Chapitre un

Telegraph Flat au XIXe siècle

Durant la résistance des Métis en 1885, Battleford n’a pas été le théâtre de batailles entre Indiens et Blancs, mais nombreux ont été les Blancs qui ont dû prendre refuge dans le fort de Battleford. Le chef cri, Faiseur d’étangs (Poundmaker), réussissait bien à contrôler ses jeunes guerriers. Toutefois, les citoyens de l’ancienne capitale des Territoires du Nord-Ouest vivaient quand même dans la peur car Poundmaker et les Cris étaient venus dans la ville pour parler à l’agent des Indiens afin de lui demander des provisions (farine, sucre, etc.).

Certains disent que les Indiens ont saccagé le village avant de retourner dans leur réserve à Cut Knife, tandis que d’autres affirment que le pillage a été l’oeuvre d’hommes blancs. C’est à cause de cette visite de Poundmaker à Battleford que le colonel Otter a mené une expédition contre les Cris dans les Montagnes de l’Aigle, à Cut Knife Hill. Cette aventure a été un fiasco pour la milice canadienne et c’est seulement à cause de l’intervention du chef cri que les jeunes soldats blancs n’ont pas tous été massacrés.

La vieille ville de Battleford est une des plus anciennes de la Saskatchewan. «Il y avait des postes de traite dans les environs à partir du milieu du XVIIIe siècle; en effet la rivière Bataille rejoint la rivière Saskatchewan à un mille ou deux en aval du site, et autrefois les deux grandes vallées étaient riches en fourrures, et la rivière Saskatchewan fournissait la meilleure voie navigable pour leur transport.»1 L’explorateur de la Compagnie de la Baie d’Hudson, Anthony Henday, est le premier Blanc à traverser cette région en 1754-1755. Un des premiers postes de la région est fondé en 1778 par un «pedleur» de Montréal, Peter Pangman. «Entre temps, Pangman se dirige plus à l’ouest dans les Montagnes de l’Aigle pour établir le poste “Upper Settlement” sur la rive nord de la rivière Saskatchewan, à neuf milles de l’emplacement actuel de North Battleford.»2 D’autres traiteurs viendront aussi établir des postes dans la région.

Toutefois, même si Battleford se trouve sur la piste Carlton, il ne semble pas y avoir de colonies permanentes dans la région avant les années 1860. À part les traiteurs de fourrures et les Indiens, les visiteurs sont rares dans la région.

En 1838, les pères François Blanchet et Modeste Demers, en route pour le Fort Vancouver, passent à Battleford. Un ministre méthodiste, Robert Terrill Rundle, s’établit au Fort des Prairies (Edmonton) en 1840 pour desservir la région allant du Fort Carlton jusqu’aux Rocheuses. Au cours des années suivantes, les pères Thibault et Lacombe, o.m.i., parcourent le même territoire. D’autres missionnaires (catholiques, anglicans, etc.) visitent la région entre 1842 et 1868. L’expédition du capitaine John Palliser traverse aussi la région en 1857 et 1858.

En 1868, la compagnie de la Baie d’Hudson autorise Peter Ballendine à établir un poste d’hiver à l’endroit où les deux rivières se joignent. Ce poste d’hiver devient un fort permanent en 1874. «La colonisation a commencé sur la rivière Bataille dès 1874: des arpenteurs et des ingénieurs avaient nommé la colonie “Telegraph Flat”.»3 Les colons arrivent dans le district dès 1874 et une petite communauté voit le jour près du poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Du jour au lendemain, Telegraph Flat prend une importance politique qui semble garantir sa croissance.

En 1875, la Police montée établit un poste à cet endroit et même si les ingénieurs et les arpenteurs lui ont donné le nom de Telegraph Flat en 1874, le télégraphe, lui, n'est pas installé dans la région avant 1876. (Dans la communauté fransaskoise, on parle de la «Police montée», mais ce n'était pas le nom officiel de ce corps policier. De 1873 à 1896, il portait le nom de «Police à cheval du Nord-Ouest»; de 1896 à 1904 de «Gendarmerie à cheval du Nord-Ouest»; de 1904 à 1920 de «Royale Gendarmerie à cheval du Nord-Ouest»; de 1920 à 1949 de «Royale Gendarmerie à cheval du Canada»; et depuis 1949 de «Gendarmerie Royale du Canada». Dans cet ouvrage nous utilisons le nom populaire de «Police montée».)

Cette même année, Telegraph Flat prend une grande importance dans l’histoire de l’Ouest canadien. «En 1876, le site a été choisi comme capitale des Territoires du Nord-Ouest et son nom a été changé en Battleford.»4 En 1876, Telegraph Flat est un choix logique de capitale pour les Territoires du Nord-Ouest. C’est au centre de l’immense territoire, c’est sur la piste Carlton entre Winnipeg et Edmonton, et la future ligne de chemin de fer transcanadienne doit suivre cette piste.

Un de ceux qui sont appelés à suivre le nouveau lieutenant-gouverneur des Territoires, David Laird, jusqu’à Battleford est un jeune avocat et journaliste du Québec, Amédée Forget. «Appelé par l’ouverture de la session au Conseil, M. Forget doit partir sans délai pour Battleford. Les difficultés de communication en hiver l’empêchent de revenir chercher son épouse avant le mois de juin suivant.»5 Amédée-Emmanuel Forget avait épousé Henriette Drolet en octobre 1876, à la veille de son départ pour Battleford.

Le printemps suivant, il va la chercher dans le Bas-Canada. «Le jeune couple entreprend alors en compagnie de la famille du lieutenant-gouverneur Laird le périple, par bateau et par train, jusqu’à la tête des Grands Lacs et de là vers Pembina et la Rivière-Rouge. La dernière étape du voyage, entre Winnipeg et Battleford, s’effectue en démocrate: 28 jours sur les pistes poussiéreuses de l’Ouest, c’est plus qu’il n’en faudrait pour décourager une jeune femme habituée à une vie moins fruste.»6

Le juge Charles Borromée Rouleau est un autre Canadien français appelé à suivre le gouvernement jusqu’à Battleford. Né le 16 décembre 1840 à Île-Verte, Témiscouta, Québec, Charles Rouleau est un des fils d’une illustre famille originaire de Sainte-Anne-de-la-Pocatière au Québec. Il fait ses études à l’Université Laval et est accepté au barreau en 1864. En 1883, il est nommé juge d’un tribunal d’instance des Territoires du Nord-Ouest et il vient s’établir à Battleford. Durant la résistance de 1885, son frère, un médecin, est également à Battleford, mais on ne sait que peu de chose à son sujet.

En 1877, David Laird fait construire Government House, un édifice destiné à loger le gouvernement à Battleford. Ce bâtiment deviendra plus tard la propriété des Oblats de Marie Immaculée. «L’administration de Laird de 1876 à 1881, durant laquelle la capitale était Battleford, représente le début de l’autonomie des Territoires du Nord-Ouest.»7 Le premier shérif des Territoires du Nord-Ouest arrive à Battleford en 1879. Il s'agit d'Édouard Richard qui avait commencé sa carrière dans un cabinet d’avocats à Arthabaska où il avait Wilfrid Laurier comme associé, avant d'être député à la Chambre des communes.

Avant même l’arrivée du lieutenant-gouverneur Laird et de son secrétaire, Amédée Forget, un autre Canadien français était venu à Telegraph Flat pour surveiller la construction du fort de la Police montée. Il s’agissait du sous-inspecteur Edmond Fréchette. «Fréchette est arrivé à Telegraph Flat en traîneau à chien le 25 mars 1876, dans une mauvaise tempête de neige, et il a été gêné dans la réalisation de son travail par le “mauvais temps”.»8 Avant son départ de Swan River au Manitoba, Fréchette avait reçu ordre de son supérieur de choisir un endroit suffisamment grand pour le fort, environ mille à deux milles acres, pour éventuellement y établir les quartiers généraux de la Police montée. Lorsque la capitale sera transférée à Regina en 1882, la Police montée y ouvrira son école de formation.