Chapitre un

Le jeune Métis de la Rivière-Rouge

Louis Riel est né à Saint-Boniface le 22 octobre 1844, le fils aîné de Louis Riel père et de Julie Lagimodière. Il deviendra une des personnalités les plus célèbres du Nord-Ouest, mais ses ancêtres inscriront aussi leurs noms dans les annales1 du territoire qui appartient à la Compagnie de la Baie d’Hudson.

Les ancêtres de Louis Riel

Sa mère, Julie Riel, est la sixième des enfants de Jean-Baptiste Lagimodière2 et de Marie-Anne Gaboury. Selon beaucoup d’historiens, Marie-Anne Gaboury a été la première femme blanche en Terre de Rupert, mais selon George Stanley, elle aurait été précédée dans le Nord-Ouest en 1806 par une jeune fille des Orcades. Cette dernière se serait déguisée en homme pour venir travailler pour la Compagnie de la Baie d’Hudson. Elle aurait donné naissance à un enfant en décembre 1806 avant d’être renvoyée en Écosse.3 Toutefois, cette histoire n’est qu’une hypothèse.

Quant à l’histoire de Marie-Anne Gaboury, il ne semble y avoir aucun doute. En 1807, elle

épouse un jeune voyageur canadien français, Jean-Baptiste Lagimodière, dans son village natal de Maskinongé au Québec. Marie-Anne espère certainement que son mari s’installera définitivement à Maskinongé: «Jean-Baptiste, au moment de son mariage, se sentait le courage de reprendre le cours normal d’une vie dans la société agricole; c’est-à-dire obéir au père, défricher le sol, cultiver la terre, aller à la messe dominicale, assister aux soirées des familles de la paroisse.»4

Mais le printemps suivant, Jean-Baptiste annonce qu’il a décidé de regagner le Nord-Ouest.

Sans hésitation, Marie-Anne déclare qu’elle va l’accompagner. Voilà une chose inconnue à cette époque. Les femmes n’accompagnent pas leur mari vers le Nord-Ouest. Marie-Anne est déterminée à partir. Finalement, Jean-Baptiste accepte. Le couple quitte Maskinongé et se rend à Lachine où il doit rejoindre les autres voyageurs de la Compagnie du Nord-Ouest. De là, il se rend en canot jusqu’au Fort William, à la tête des Grands Lacs, puis à Pembina au sud de la colonie de la Rivière-Rouge.

Marie-Anne donne naissance au premier enfant blanc5 de la colonie. La soeur aînée de Julie Lagimodière est donc le premier enfant blanc né au Manitoba. Les Lagimodière voyagent d’un endroit à l’autre dans la Terre de Rupert. Un autre enfant sera le premier Blanc né en Saskatchewan et le troisième sera le premier né en Alberta.

Jean-Baptiste Lagimodière s’établit finalement dans la colonie de la Rivière-Rouge. Entre 1815 et 1818, il accepte de faire la navette entre la Rivière-Rouge et Montréal pour livrer des messages à Lord Selkirk qui vient d’établir une colonie d’Écossais dans la région. Un des messages que doit livrer Jean-Baptiste annonce la bataille de la Grenouillère (ou bataille des Sept-Chênes) entre un groupe de Métis mené par Cuthbert Grant et des hommes menés par le gouverneur de la Terre de Rupert, Robert Semple.

En récompense de ses services, Lord Selkirk lui donne un lot de rivière sur la rivière Rouge, à Saint-Vital. C’est là que naît Julie Lagimodière en 1819.

Si la famille de la mère de Louis Riel a laissé sa marque sur le Nord-Ouest, celle de son père en a fait autant. «Louis Riel père était le fils de Jean-Baptiste Riel, un Canadien de Berthier, province de Québec, et de Marguerite Boucher. Quant à celle-ci, elle était fille de Louis Boucher de Berthier et d’une Indienne montagnaise-chipewyan. Louis Riel père, petit-fils de celle-ci, avait donc un quart de sang indien et son fils, le chef métis de 1869-1870 et de 1885, en avait un huitième.»6

Louis Riel père est né dans la région de l’Ile-à-la-Crosse, dans ce qui est aujourd’hui la Saskatchewan, mais sa famille retourne au Québec en 1822 où le jeune Louis est baptisé. Il demeure à Berthier jusqu’à l’âge de 21 ans et décide alors de revenir dans l’Ouest pour travailler pour la Compagnie de la Baie d’Hudson.

Il obtient un lot de rivière près de la ferme des Lagimodière, rencontre la jeune Julie et l’épouse le 21 janvier 1843. Louis Riel père établit un moulin à farine sur la rivière Seine et il est dorénavant connu comme «le meunier de la Seine».

C’est quelques années après la naissance de son premier fils, en 1849, que Louis père devient une force politique dans la colonie de la Rivière-Rouge. À cette époque, la Compagnie de la Baie d’Hudson a le monopole du commerce des fourrures dans la Terre de Rupert. Mais les Métis ne se sont jamais gênés pour vendre des fourrures à d’autres compagnies. Avant 1821, il y avait une forte concurrence entre la Compagnie du Nord-Ouest et la Compagnie de la Baie d’Hudson. Après la fusion des deux compagnies en 1821, les Métis ont continué à vendre des fourrures à qui voulait bien les acheter, surtout des commerçants américains. Dès 1844, la Compagnie de la Baie d’Hudson avait essayé d’imposer son monopole sur les Métis, sans trop de succès.

Le meunier de la Seine devient un des chefs politiques des Métis français, car il a reçu une bonne éducation durant sa jeunesse à Berthier. En 1849, la Compagnie de la Baie d’Hudson fait arrêter quatre Métis, dont Guillaume Sayer, pour avoir vendu des fourrures aux Américains. Louis Riel père organise une manifestation contre la Compagnie. Le procès de Sayer doit avoir lieu le 17 mai, le jour de l’Ascension, une grande fête religieuse pour les Métis catholiques.

Ce matin-là, les Métis s’assemblent à la Cathédrale de Saint-Boniface. Après la messe, Louis Riel père adresse la parole aux Métis sur le perron de l’église et les invite à traverser la rivière et à libérer Guillaume Sayer.

Une centaine7 de Métis traversent la Rivière-Rouge et se présentent devant le Palais de Justice du Fort Garry. Ils brandissent leurs fusils et exigent la libération de Guillaume Sayer. «En fait, Sayer admit librement qu’il avait fait de la traite, mais il plaida des circonstances atténuantes et la cour n’osa pas le condamner.»8

Sayer est accueilli sur le perron du Palais de Justice par les Métis. Louis Riel père prend la parole pour annoncer: «Le commerce est libre! Vive la liberté.»9

Cette victoire confirme dans l’esprit des Métis leur statut «d’hommes libres» et leur rôle dans le développement de la colonie de la Rivière-Rouge et de la Terre de Rupert.

Les ancêtres de Louis Riel ont joué, de près ou de loin, un rôle dans deux grandes victoires métisses: la bataille de la Grenouillère en 1817 et l’affaire Sayer en 1849. Louis Riel fils sera lui-même le personnage central des luttes de 1869-1870 et de 1885.