Chapitre 3
La page "En famille"

Comme nous l’avons mentionné plus tôt, Annette Saint-Amant arrive dans l’Ouest en 1914 en réponse à une invitation de l’abbé Louis-Pierre Gravel à venir enseigner dans le sud de la Saskatchewan. Peu de temps après son arrivée, la jeune enseignante commence à proposer des articles au Patriote de l’Ouest.

Dans l’édition du 8 mai 1918 du Patriote, le directeur du journal, le père Auclair, annonce à ses lecteurs que l’hebdomadaire va inaugurer une page qui s’intitulera En famille. «Nous avons le plaisir d’annoncer à nos lecteurs que, la semaine prochaine, le Patriote inaugurera, sous ce titre, une page spéciale que nous croyons destinée à faire du bien dans tous les foyers franco-catholiques de l’Ouest - et ailleurs - où l’on veut bien accueillir notre journal.»26 Le père Auclair ajoutait que la direction de cette page allait être confiée à Annette Saint-Amant.

La jeune femme abandonne sa carrière d’institutrice dans la région de Gravelbourg et déménage à Prince Albert. Elle a été embauchée sans que le directeur du journal ne l’ait rencontrée.

«Le Père s’attend à recevoir une chroniqueuse dans la quarantaine, non une très jolie fille presque rousse, sportive et habile amazone; le rédacteur-adjoint Frémont , délégué à la rencontre de la demoiselle, lui non plus peut à peine en croire ses yeux en rencontrant à la gare la gracieuse et souriante Annette27

La nouvelle directrice de la page En famille n’est âgée que de vingt-six ans lorsqu’elle entreprend une nouvelle carrière en journalisme.

Une semaine plus tard, le 15 mai 1918, Annette Saint-Amant présente sa nouvelle page En famille à la communauté francophone de la Saskatchewan.

Un éditorial signé par la jeune journaliste révèle la mission de cette nouvelle page. «Elle sera véritablement, Mesdames, ce que son titre comporte: familiale d’esprit, simple d’allure, accueillante à tous et, avant tout, franchement canadienne.»28La nouvelle page féminine allait parler d'un peu de tout pour tout le monde: «D’inspiration patriotique et religieuse d’abord, notre page n’en sera pas moins variée ni pratique.»29

Si on regarde la première page En famille du 15 mai 1918, on trouve un coin consacré à la religion - un extrait de l’Évangile et un message de l’évêque de Prince Albert, Mgr Albert Pascal. «Perrette», Mme Joseph Duperreault, a toujours son coin de la Bonne Ménagère. On y retrouve de la poésie et des extraits de romans ainsi que des conseils pour les femmes.

De plus, Annette Saint-Amant ne tarde pas à commencer une nouvelle chronique, celle-ci destinée aux jeunes lecteurs. Le Coin des Enfants deviendra une chronique régulière du Patriote de l’Ouest durant le séjour d’Annette Saint-Amant.

La direction du journal est sans doute heureuse de voir que la nouvelle rédactrice de la page En famille s'intéresse à la jeunesse et qu’elle est prête à faire quelque chose pour les enfants.

Le 15 mai 1918, Annette Saint-Amant annonce à ses jeunes lecteurs que cette section du journal leur sera dorénavant consacrée. «Vous y trouverez chaque semaine des lectures appropriées à votre âge, des bons conseils, de jolies histoires. N’aimeriez-vous pas y voir aussi parfois votre nom, attestant par là que vous êtes de braves petits canadiens et canadiennes qui vous intéressez déjà aux choses de chez nous?»30

Par ce moyen, elle encourage les jeunes à lui écrire. «N’allez pas croire, surtout, que vous n’avez rien à me dire.»31 Les jeunes sont encouragés à écrire à propos de leurs études, de leurs lectures, de leurs amusements. Les filles peuvent écrire au sujet de la robe neuve de leur poupée et les garçons à propos de leur chien «Pataud».

Les jeunes ne tardent pas à répondre à l’invitation d’Annette Saint-Amant. Deux semaines plus tard, elle publiait les premières lettres de ses jeunes lecteurs, des lettres qui venaient de Marcelin, de Duck Lake et de Dinsmore.

Ces lettres reflètent la réalité de l’époque. Une jeune fille de dix ans de Dinsmore, Saskatchewan écrivait: «Je vais à l’école tous les jours. J’apprends à lire et à écrire. Si nous étions avec un bon maître français, ce serait si beau. Mais au contraire c’est un anglais et surtout un protestant ...»32 Annette Saint-Amant reçoit même des lettres de jeunes écoliers de l’Alberta. «À présent, je vais vous parler de mon jardin, j’ai semé des radis, des carottes, des betteraves, des navets, des oignons, des fêves...»33

Elle reçoit tellement de courrier des jeunes qu’elle se voit obliger d’accorder de plus en plus d’espace au Coin des Enfants. Annette Saint-Amant est également la première à donner le nom Esquisses Canadiennes aux articles de Perrette.

Au cours des années, la page En famille ne change pas tellement. À la veille du départ d’Annette Saint-Amant en 1923, on trouve toujours le Coin des Enfants, l’extrait de l’Évangile, etc. dans la chronique destinée à toute la famille.

En 1923, le Patriote de l’Ouest connaît des difficultés financières et le directeur du journal est obligé de remercier son rédacteur adjoint, Donatien Frémont et sa directrice de la page féminine, Annette Saint-Amant.

Le père Auclair écrit alors: «je n’ai pas à faire l’éloge de ces deux collaborateurs devant les lecteurs du Patriote. Leurs articles, toujours si justes et si intéressants les placent au rang d’honneur parmi les meilleurs écrivains catholiques du pays.»34

Donatien Frémont et Annette Saint-Amant sont mariés depuis décembre 1918 et ils sont les parents d’une petite fille, Marie. La famille Frémont quitte alors la Saskatchewan et va s'établir au Manitoba où ils poursuivent tous les deux leur carrière de journalistes au journal La Liberté à St-Boniface.

Pour Annette Saint-Amant, il n’est pas question d’innover puisqu’elle a déjà découvert la formule magique au Patriote de l’Ouest. Dans La Liberté, on va retrouver la Page féminine et Le Coin des Enfants, comme on les trouvait auparavant dans l’hebdomadaire de la Saskatchewan.

Le 4 août 1928, Annette Saint-Amant meurt après une longue maladie. Un lecteur, ou une lectrice, écrit au journal pour rendre hommage à cette vaillante journaliste et termine en ajoutant: «Le bien qu’elle a fait de son vivant ne pourrait-il pas se prolonger encore? Une main amie devrait recueillir, pour les sauver de l’oubli, quelques-unes de ces feuilles éparses. Ce serait en même temps le meilleur hommage à rendre au talent le plus original qu’ait produit le journalisme français dans l’Ouest.»35

C’est son mari, Donatien Frémont , qui va relever ce défi; il regroupe plusieurs articles d’Annette Saint-Amant et les fait publier dans un recueil qu’il intitule L’Art d’être heureuse.

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Annette Saint-Amant et Marie-Anne Duperreault, «Perrette», ont été deux des grandes journalistes francophones de la Saskatchewan. Chacune d’entre elles avait son style journalistique mais les deux avaient à coeur leur nouveau pays d’adoption et la communauté francophone de ce coin du pays.