Chapitre deux

Les Battleford et le XXe siècle

Durant les dernières années du XIXe siècle, Battleford semble échapper à la prospérité. Au début des années 1880, les habitants de Battleford ont une grande déception lorsque les hauts fonctionnaires de la Compagnie du Canadien Pacifique décident de construire la ligne transcontinentale du chemin de fer dans les prairies du sud, c’est-à-dire dans le district d’Assiniboia, plutôt que dans le district de la Saskatchewan. L’absence d’un chemin de fer lui coûte le titre de capitale des Territoires du Nord-Ouest. Le terrain réservé par la Police montée pour une école de formation est vendu car les quartiers généraux sont aussi transférés dans la nouvelle capitale.

À cette époque, la présence d’une ligne de chemin de fer est essentielle pour assurer la survivance d’une communauté dans le Nord-Ouest. Le gouvernement fédéral cherche à attirer des fermiers dans les prairies de l’Ouest et les colons, fermiers et commerçants, veulent toujours s’établir près du chemin de fer.

Dès 1886, la «North West Central Railway Company» obtient une charte pour construire une ligne de chemin de fer entre Brandon et Battleford suivant ce qui devait être le premier tracé du Canadien Pacifique. Mais la compagnie a des difficultés financières et doit renoncer à ses projets.

En 1887, une compagnie anglaise annonce qu’elle va construire une ligne entre Regina et Battleford. Cette compagnie, la «Qu’Appelle, Long Lake and Saskatchewan Railroad and Steamboat Company», a déjà construit environ 30 kilomètres de voie ferrée entre Regina et Long Lake, lorsqu'en 1888, elle décide de se diriger vers Prince Albert et non vers Battleford.

Ce n’est qu’au début du XXe siècle qu’une compagnie de chemin de fer, la Canadian Northern, accepte de construire une ligne reliant Winnipeg, Battleford et Strathcona (Edmonton). Toutefois, les gens de Battleford sont déçus d’apprendre, en 1901, que cette compagnie n’a pas l’intention de traverser la rivière Saskatchewan-Nord à cet endroit, mais plutôt à environ 15 kilomètres au nord-ouest. Les citoyens de Battleford décident d’agir. «En tout cas, une résolution est adoptée le 28 février 1902 à la réunion annuelle des contribuables du village demandant au gouvernement fédéral de faire une législation obligeant la Canadian Northern à construire sa ligne principale dans Battleford.»19 Rien n’est accompli à la suite de cette résolution.

En 1903, un comité de citoyens est mis sur pied et une délégation menée par Benjamin Prince, député à l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest, se rend dans l’Est pour protester contre la décision de la Canadian Northern. Cette délégation ne connaît pas grand succès non plus car la compagnie du chemin de fer avait déjà acheté du terrain au nord de la rivière.

En 1905, Benjamin Prince informe la population de Battleford que la Canadian Northern n’avait tout simplement pas la volonté de rediriger sa ligne vers le village de Battleford. La Compagnie était toutefois prête à construire une ligne d’embranchement entre Battleford et le pont situé 15 kilomètres au nord-ouest. Cette décision cause la naissance d’une nouvelle ville lorsque la ligne de la Canadian Northern atteint Battleford Nord ou plutôt North Battleford le 17 mai 1905.

Un des premiers résidents de North Battleford est un Canadien français: Joseph-J. Duhaime. En compagnie de quatre autres hommes, Duhaime descend la rivière Saskatchewan-Nord en radeau au printemps 1905. Pendant l’été, il construit la première étable de la ville, la «North Star Livery and Feed Stable».

En 1904, Battleford est enregistrée comme ville. Depuis ses débuts en 1876, les Canadiens français jouaient un rôle dans l'administration du village et de la commission scolaire catholique. En plus des personnalités déjà mentionnées, comme les frères Prince, on retrouvait Honoré Couture, Albert Champagne, B. Plante, O. L’Heureux, Joseph Daudelin, J.E. Beliveau et Wilfrid Latour parmi les commerçants de Battleford, de la fin du XIXe siècle au début du XXe. O. L’Heureux, par exemple, est propriétaire de la boulangerie et J.E. Beliveau est copropriétaire de l’Hôtel Albion. Ces hommes d’affaires s’engagent dans l’administration municipale de la nouvelle ville. Albert Champagne est le premier maire élu, en 1904, et Wilfrid Latour est un des six conseillers municipaux.

Albert Champagne était natif d’Ottawa. En 1874, il avait fait partie du premier groupe de la Police montée qui s’était rendu de Dufferin au Manitoba jusqu’au Fort MacLeod dans le sud de l’Alberta. Plus tard, Champagne fonde un ranch dans la région du lac Redberry à l’est de Battleford. Vers 1896, il vend son ranch et achète l’Hôtel Queen à Battleford. En 1905, il est élu, pour remplacer Benjamin Prince, député à l’Assemblée législative de la nouvelle province de la Saskatchewan. Trois ans plus tard, il abandonne son siège pour être élu à la Chambre des communes, à Ottawa. Il sera député fédéral jusqu’en 1917.

D’autres Canadiens français participeront à l'administration des affaires municipales de Battleford et de North Battleford.