Chapitre deux

L'agitation au Manitoba en 1869-70


Les années perdues

Lorsque Louis Schmidt revient à la Rivière-Rouge en 1861, il se trouve dans une situation embarrassante. Toute l’éducation qu’il a reçue dans l’Est et tous les livres qu’il a lus ne valent pas grand-chose dans ce pays de traite des fourrures. Il n’a pas la force physique pour être voyageur, fréteur ou chasseur de bisons. Que va-t-il faire à la Rivière-Rouge pour gagner son pain?

Des trois garçons qui ont quitté Saint-Boniface trois ans auparavant, seul Louis Riel poursuit toujours ses études dans l’Est du pays. Comme Louis Schmidt, Daniel McDougall a abandonné ses études pour revenir dans l’Ouest.

Au cours des huit années suivantes, Louis Schmidt passera d’un emploi à un autre. Puisqu’il a une belle écriture, on lui demande de refaire le dictionnaire de langue crie préparé par le père Albert Lacombe. En 1862, suite à une insurrection des Sioux du Minnesota, Schmidt accompagne le père Alexis André qui se rend dans le camp des Indiens pour essayer de négocier la paix. En 1864, il devient le chef d’une caravane de charrettes de la Rivière-Rouge qui se rend à Saint-Paul pour chercher des provisions pour la mission de Saint-Boniface. En 1865, il commence à enseigner au Collège de Saint-Boniface, mais il n’est pas bon enseignant et abandonne après un an.

Pendant huit ans, Louis Schmidt fait mille métiers.


La Terre de Rupert avant 1869.


En 1867 et 1868, les sauterelles envahissent la Rivière-Rouge et détruisent les récoltes. La chasse aux bisons est aussi une chose du passé: «Tout le buffalo était de l’autre côté du Missouri ou refoulé vers l’Ouest dans le Montana sur les bords de la Rivière au Lait et au-delà.»6 La colonie de la Rivière-Rouge est réduite à la famine. «Dans ces conjonctures les autorités du pays, Mgr Taché en tête, commencèrent à organiser des comités de secours à s’adresser aux personnes charitables des pays voisins, les États-Unis et le Canada. La Compagnie de la Baie d’Hudson souscrivit aussi une forte somme d’argent et ainsi la famine fut évitée ou on circonscrivit beaucoup les ravages.»7

Pour aider à éviter la famine durant l’hiver de 1868-1869, les Métis se voient obligés de pêcher sous la glace de la rivière Rouge. «Les poissons étaient en abondance au fort pendant l’été, mais la pêche sur glace en hiver était nouveau.»8 Louis Schmidt tire profit de ses connaissances de la pêche en hiver, acquises avec son père au lac Rabasca. Il s’implique aussi dans d’autres campagnes entreprises pour alimenter la colonie. «Nous allions, comme on disait alors, à la farine. Les marchands et autres qui avaient de l’argent l’achetaient, et nous la transportions pour en avoir la moitié. Nous nous rendîmes jusqu’à la rivière des Sauks où il y avait des moulins, à quelques 50 ou 60 milles de Saint-Cloud.»9 Saint-Cloud se trouve au Minnesota près de la ville de Saint-Paul. C’est à la suite de ce voyage que Louis Schmidt voit pour la première fois des lampes à pétrole à la Rivière-Rouge. Pour lui, ces lampes représentent l’arrivée de la civilisation dans la colonie.