Divers problèmes
Chapitre 3

Des temps difficiles

Les conflits entre colons français et canadiens

Les colons français, comme les de Trémaudan et les Berneau, ne croient pas avoir reçu beaucoup d’encouragement des sociétaires de la Société Foncière du Canada; on leur a donné des charrues trop tard dans l’année pour commencer à casser la terre et on a refusé de leur donner des chariots pour transporter du bois de chauffage. Pour rendre la situation encore plus difficile, l’hiver approche et les colons se voient ignorés par les employés de la Société et ceux qui travaillaient à la Grande Maison et à la Grande Écurie.


La grande maison (à gauche)
«Les ouvriers qui travaillaient à la Grande Maison et à la Grande Écurie, en grande partie des gens du pays des alentours, ne fréquentaient pas du tout les colons. Pourquoi? Ils étaient de 20 à 25 hommes. En octobre, les soirées sont longues; ils auraient pu visiter les colons. Que ceux de langue anglaise se tinrent à l’écart est compréhensible, mais pourquoi les Canadiens de langue française ne les fréquentaient-ils pas? Ils auraient mis les Français au courant des difficultés du pays.»27

Il ne semble pas y avoir d’explication logique pour cette division qui existe entre colons français et canadiens. Toutefois, il est vrai que les Canadiens auraient pu mettre les colons au courant des réalités de la vie dans la Prairie canadienne. Les colons vivront des temps difficiles justement parce qu’ils ne connaîtront pas bien la réalité de la vie dans l’Ouest.

S’il y avait eu plus d’échange entre colons et Canadiens, on aurait mieux pu se préparer pour des crises comme celle qui se produit le 1er novembre 1893. La journée précédente, les nouveaux venus, comme les de Trémaudan, aperçoivent dans la distance «de longues spirales de fumée montant vers le ciel.»28 Entre eux, les Français cherchent des explications pour ces spirales de fumée. «Il me répondit que ce devait être des fermiers qui brûlaient leurs meules de paille....»29 Venant de la France, ils n’ont jamais connu de feu de prairie.

Ils vont le découvrir le lendemain, 1er novembre. Le soir du 31 octobre, lorsqu’ils regardent vers l’horizon, ils peuvent voir dans la distance, du sud-est au nord-ouest de Montmartre, un véritable feu d’artifice. «Le firmament reflétait des flammes; c’était féerique, saisissant, magnifique.... n’était-ce pas la réflexion du soleil sur les glaces polaires?... ou était-ce les aurores boréales?...un effet de la lune?»30 Même s’ils ne connaissent pas l’origine de ces lumières à l’horizon, ils trouvent ça beau.

Le temps n’est pas si beau le lendemain matin alors qu’il y a une épaisse fumée et, lorsque le vent s’élève, le temps devient plus sombre. Vers les 9h00 du matin, un des sociétaires, Albert Hayman, arrive aux maisons des Français en criant: «Vite! Vite! Prenez vos boeufs et faites des traits de charrue autour de votre maison, le feu de prairie s’en vient.»31

Auguste de Trémaudan envoit son fils et sa fille chercher les boeufs. Plusieurs années plus tard, Désiré de Trémaudan allait raconter ce qu’il avait vu ce matin-là. «Nous nous trouvions à passer le point culminant des collines environnantes et de là nous pouvions voir toute l’étendue de la plaine entre Montmartre et Moose Mountain Creek. Ce que nous vîmes n’était pas la plaine grise d’herbes sèches, mais l’enfer. En effet, nous ne vîmes que des vagues de feu recoulant comme les vagues de la mer. Nous fûmes effrayés de cette vision; nous étions à peine à 200 pas de chez nous. Nous rebroussâmes chemin, mais le feu avait déjà passé entre nous et la maison; un petit slough plein d’eau, à côté de nous, nous avait protégé.»32

Enfin, le feu passe la petite colonie. Les résidants de Montmartre ont de la chance; personne ne perd de bâtiments ni d’animaux dans le feu. Les meules de foin que les colons ont faites ont été détruites par l’incendie. Après le feu vient la première neige: «Dans la nuit le vent tourna au nord-est, froid mais sans tempête, et la neige commença à tomber. Cette fois, les plus braves d’entre les colons sentirent un point d’amertume et de regret. La neige s’amoncelait, épaisse, couvrant le sol noirci. C’était l’hiver. Déjà l’hiver.»33