L'historique du
Festival International de Lanaudière
1978 à 1997


Gestion - février 1989



L
E FESTIVAL INTERNATIONAL DE LANAUDIÈRE1
par Micheline Lesage sous la direction de Laurent Lapierre


En 1977, le père Fernand Lindsay recevait un appel téléphonique de l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM). Le contrat des concerts d'été de l'aréna Maurice Richard venait d'être octroyé à un autre orchestre sous la direction de Raymond Dessain, et l'OSM était à la recherche d'un lieu qui lui permette de compléter sa saison d'été. Voyant là une occasion inespérée d'offrir à ses concitoyens de la région de Joliette cette belle musique dont il parle avec tant de passion, le père Lindsay discute programmation avec la direction de l'OSM et finit par produire trois concerts à la Cathédrale de Joliette. L'enthousiasme des mélomanes encourage le père Lindsay ; en fait, le succès des concerts est l'étincelle qui déclenche la naissance officielle du Festival d'été de Lanaudière. Le père Lindsay insiste cependant pour dire que " le festival n'est pas venu au monde de façon artificielle ".

HISTORIQUE

Pour Fernand Lindsay, la musique est l'expression de la beauté des choses, c'est elle qui l'a guidé tout au long de sa carrière, de sa vie. Dès l'âge de trois ans, il apprend le piano à la maison, encouragé par sa mère et la famille de son père, dont presque tous les membres sont musiciens amateurs. De longues soirées à découvrir toutes les facettes de cet art, ponctuées pendant l'été par les récits de son oncle Georges2 sur la vie musicale à Joliette, l'amènent à s'inscrire au Séminaire de Joliette chez les Clercs St-Viateur. C'est l'époque des " collèges classiques vivants, où les professeurs font tout pour offrir le maximum aux étudiants ". À Joliette, la tradition artistique, musicale et théâtrale, est déjà bien ancrée grâce au travail des Clercs, dont les pères Bellemare, Marion et Corbeil qui influenceront de façon marquée le jeune Fernand. Celui-ci est vivement attiré par cette vie artistique et, comme il en témoigne lui-même, il se fait prendre dans l'engrenage : études menant à une carrière d'enseignant, participation à la vie communautaire, mais surtout possibilité de continuer à faire de la musique…

Pendant ses années d'études, Fernand Lindsay joue de l'orgue, du piano, de la clarinette et du basson ; il assiste à des auditions de disques ou d'émissions radiophoniques dont il deviendra l'un des organisateurs plus tard. Très tôt, il sent le besoin d'amener les autres, et surtout les jeunes, à partager la satisfaction qu'il éprouve à baigner dans le monde musical. Lorsqu'il devient professeur (il enseignera la philosophie, le français, le latin, la littérature musicale), il s'implique à titre d'accompagnateur et de directeur de la chorale de chant grégorien, et fonde à Joliette, au début des années cinquante, l'un des premiers centres Jeunesse musicales (JMC).

Les concerts JMC sont peu fréquentés au début, mais rapidement, grâce à l'aide de quelques amis, Fernand Lindsay réussit l'exploit de remplir les salles. Ses amis ont alors pour nom Marcel Masse, jeune professeur, et René Charrette, administrateur ; plusieurs années plus tard, tous deux joueront un rôle capital dans le développement du Festival d'été de Lanaudière. Marcel Masse se souvient du travail bénévole qu'il accomplissait auprès de Fernand Lindsay : " on a voulu tous deux élargir la clientèle, aller chercher les élèves des écoles publiques. Briser, en quelque sorte le ghetto de l'élite ".3

Devenu clerc St-Viateur, le père Lindsay continue son action à l'École de musique du séminaire. La demande se faisant de plus en plus pressante, il crée, en 1962, un festival-concours assorti de bourses qui permettent aux jeunes gagnants de faire un séjour au Centre d'Arts Orford, dirigé alors par les Jeunesses musicales. Les professeurs de toute la région " y voient un stimulant à leur enseignement ", dira le père, mais ils réalisent rapidement que les bourses limitent l'impact du concours, puisqu'il faut être âgé d'au moins dix-sept ans pour être admis au Centre d'Arts Orford. L'idée d'un camp musical pour les jeunes s'impose : le père Lindsay décide donc en 1967 d'utiliser la maison des Clercs St-Viateur au lac Priscault à Saint-Côme pour créer le Camp musical de Lanaudière. Les débuts sont bien modestes, mais aujourd'hui, près de 400 étudiants y séjournent l'été sous la tutelle d'une quarantaine de professeurs, dont plusieurs grands maîtres. À la même époque, soit de 1965 à aujourd'hui, le père Lindsay dirige, tous les jeudis soirs, la Chorale des chanteurs de la place Bourget, dans laquelle René Charrette avait été impliqué de 1957 à 1960.

À l'âge de 35 ans, le père Lindsay part étudier un an à l'Institut catholique de Paris et à la Sorbonne ; il en profite pour visiter les grands festivals de musique de Salzbourg, Munich, Bayreuth et Vienne. C'est le coup de foudre ; le désir de remplir ainsi les étés joliettains germe tout au fond de lui. Jusqu'en 1977, le père Lindsay cultivera cette idée, attendant avec tranquillité et assurance le moment propice pour faire surgir concrètement ce rêve qu'il chérit tant. La salle Rolland-Brunelle, climatisée depuis l'été 1975, est justement inoccupée au moment où l'OSM frappe à la porte désespérément…

La salle Rolland-Brunelle n'est pas idéale, elle n'évoque en rien la fête qu'on voudrait que soit toute grande manifestation musicale. C'est une salle de cégep, un petit théâtre à l'image des collèges classiques. On y accède par un corridor rappelant ces longs couloirs de pensionnat, ou par la cour dans laquelle on a installé des chapiteaux. Il est difficile d'y faire naître la magie mystique du concert à l'église où le son enveloppe l'auditeur, l'enthousiasme collectif de la foule réunie dans un amphithéâtre. Pourtant le Festival d'été de Lanaudière y fera ses premières armes.

L'année 1978 est la première où les concerts sont regroupés sous le nom de Festival d'été de Lanaudière. On célèbre le 150e anniversaire de naissance de Schubert ; en hommage au grand compositeur, huit concerts Schubert sont donnés du 4 juillet au 22 août. Ils ont été organisés avec les moyens du bord : bénévoles du Centre culturel de Joliette, anciens confrères de classe, amateurs de musique classique. Sur le parvis de l'église, durant l'entracte de l'un de ces concerts, René Charrette et Marcel Masse retrouvent le père Lindsay pour se remémorer le temps de leur jeunesse ; mais le goût de l'aventure est toujours au bout des doigts et tous deux décident de s'engager de façon informelle à aider le père à " donner plus d'importance à cela ".

" Il y avait une saison creuse l'été. Les gens cherchent quoi faire durant leurs vacances… leurs vacances qui sont de plus en plus longues… et durant l'été, presque toutes les institutions ferment… Il y avait un créneau, l'environnement changeait et il fallait une institution pour l'occuper, sinon d'autres s'en chargeraient ", dira Marcel Masse.

LE PREMIER PRÉSIDENT

Marcel Masse, aujourd'hui ministre des Communications dans le gouvernement fédéral, a été le premier président du conseil d'administration du Festival d'été de Lanaudière. Dix ans plus tard, Paul Dupont-Hébert déclarera en conférence de presse : " Il croit fermement que l'est du Canada a besoin d'une attraction touristique importante. Le Québec étant en majorité francophone, il pense que la musique est le meilleur médium. Il y croit depuis 10 ans " 4.

Comment ce futur ministre, vice-président chez Lavalin en 1977-78, envisageait-il son rôle et celui du conseil d'administration qui devait naître ? " C'est la responsabilité du président de former son conseil d'administration ". Donc, dès cette première conversation sur le parvis de la cathédrale, Marcel Masse, le père Lindsay et René Charrette s'entendent pour ne " pas établir de catégories d'administrateurs, mais accueillir des gens qui se disent prêts à faire partie du conseil d'administration et à donner vraiment naissance au Festival ". Le premier conseil réunit donc un groupe d'amis qui décident de plonger " sachant fort bien les difficultés qu'ils allaient traverser, dans un respect mutuel des qualités individuelles de chacun ". Mais Marcel Masse comprenait déjà combien il était important d'enraciner sa vision à long terme du Festival, vision que partageait le père Lindsay et René Charrette, soit que l'événement déborde la ville de Joliette. Il décide donc d'intégrer à ce premier noyau des gens de l'extérieur, des dirigeants d'Air Canada, de Lavalin, d'Hydro-Québec… " On a vraiment eu la chance de composer dès le départ un 'mix' entre des éléments de la région et des éléments dynamiques de l'extérieur et de bien travailler ensemble " s'empresse-t-il de dire. Il fallait jeter les bases de la future commandite, trouver des ambassadeurs.

Le premier geste de ce nouveau conseil d'administration consiste à incorporer le Festival selon la partie III de la Loi québécoise des corporations pour lui donner un statut légal. René Charrette se rappelle cet été 1978 : " Nous avons voulu dès le départ bien structurer le Festival, même si le caractère en était alors régional ". Puis, c'est l'élection des dirigeants : à la présidence, Marcel Masse, à la vice-présidence, René Charrette. Même s'il en est le fondateur, le père Lindsay ne sera officiellement considéré comme directeur artistique de cette nouvelle société qu'après une proposition des membres du conseil d'administration. Car Marcel Masse croit fermement que " le conseil d'administration est celui qui choisit le directeur artistique et non l'inverse ". Il relève de la responsabilité du conseil d'administration de bien contrôler l'orientation de l'institution, sa place, son organisation, sa gestion, pendant que la direction artistique se concentre sur le produit, un produit qui se veut de la plus haute qualité et permet, par ricochet, de projeter une image de qualité. Le président insiste beaucoup sur cette image pour positionner le Festival, au point de la disproportionné par rapport au produit. Même s'il n'y a que quelques concerts à l'affiche en 1979, le conseil d'administration publie un rapport annuel de grande classe dont des exemplaires seront expédiés à tous les consulats et ambassades au pays et à l'étranger. Comme le dira plus tard Paul Dupont-Hébert : " Il fallait qu'au départ, ça impressionne pour pouvoir séduire ".

En fait, si le Festival n'avait encore qu'un caractère régional, les actions posées par le conseil d'administration traduisent déjà un désir profond de bâtir quelque chose d'important. Et pourtant, les commentaires négatifs fusaient. René Charrette et Marcel Masse se souviennent qu'ils n'étaient pas perçus comme des visionnaires, mais bien comme " des gens un peu perdus " à l'image du milieu culturel ! On alléguait que la clientèle joliettaine était trop limitée et que la musique classique l'été était presque un non-sens. Mais Marcel Masse persistait à vouloir occuper cette niche, même à l'état embryonnaire :

" Le président, le leader, doit avoir une vision des choses et un instinct incontestable dit-il. Il est normal que la belle musique ne soit pas nécessairement la première priorité d'une population, mais ma responsabilité de leader m'amène à devancer quelque peu la demande populaire… il faut lire l'avenir ".

Cette lecture de l'avenir causait d'ailleurs de grands remous au sein du conseil d'administration. Le père Lindsay raconte que de nombreuses discussions ont eu lieu sur la nature même du produit, certains voulant " populariser " le Festival pour le rendre plus accessible. Mais l'idée maîtresse du père Lindsay, celle de créer un festival de belle musique avec de bons artistes, les meilleurs, et de rejoindre le plus grand public, survit à toutes ces discussions et devient la mission clairement énoncée de la corporation. Cette vision à laquelle adhèrent entièrement Marcel Masse et René Charrette déborde les cadres de la musique classique et ne fait pas abstraction du côté populaire de certaines de ces belles musiques. Le président Marcel Masse et reçut pourtant les premières démissions.

Le conseil d'administration ainsi réduit assumait plus que jamais son rôle et, sous le leadership de Marcel Masse, il encadrait fortement le directeur artistique, La programmation devait être approuvée et devait s'inscrire à l'intérieur d'une enveloppe budgétaire déterminée par le conseil d'administration ; c'était à René Charrette que revenait la charge du contrôle budgétaire. On décidait également d'utiliser quelques églises environnantes pour diversifier et susciter de l'intérêt. Comme le père Lindsay et Marcel Masse se l'étaient dit à l'époque des Jeunesses musicales dans les années '60, il fallait élargir la clientèle. Mais à quoi pensait Marcel Masse pendant ces réunions ?

" J'accorde beaucoup d'importance à l'institution et je pense profondément que ce sont les institutions qui créent le directeur artistique ; c'est une question de continuité et de durée… L'institution va démarrer d'un bon pied s'il y a symbiose entre la qualité de la programmation et le travail du conseil d'administration. Ce n'est pas facile ; en général, c'est l'échec lorsque cette symbiose n'existe pas. Le conseil d'administration est toujours en chicane avec le directeur artistique qui refuse de se faire encadrer et ça se termine en queue de poisson. Évidemment, c'est difficile de gérer des personnalités fortes, car, par définition, puisqu'elles sont fortes, il y a danger de conflits. Mais le succès réside dans la capacité de créer une symbiose de personnalités fortes où chacun respecte la réalité de l'autre. Il faut que les deux parties se respectent mutuellement et assument leurs responsabilités respectives dans le cadre de l'institution ".

Il savait qu'il avait l'appui du père Lindsay avec qui il avait tenu ces propos avant même la naissance du festival. Car le père Lindsay, connaissant bien et admettant volontiers ses limites administratives, avait déjà conclu qu'il était " absolument essentiel qu'un tel projet se fasse en équipe, que le fonctionnement en soit logique et bien établi pour en assurer l'expansion ".

De 1979 à 1983, sans permanence réelle (un ou deux pigistes assumant le suivi des décisions du conseil d'administration pendant l'été), le Festival croît au rythme des moyens des membres du conseil d'administration et du directeur artistique. Le père Lindsay étant toujours impliqué, parallèlement à ses fonctions d'enseignant, dans le Centre culturel de Joliette, le Camp musical de Lanaudière et la Chorale des chanteurs de la place Bourget, plusieurs membres du conseil d'administration, dont René Charrette, doivent s'impliquer à fond et consacrer de longues heures, non seulement à prendre des décisions, mais aussi à veiller à leur application. En fait, c'est le conseil d'administration qui joue alors le rôle de gestionnaire, qui contrôle tout, qui s'occupe de régler autant les questions financières que la billetterie, etc. C'est toujours l'image qui prime dans les décisions : affiches prestigieuses dessinées par la maison Lavalin, conférences de presse à l'hôtel Quatre Saisons à Montréal, à Trois-Rivières, à Joliette, organisation de galas bénéfices, rapport annuel, etc.

VERS UNE DIRECTION GÉNÉRALE

Après le départ de Marcel Masse et un bref mandat d'un an confié à Madame Nicole Forget d'Hydro-Québec, René Charrette accède à la présidence. Il poursuit le travail de ses prédécesseurs en bâtissant graduellement le Festival, au prix multiple frustrations " puisqu'on avait le goût d'aller plus vite ". Quand il frappe aux portes du gouvernement et de l'entreprise privée, il reçoit quelques encouragements financiers, mais surtout une bonne dose de : " faites d'abord vos preuves ". Pourtant, il croit fermement que " d'année en année, on a apprivoisé le Festival et acquis ainsi une solide expertise ". En 1983, avec l'accord du père Lindsay, il force le conseil d'administration à réfléchir sur le proche avenir du Festival ; car, malgré la vision du grand festival à caractère international qu'il partageait avec Marcel Masse et le père Lindsay en 1978, l'événement est toujours considéré comme régional. Devant le risque, calculé pense-t-il, certains membres démissionnent et d'autres, à qui cette vision plaît, joignent les rangs. Conformément au désir exprimé quelque temps auparavant par les organismes qui accordent des subventions au festival, le conseil d'administration décide à l'unanimité qu'il est temps de créer une permanence administrative qui pourra prendre le relais du travail longtemps assumé par chacun des membres du conseil d'administration en assurant tous les suivis et en veillant au rayonnement plus important du Festival.

(1) Cette étude de cas a été préparée par Laurent Lapierre et Micheline Lesage. Les entrevues ont été menées par Laurent Lapierre qui a initié le projet. La recherche de la documentation et la rédaction sont l'œuvre de Micheline Lesage sous la direction du professeur Laurent Lapierre. Micheline Lesage est directrice à l'administration des Jeunesses Musicales du Canada. Elle prépare actuellement une maîtrise en administration des affaires à l'École des Hautes Études Commerciales de Montréal. Cette étude de cas a été réalisée grâce à une subvention du Fonds Mercure, fonds interne de recherche de l'École des H.E.C.. Nos remerciements vont à René Charrette, Paul Dupont-Hébert, Fernand Lindsay et Marcel Masse pour leur aimable collaboration.

(2) L'oncle Georges a été récipiendaire du Prix d'Europe d'orgue dans les années trente.

(3) Simone Piuze, Le Père du Festival, Actualité, juin 1987.

Note : Des entrevues avec les personnes suivantes ont servi de canevas à la rédaction de ce cas : René Charrette, le 9 juin 1988
Paul Dupont-Hébert, le 17 juin et le 2 août 1988
Fernand Lindsay, les 2 et 14 juin 1988
Marcel Masse, le 20 juillet 1988

(4) Arthur Kaptainis, Lanaudière Festival : Going Strong, but still growing, The Gazette, 27 juin 1987. Dossier de presse du Festival 1987, page 244. Traduction de M. Lesage.



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