Chapitre 2...

L’insurrection de 1869-1870


En 1868, le Canada commence à négocier avec la Compagnie de la Baie d’Hudson pour acheter tout le territoire de la Terre de Rupert. «La Confédération Canadienne venait de se former et elle voulait déjà s’agrandir. Une loi passée au dernier parlement autorisait le gouvernement à acquérir les Territoires de l’Ouest pour les unir au Canada. Un marché avait été conclu par lequel la Compagnie de la Baie d’Hudson, souveraine de ces contrées, cédait tous ses droits, moyennant trois cent mille louis10 à lui être payés, et la Rivière-Rouge allait devenir partie du Canada.»11

Le gouvernement canadien décide alors de commencer la construction du chemin Dawson. Ce chemin doit relier la colonie de la Rivière-Rouge à Fort William sur le lac Supérieur et au reste du Canada. La transaction avec la Compagnie de la Baie d’Hudson n’a pas encore été signée et les habitants de la colonie voient l’arrivée des arpenteurs comme une ingérence dans leurs affaires par un gouvernement étranger.

Louis Riel est revenu à la Rivière-Rouge depuis l’été de 1868. Comme Louis Schmidt, Riel s’aperçoit que les gens de la Rivière-Rouge parlent beaucoup de politique. Il invite donc son ancien confrère de classe à venir le voir à Saint-Vital. Schmidt accepte cette invitation: «Nos entretiens roulaient naturellement sur les changements qui se préparaient pour notre pays. Nous tirions aussi des plans. Mais comme nous ne connaissions encore rien de définitif sur les instructions du gouvernement canadien, nous devions attendre les événements, bien résolus toutefois de nous occuper des affaires publiques quand le moment en sera venu.»12

Mais, la décision du gouvernement canadien d’envoyer des arpenteurs dans la colonie pour travailler sur le chemin Dawson oblige les deux vieux amis à prendre les choses en main plus vite qu’ils ne s’y attendaient.

Selon Schmidt, «le pays n’était pas canadien et c’était un acte de sans-gêne inouï pour un gouvernement d’aller entreprendre des travaux publics dans un pays étranger, sans l’assentiment des autorités du lieu, qui pour tous étaient le gouvernement d’Assiniboia. Le pays était vendu, dira-t-on, mais il fallait attendre au moins que le vrai propriétaire, la Reine, l’eut livré. Or, sa proclamation ne parut que le 15 juillet 1870.»13


Les arpenteurs canadiens arrivent dans le district d’Assiniboia durant l’hiver de 1868-1869. Sous la direction du colonel Dennis, ils commencent à «tirer des lignes de tous côtés sans s’occuper s’ils étaient sur des propriétés privées ou non.»14

Les Métis de la colonie de la Rivière-Rouge, sous la direction de Riel et de Schmidt, commencent à s’organiser. Ils empêchent les Canadiens d’arpenter le terrain d’André Nault. Ils s’opposent à l’entrée du gouverneur canadien, William McDougall, dans le territoire. «Ils voulaient auparavant avoir des garanties sûres que tous leurs droits seraient sauvegardés. Ce fut la base sur laquelle ils s’appuyaient pour se soulever et prendre toutes les mesures voulues afin de réussir dans leur entreprise. Ceci se passa au mois d’octobre 1869.»15

En agissant ainsi, les Métis se heurtent au parti canadien, formé de colons nouvellement arrivés de l’Ontario et qui veulent faire de la colonie un territoire anglais à l’image de l’Ontario. Devant l’insurrection des Métis, les colons commencent à craindre que le territoire ne leur échappe. Ils décident donc de s’armer.

Puisque le Conseil d’Assiniboia16 n’a pas les moyens de défendre la colonie contre ces colons de l’Ontario, Riel et ses hommes prennent possession du Fort Garry. Schmidt se souvient être passé au fort quelques jours plus tard. Il écrit: «En passant au fort, que les Métis occupaient depuis trois jours, je reconnus un de mes voisins qui montait la garde près de la petite porte de l’Est. J’allais lui serrer la main et lier un petit bout de conversation. Je remarquai qu’il parlait presqu’à voix basse et comme si je l’avais interrompu dans ses prières, car s’il avait son fusil sur l’épaule il avait aussi le chapelet à la main. Je n’entendais non plus aucun bruit au dedans les murs.»17

Avant même la prise du Fort Garry, les Métis avaient formé un Conseil provisoire avec John Bruce comme président et Louis Riel comme secrétaire. Jusqu’à ce moment, seuls les Métis d’origine française participent à l’insurrection. Après la prise du Fort Garry, Riel reconnaît qu’il doit aussi impliquer les Métis d’origine anglaise et écossaise dans le mouvement. Riel et Schmidt envoient des lettres aux dirigeants des communautés anglaises leur demandant d’envoyer des représentants pour discuter de la situation et «afin d’en venir à une entente commune sur les conditions à demander au Canada avant de lui permettre l’entrée au pays.»18