Le clergé

Chapitre 1:L'Église et «l'agriculturisme»


À la fin du XIXe siècle, l’Église catholique de l’Ouest se lance dans le mouvement d’immigration et cherche à faire venir des colons de langue française dans les Territoires du Nord-Ouest. «Le premier archevêque de Saint-Boniface, Mgr Alexandre Taché, et son successeur, Mgr Adélard Langevin, étaient tous deux ultramontains. Ils considéraient la tâche de promouvoir l’immigration franco-catholique dans l’Ouest comme un devoir sacré.»1

De plus, l’Église veut que ces colons de langue française s’établissent sur des homesteads et qu’ils suivent les traces de leurs ancêtres québécois, c’est-à-dire qu’ils soient fermiers:«Sous le régime français, aucune carrière n’était interdite aux Canadiens. L’empire français comptait sur eux pour continuer à survivre et à prospérer. La situation était toute autre sous le régime anglais. L’administration de l’armée, de la marine et le commerce étranger passaient exclusivement sous le contrôle des Britanniques.»2 Les Canadiens français avaient donc accepté, après la Conquête en 1763, de limiter leurs ambitions et de ne pas viser trop haut. De plus en plus, les Canadiens français s’étaient retranchés à la ferme et les membres du clergé étaient devenus leurs nouveaux chefs.

Alors que la population canadienne-française est majoritaire et urbaine lors du recensement de 1666, les choses sont complètement différentes 200 ans plus tard lors de la Confédération. En 1867, les Canadiens français ne représentent plus que le tiers de la population et environ 85 pour cent vivent à la ferme ou en milieu rural.

Toutefois, vers le millieu du siècle dernier, toutes les bonnes terres agricoles sont prises au Québec; les jeunes ont alors deux choix: s’exiler vers les villes industrialisées de la Nouvelle-Angleterre ou vers les vastes prairies de l’Ouest canadien. Mais le clergé et la petite élite canadienne-française ne veulent pas perdre leur pouvoir sur le peuple. On dénonce alors la migration vers les villes industrialisées. On glorifie de plus en plus le métier d’agriculteur. «Toute personne qui choisissait de s’en aller en exil aux États-Unis ou qui émigrait vers la ville était dénoncée comme étant un traitre ou un déserteur, et le mythe de l’agriculture comme dernier recours pour la nation était perpétué par des romans et des chansons.»3 Louis Hémon (Maria Chapdelaine) et Félix-Antoine Savard (Menaud Maître-Draveur) vont donc vanter les mérites de «l’agriculturisme».

Le clergé catholique du Québec n’est pas toujours content, avec raison, de voir les siens partir pour l’Ouest. Au lieu de voir leurs ouailles s’exiler vers les États-Unis, ou vers l’Ouest, certains prêtres tentent d’organiser des projets de colonisation à l’intérieur même du Québec.

Durant les années 1840, les Canadiens français avaient envahi la région des Cantons de l’Est, une région précédemment colonisée par les Loyalistes. «L’installation de Canadiens français dans les Cantons de l’Est est le fait de toute une série de projets patronnés par divers groupes sur l’initiative de prêtres catholiques.»4 Quelques années plus tard, les Canadiens français coloniseront la région du Saguenay-Lac Saint-Jean, puis durant les années 1860, ils iront dans la vallée du Saint-Maurice et dans les Laurentides. Ensuite, les colons canadiens-français remonteront l’Outaouais durant les années 1880 pour y fonder des villages dans la région du lac Témiscamingue et, en 1912, on se rendra même jusque dans la région de l’Abitibi.

«Les Anglais pouvaient bien dominer l’économie, les Canadiens français, eux, allaient assurer leur présence en occupant le territoire.»5 L’image des colons canadiens-français allant prendre possession de la terre dans les «Pays d’en haut» est bien illustrée dans le célèbre roman de Claude-Henri Grignon, Un homme et son péché. Cette histoire de l’avare, Séraphin Poudrier, a été rendue encore plus célèbre, ayant été reprise à la radio et à la télévision.