Chapitre deux

Un père de la Confédération

À son retour à Saint-Boniface en 1868, Louis Riel ne retrouve pas la même colonie qu’il a quittée dix ans plus tôt. L’année précédente, les pères de la Confédération ont vu leur rêve se réaliser: l’union du Québec, de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse crée en 1867 le Dominion du Canada. Dans l’Ouest, la Compagnie de la Baie d’Hudson est prête à céder la Terre de Rupert à la jeune nation.

Avant l’annexion des territoires de la Compagnie de la Baie d’Hudson, le gouvernement canadien envoie des arpenteurs à la Rivière-Rouge en 1869 pour préparer la venue des colons. Les arpenteurs doivent diviser le territoire en townships ou en cantons de forme carré.

Chaque township compte 36 sections d’un mille carré, ou 640 acres. La section est ensuite divisée en quatre carreaux de 160 acres. Le système des townships a été emprunté aux Américains qui avaient ainsi divisé l’Ouest des États-Unis. Dans chaque canton, deux sections étaient réservées pour les écoles.

Par contre, les Métis sont déjà installés sur des terres le long des rivières Seine, Rouge, Assiniboine et Sale. Ils ont emprunté l’ancien système du Québec, celui des lots de rivière. Chaque lot donne accès à la rivière pour permettre le transport en canot et pour avoir un approvisionnement d’eau à boire. Les Métis divisent le lot de rivière de la façon suivante. La maison est construite près de la rivière et de la piste. Il y a un potager où on peut récolter des légumes. On ensemence quelques arpents en blé pour la farine et en orge ou en avoine pour nourrir les animaux. Plus loin de la rivière, il y a un grand pacage pour les animaux; au fond du lot il y a du «bois debout» pour le chauffage et la construction. Un lot de rivière peut mesurer plus de trois kilomètres de longueur et environ 200 mètres de largeur. Dans bien des cas, les Métis se réservent aussi les droits sur le terrain au bout de leur lot, utilisé comme pacage supplémentaire. Puisque les lots ne sont pas larges, les Métis ont des voisins à quelques pas seulement et non pas à chaque demi-mille.

Ce système de lots de rivière est celui que Louis Riel a connu dans sa jeunesse à la Rivière-Rouge. C’est celui que les Métis utilisent toujours en 1869. Les arpenteurs du gouvernement canadien ne se préoccupent pas du fait que des Métis sont déjà établis sur les terres et qu’ils ont déjà divisé le terrain à leur façon. Ils se présentent sur les fermes des Métis et leur annoncent qu’ils vont arpenter le terrain selon le nouveau système des sections carrées.

Le 11 octobre 1869, un groupe d’arpenteurs arrive à la ferme d’André Nault, un cousin de Riel. Nault proteste, mais les arpenteurs ne veulent rien savoir. Le jeune Métis va donc chercher ses voisins. Dix-huit Métis viennent à son secours, y compris Riel.

Puisque Louis Riel parle l’anglais, c’est lui qui demande aux arpenteurs de s’en aller. Il leur rappelle que la colonie n’a pas encore été cédée au gouvernement canadien et qu’ils n’ont pas le droit d’arpenter ces terres sans la permission des résidants.

Les arpenteurs ne sont pas prêts à l’écouter. Ils veulent continuer leurs travaux, mais les Métis posent le pied sur leurs chaînes. Finalement, ces derniers décident de retourner au Fort Garry. Les Métis français, menés par Louis Riel, ont montré qu’ils pouvaient résister à la Compagnie de la Baie d’Hudson et au gouvernement du Canada. La colonie ne serait pas cédée sans que l’on consulte les Métis.

Louis Riel devient ainsi le chef des Métis français. C’est l’homme le plus instruit de la colonie. Il parle le français et l’anglais. Et puisqu’il a travaillé dans un cabinet d’avocat à Montréal, il connaît la politique.

La situation à la Rivière-Rouge devient tendue. En 1869, le Conseil d’Assiniboia,15 le gouvernement légal de la Compagnie de la Baie d’Hudson dans la région, n’est plus prêt à assumer ses responsabilités et à imposer son autorité sur le territoire, mais la vente au Canada n’a pas encore été conclue. Malgré cela, Ottawa décide de nommer un lieutenant-gouverneur pour le nouveau territoire. Il s’agit de William McDougall, un Ontarien qui décide de se rendre à la Rivière-Rouge afin d’être sur place lorsque le territoire sera cédé au Canada. Il voyage par train jusqu’à Saint-Paul au Minnesota, pour ensuite se rendre à Pembina.16 Là, un groupe de Métis l’attend et il est forcé de retourner aux États-Unis le 2 novembre 1869.