LA PRESSE, MARDI 15 JUILLET 1997




AUTOUR DE L' " AUTRE " STRAVINSKY


Claude Gingras


L'aspect peut-être le plus fascinant d'un festival est de pouvoir y entendre des œuvres, y assister même à des évènements, qui ne font pas précisément partie des " habitudes " d'une saison normale. Lanaudière est devenu une sorte de modèle à cet égard et, hier soir encore, il réussissait un autre coup. Il offrait même ce qui est, sauf erreur, une première mondiale : l'exécution intégrale des trois Quatuors à cordes de Soulima Stravinsky.

Au départ, le nom de Soulima Stravinsky est inconnu du grand public. Il ne s'agit pas, en effet, du célèbre auteur du Sacre du printemps, mais de son fils. Et, encore là, on ne parle pas du pianiste qui a signé quelques obscur 33-tours de Scarlatti et de Chabrier, mais du musicien qui suivit les traces de son père et fut lui-même compositeur.

L'excellente idée de Lanaudière, parmi tant d'autres, était de présenter ses trois Quatuors, joués par notre jeune quatuor sans doute le plus remarquable, le Alcan et d'y inviter la veuve de l'auteur, Françoise Stravinsky, pour une interview animée par Georges Nicholson. Le trop bref entretien fut placé après l'exécution du premier Quatuor. Les deux autres Quatuors furent joués après l'entracte.

L'auditoire réuni dans l'église de Berthierville n'était évidemment pas nombreux : 200 personnes. Peu importe, l'événement a eu lieu et marquera les anales du Festival.

S'il n'écrit pas en imitant son père, Soulima Stravinsky s'inspire quand même largement des compositeurs dont il a entendu la musique, principalement Beethoven et Schubert, voire Borodine et Schoenberg. Des uns et des autres, il reprend certaines formules qu'il transforme, il utilise aussi l'écriture fuguée qu'il a apprise à bonne école, et il sait établir d'intéressants rapports entre les instruments. La belle sonorité collective du Alcan conférait une certaine dimension, une certaine gravité même, à cette musique assez peu personnelle.

Nous avions entendu le premier Quatuor il y a quelques années lors d'un concert du Quatuor Morency. Il s'agissait déjà d'une première ici. Hier soir, nous avions droit à ce qui était, sauf erreur, une première mondiale. Selon Mme Stravinsky, qui suit de près tout ce qui concerne la musique de son mari, c'est la première fois qu'on donne en concert les trois Quatuors. Elle ne se rappelle aucune intégrale passée, ni en Amérique ni en Europe. Et au disque, il n'existe qu'un enregistrement, celui du Florida Quarter pour lequel les écrivit le compositeur, qui habitait la Floride où il est mort en 1994, à 84 ans. Françoise Stravinsky, qui était un peu plus âgée que son mari puisqu'elle est née en 1907, en France, a répondu aux questions de M. Nicholson avec amabilité et une mémoire extraordinaire pour son âge. Elle a surtout parlé de ses relations avec son mari plutôt qu'avec son beau-père et a beaucoup amusé l'auditoire avec ses anecdotes.

En rappel - et à la demande de Mme Stravinsky, a annoncé le violoncelliste David Ellis -, le Alcan a rejoué le finale du troisième Quatuor, ce qui a souligné l'étrange ressemblance du début avec celui d'une certaine Inachevée

QUATUOR À CORDES ALCAN - Brett Molzan et Nathalie Camus (violons), Luc Beauchemin (alto) et David Ellis (violoncelle). Lundi soir, église de Berthierville. Dans le cadre du 20e Festival international de Lanaudière. (Radiodiffusion : CBF-FM, 24 juillet, 20 h.) Programme : les trois Quatuors à cordes de Soulima Stravinsky et interview de Françoise Stravinsky par Georges Nicholson