Chapitre trois

La Trinité et la cause française en Saskatchewan

Lorsqu’on parle de la cause française en Saskatchewan, trois noms de famille reviennent souvent:Baudoux , De Margerie , et Denis.

Lorsqu’on parle de la radio française et de la lutte pour obtenir des licences d’exploitation des postes, on dit souvent que la bataille a été menée depuis le presbytère de l’abbé Maurice Baudoux à Prud’homme.

Pendant plus de trente ans, les francophones de la Saskatchewan avaient leur ministère de l’Éducation française dans la maison d’Antonio de Margerie à Vonda, puisque c’est l’A.C.F.C. qui s’occupait des programmes de français. La maison d’Antonio de Margerie est en effet le bureau de l’A.C.F.C. et les membres de sa famille en sont les employés.

Il n’y a probablement pas d’autres familles qui aient autant contribué à la cause française que la famille Denis de Saint-Denis, que ce soit l’agent d’assurance Raymond, le fermier Clotaire, père, ou les deux générations de Denis qui les suivront.

L’abbé Maurice Baudoux

Maurice Baudoux n’était pas un petit homme; il mesurait plus de 6 pieds 4 pouces (1 m 94). Mais il est surtout connu comme un géant pour sa contribution à la cause des francophones de la Saskatchewan. «Non point, car géant il l’était, [...] pour son zèle pour l’éducation chrétienne, pour le développement du beau chant, mais aussi, et cela à un haut degré, sur le plan de la francophonie19

Il est né à La Louvière en Belgique le 10 juillet 1902, fils du propriétaire d’une brasserie. Lorsqu’il a neuf ans, la famille Baudoux quitte la Belgique pour venir s’établir dans l’Ouest canadien, à Hague, près de Rosthern.

Puisque ses parents veulent qu’il reçoive une bonne éducation, française et catholique, on décide de l’inscrire au couvent des Filles de la Providence à Howell. «Mais comme les religieuses refusent d’accepter les adolescents, il faut d’abord convaincre la Mère Supérieure que le garçon qu’on lui présente un beau matin n’a pas treize ou quatorze ans comme sa taille le laisse supposer, mais tout juste dix20 Le jeune belge est déjà très grand pour son âge.

Après avoir pris pension chez l’abbé Bourdel pendant trois ans pour continuer ses études, Maurice Baudoux se rend en 1919 au Petit Séminaire et au Collège de Saint-Boniface. Dix ans plus tard, le 17 juillet 1929, il est ordonné prêtre à Prud’homme par Mgr Joseph Prud’homme de Prince Albert.

Il est aussitôt nommé vicaire de cet endroit et se lance immédiatement dans les affaires de la francophonie. Il est vice-président de l’A.C.F.C. de 1931 à 1935, président de 1935 à 1936 et secrétaire-trésorier de 1936 à 1943.

Entre 1936 et 1948, année où il est nommé premier évêque du diocèse de Saint-Paul en Alberta, Maurice Baudoux mène une campagne sans relâche pour obtenir, premièrement, des émissions en français sur les ondes de CBK à Watrous (le poste de la Société Radio-Canada en Saskatchewan) et ensuite des licences qui permettraient aux francophones de la province d’exploiter leurs propres postes. C’est seulement trois ans après son départ que le Bureau des gouverneurs de Radio-Canada accordera les licences. Les deux postes privés, CFNS à Saskatoon et CFRG à Gravelbourg, ouvrent leurs portes en 1952 et ils fonctionnent sans relâche jusqu’en 1973, date à laquelle ils sont vendus à la Société Radio-Canada.21

Maurice Baudoux est souvent appelé «le père de la radio française en Saskatchewan».

Antonio de Margerie

Venu du Manitoba en 1925 pour enseigner à Hoey, Antonio de Margerie est nommé chef du secrétariat permanent de l’A.C.F.C. quatre ans plus tard. Il déménage à Vonda où il s’achète une maison. Cette maison allait devenir le siège social de l’A.C.F.C. pendant plus de trente ans.

Puisque l’Association catholique franco-canadienne de la Saskatchewan22 n’a pas les moyens de payer de salaire de secrétaire,23 ce sont les membres de la famille de Margerie qui s’occupent de ce travail. Un des fils d’Antonio de Margerie, l’abbé Bernard de Margerie, de Saskatoon, raconte les souvenirs suivants: «Je me rappelle avoir travaillé au Gestetner, au miméographe, mais un ancien modèle, aussi jeune que je peux me rappeler. Je pense bien que je devais tourner des copies au miméographe quand j’avais six ans ou sept ans24

Alors que pour les familles du milieu agricole de la région, le temps de l’année où on est le plus occupé est la période des battages à l’automne, tel n’est pas le cas pour la famille de Margerie. Pour eux, c’est au temps des examens de français de l’A.C.F.C. que la maison se retrouve sens dessus-dessous. « Tout le travail se faisait chez nous: le travail d’impression des questionnaires, la mise sous scellé de ces questionnaires-là, dans des enveloppes brunes avec tous les timbres de caoutchouc que tu peux imaginer, avec toutes les mentions, "secret", "ne pas ouvrir avant telle heure"... Le matin où on envoyait tout ça, tout le monde y travaillait... tous ceux qui avaient l’âge de raison... même maman...»25

Après la journée des examens, tous les documents revenaient chez les de Margerie et toute la famille devait donner un nouveau coup de coeur pour séparer les documents et les envoyer aux cor-recteurs.

La famille Denis

Ils sont venus de la France, de Courcelles près de Saint-Jean-d’Angély dans la province de la Charente-Maritime. Avant de venir au Canada, la famille de Léon Denis se rend en Nouvelle-Calédonie, une île dans le sud du Pacifique, près de l’Australie. Ensuite, ils retournent en France. Ils sont cinq dans la famille: Raymond, Clotaire, Clodomir, Marie et Maria (voir Raymond Denis).

Raymond Denis est le premier à émigrer au Canada. Il quitte la France en 1904 et le même été, il est engagé sur une ferme au Manitoba. Ensuite, il est co-propriétaire d’un magasin en Alberta, avant de retourner travailler à Montréal. En 1906, il arrive en Saskatchewan où son frère, Clotaire, a pris un homestead dans la région de Saint-Denis.

Clotaire est arrivé au Canada, et en Saskatchewan, en 1905, à l’âge de 18 ans. Il arrive à Prince Albert et commence à se chercher du terrain: «De là, il partit à la recherche de terrain, en wagon jusqu’à St-Louis; il marcha ensuite à Duck Lake, Wakaw, Bonne Madone, St-Brieux, Vonda, Howell. Durant ses explorations, il arrêtait chez des étrangers hospitaliers qui lui offraient nourriture et lit. Il a aussi couché au couvent de Prud’homme même avant que la construction en soit terminée26 Mentionnons qu’en 1905, la gare de Prud’homme est encore connue sous le nom de Lally’s Siding.

Après avoir exploré ici et là, Clotaire Denis choisit un homestead au sud-ouest de Lally’s Siding, le carreau NW24-37-1-W3. Le homestead de Clotaire Denis père est donc à environ cinq kilomètres au nord et cinq kilomètres à l’est du village actuel de Saint-Denis. L’année suivante, son père, Léon, son frère, Clodomir, et ses deux soeurs, Marie et Maria, viennent le rejoindre à Saint-Denis. Raymond vient aussi s’établir dans la région.