à participer financièrement au projet de colonisation; ils ont les fonds et ils espèrent bien que l’aventure sera profitable. En effet, «ils espèrent même que dans un avenir rapproché ils dépasseront les buts originaux de la société et établiront non pas seulement une colonie française, mais plusieurs villages avec des magasins, des moulins à farine, des fabriques de fromage, etc.» 6

C’est Hector Fabre lui-même qui les dirige vers la région de Wolseley à l’est de Regina. Le haut-commissaire à Paris connaît un des ingénieurs du Canadien Pacifique, Zéphirin Mailhot, qui a acheté une grande parcelle de terrain dans cette région et qui a encouragé ses frères et ses amis de Bécancourt au Québec à aller s’établir à Wolseley. Fabre souhaite que la région devienne un centre francophone et que les gens de Bécancourt aident les colons de France qui ne sont pas familiers avec les méthodes agricoles canadiennes.

Grâce à l’appui d’Hector Fabre, Pierre Foursin et ses compatriotes parisiens réussissent à obtenir des autorités canadiennes le droit d’établir leur colonie sur des terres au sud de Wolseley et à l’ouest du lac Marguerite et de la réserve indienne Assiniboine.

La Société Foncière du Canada avancerait 3 000 francs (environ 600 $) à chaque colon, à un intérêt de 5 pour cent. Si le colon décidait de quitter la colonie sans payer ses dettes, son homestead ne pourrait être cédé à un autre fermier que sur paiement de la dette.