Rolland Brunelle
L'incroyable carrière de Rolland Brunelle en matière d'éducation musicale relève presque de la légende. Celui que la musique d'ici ne se lasse pas d'admirer et d'honorer ne serait sans doute pas ce qu'il a été sans une heureuse rencontre de facteurs héréditaires et d'événements fortuits dont il su profiter avec un rare bonheur. L'aventure était déjà commencée depuis longtemps quand le père Lomer, le petit Rolland sur ses genoux, commença de lui chanter après le souper des vocalises qu'il pratiquait comme membre des Troubadours de l'industrie ou comme chantre à la cathédrale. Le fiston devait répéter de son mieux ces exercices et s'initier graduellement aux rudiments du solfège. Le père s'était procuré un harmonium pour accompagner ses pratiques de chant et Gaston, l'aîné de Rolland, ne tarda pas à s'intéresser aux notes du clavier. Dans une famille qui comptera surtout des autodidactes il suffisait que le papa indique brièvement la technique de l'instrument pour que chacun se débrouille étonnamment bien en attendant le professeur désiré. Bientôt on se procura un piano acheté d'un 2ème voisin et alors Gaston y passa des heures avec la méthode Schmoll... Rolland, âgé de 8 ans, s'y adonna quelques mois toujours aidé de son père. Mais il était resté comme obsédé par la visite, trois ans auparavant, d'une cousine Jeanne Marion (alors élève d'Eugène Chartier) qui avait apporté un soir son violon à la maison des Brunelle. Rolland, 5 ans, s'était timidement approché... avait passé de longs moments à en examiner toutes les parties, fasciné par le son de cet instrument mystérieux aux ouïes et volutes à faire rêver... Aussi, le temps venu, quoi de plus aisé que de troquer l'usage du piano pour l'apprentissage du violon qui se fit, cette fois, avec une jeune étudiante de la rue Richard, Luce Goulet brillante élève des SS de la C.N.D. comme il est dit ailleurs. Six mois d'études permirent à Rolland de se préparer à suivre les cours d'Octavien Asselin, père d'une autre famille célèbre de musiciens joliettains (auxquels on a accordé un chapitre particulier). Ce professeur avait étudié à Montréal avec M. Chartier et un M. Desèves. Le jeune Brunelle commence donc à faire la navette entre la maison paternelle et celle de M. Asselin pour recevoir ses leçons, qu'il pratique pendant une demi-heure avant le souper et une autre demi-heure avant le coucher. " Un jour, raconte-t-il, pour être allé jouer au base-ball je n'arrive qu'à l'heure du repas : Va chercher ton violon, me dit mon père, tu mangeras après. Et il demande aux autres de garder le silence comme pour faire impression. J'ai appris ce jour-là que la pratique quotidienne c'était sérieux et que je devais y être ". Après environ un an, mai 1921, Rolland participait à un récital donné à l'Académie Saint-Viateur. Tandis que l'élève Maurice Ducharme avait préparé Liebesfreud de Kreistler, Rolland pouvait y aller avec Thème et Variations de Dancla. Comment notre violoniste pourrait-il sans émotion se rappeler (70 ans après... ) cette première apparition en public ?. Une photo de la Symphonie de Joliette prise à la salle du marché vers 1923 nous fait encore voir Rolland Brunelle jouant 2ème violon, il y avait été reçu à 11 ans. Autre record : À l'âge de 12 ans il enseigne le violon à Antonio Grypinich 15 ans). Celui-ci avait chez lui des disques de Heifetz et de Pablo Casals. Quel régal pour le professeur qui ne pouvait compter encore que sur la radio pour se cultiver (En 1983, Antonio G. se fera un devoir de rendre lui aussi hommage, par lettre, à son premier professeur). Quand Rolland Brunelle entra au collège -septembre 1926- il était déjà un sportif. Dans l'esprit de M. Lomer, du moment que le sport ne nuisait pas à ses études, ça ne pouvait qu'être bénéfique. D'ailleurs longtemps chef du bureau de transport des marchandises au CNR, M. Brunelle allait se dévouer avec zèle aux organisations sportives... et musicales. Dès sa Syntaxe latine Rolland se signalait déjà en jouant pour le Grand Club et, dans la suite, pour la Ligue provinciale de Base-ball surtout comme arrêt court. Une fois entré au collège, Rolland ne recevra de leçons de violon que de M. Eugène Chartier altiste à la Philharmonique de Montréal, si bien qu'en Rhétorique quand celui-ci quittera remplacé par le professeur Octavien Asselin, Rolland continuera avec M. Chartier qui viendra de Montréal une fois la semaine lui donner des leçons ainsi qu'à Maurice Ducharme, Alma Lavallée et une demoiselle Mason. Or notre élève dit avoir quand même assez peu appris des autres durant son cours... Ah ! ces autodidactes ! Au séminaire la fanfare brillait alors de tous ses feux avec l'abbé Alphonse Fafard. Ceux qui ont connu ce chef fringant et d'un dévouement sans reproche racontent encore de savoureuses anecdotes à son sujet. Il se présente devant le jeune syntaxique Rolland Brunelle qui faisait déjà partie de la fanfare comme joueur de basse : "Celui qui doit jouer un solo de baryton au prochain concert est malade, tu es capable de le remplacer, tu as trois semaines pour y voir Et Rolland de s'initier en hâte... ! Ce fut pour lui le commencement d'une série d'exercices sur tous les instruments qui le rendirent tout à fait polyvalent, faisant de lui, comme il le dit sans détour, le "bouche-trou" de l'Harmonie. Il y avait aussi la chorale dirigée encore par le même Fafard et avec quel ferveur ! Rolland devint le répétiteur officiel des différentes partitions des chœurs chantés. Sa voix prit assez tôt un timbre grave qu'il cultivera avec soin en excellent disciple de son père. C'est au point que Yoland Guérard dira un jour au Caroussel du samedi matin de Radio-Ca-nada : "C'est la plus belle voix de basse que j'aie jamais entendue". En Versification il aura deux élèves en violon : Henri Paradis et Eugène Riopel. Il chargera pour ces cours $ 1.00 par mois alors qu'il en paye $ 5.00 pour les siens et qu'Antonio Beaudoin (1926) demande $ 3.00 à ses élèves en piano... Cette même année Monsieur Brunelle dit à Émile Prévost directeur de l'Union musicale; "Rolland a composé une Marche souvenir pour le Festival des fanfares... Si vous voulez l'essayer". Or la Marche fut jouée au parc Lajoie quelque temps après par l'ensemble musical de la ville. Quand Rolland devint rhétoricien un groupe de Troubadours se forma au Séminaire (à l'instar des Troubadours de l'Industrie dont Lomer Brunelle faisait partie avec René Martin, Paul Courteau et Raoul Charette). Excellente occasion pour Rolland d'y tenir la partie de basse et surtout de faire des arrangements à trois voix égales de chants québécois. Le groupe eut un succès incontestable et fut à l'origine de différentes formations qui dans la suite tentèrent l'expérience avec moins de ressources... Les membres de ce premier groupe apportaient en effet une richesse d'ensemble dont le modèle n'aura guère d'équivalent. Ce sont Émile Jetté et Robert Naud ténors, René et Euclide Beauséjour barytons, Paul Clermont et Rolland Brunelle basses. Au piano le plus souvent Julien Beausoleil. Enfin quand les philosophes Juniors de 1931-32 eurent décidé de jouer un essai d'opérette La Molécule crée par Paul Villeneuve, c'est évidemment à l'autre camarade Rolland que revint le soin d'en écrire la partition musicale. De là à composer une Marche militaire pour ses confrères P.LS.J. (Philosophie Juniors du Séminaire de Joliette), il n'y avait qu'un pas... vite franchi. Des générations de fanfaristes en ont perpétué le souvenir. On ne sait pas encore très bien par quels pieux stratagèmes l'étudiant en théologie des années 1934-39 réussit à donner libre cours à toutes ses possibilités de formation et d'expression musicale dans une Maison religieuse reconnue pour son austérité et le contingentement de ses loisirs culturels... Rien pourtant ne semble faire obstacle aux projets de notre jeune lévite. Il obtient de pratiquer le violon 1/2 heure par jour. Il enseigne, bien sûr, le chant grégorien -et alors ce dût être là-bas l'âge d'or de la liturgie chantée- mais encore le violon à deux confrères. Il y dirige un orchestre de chambre (Gustave Lamarche y fait un excellent pianiste accompagnateur) et groupe des confrères dans une joyeuse Harmonie. Implication plus étonnante : il se joint en 1935 avec ses confrères violonistes à l'orchestre de la célèbre pièce "Jonathas" jouée à la salle académique en mai 1935. Le groupe des "scolastiques" donnera aussi à l'occasion des concerts au Séminaire. Rolland Brunelle reçoit pendant un an des leçons de violon d'Eugène Chartier qui vient une fois la semaine pour le préparer aux diplômes de l'Académie de musique de Québec section Montréal. Il recueille les diplômes supérieurs 1 et 2 et le lauréat préparatoire au prix d'Europe. Il se classe premier à ce lauréat qu'il obtient au printemps de 1938. Finissant au Scolasticat il prépare le Brevet d'enseignement et reçoit son diplôme académique au printemps de 1939. Devenu le Père Brunelle depuis juin 1938, il doit joindre à cette préparation celle du Bacc en théologie. On comprendra qu'il n'ait pas voulu anticiper ni infléchir les décisions qui se prenaient à son sujet. En ne se présentant pas au prix d'Europe se réservait-il la possibilité d'aller parfaire ses études là-bas quand l'occasion paraîtrait convenable à ses supérieurs et à lui-même... Son choix semblait d'ailleurs déjà arrête quand il écrivit, pour le Recueil de Québec, qu'on devrait moins insister sur les concerts et figurations" que sur la formation musicale à donner au plus grand nombre. Or les Supérieurs le désignent à l'automne 1939 comme responsable, et le seul, de la musique au Séminaire. A divers points de vue il sera comblé... ! Une lourde besogne l'attendait. Lui seul pouvait l'assumer avec allégresse. Il sera responsable des salles de musique, donnera le solfège à toutes les classes jusqu'à celles de Belles-Lettres, les leçons d'instrument de fanfare et d'orchestre, aura la direction de ces deux corps de musique, de la scolastique grégorienne, d'un chœur à 4 voix mixtes et du chœur des 400 élèves... La plupart des formations avaient été trop bien lancées par l'abbé Fafard et le P. Bellemare pour supporter maintenant un laisser-aller... En avant, marchons ! Les Anciens connaissent cet air martial qui résonnait dans la chapelle au premier soir de la rentrée avec la mise en valeur des grands jeux de l'orgue. Cette fois-ci le P. Brunelle, en dirigeant ce chant avec le dynamisme entraînant qu'on lui connaîtra toujours, a sûrement pris pour lui ce mot d'ordre dont l'usage était conçu pour relancer l'ardeur des anciens et étonner puissamment les nouveaux. En confiant le solo à l'élève Yoland Guérard (Versif.), le professeur était à bonne adresse. Dans la suite le Père suivra avec attention ce jeune baryton, lui donnant des leçons particulières de solfège, de théorie et dictées musicales. Il l'amènera même assister à des cours au Conservatoire. On a lu précédemment au chapitre de l'opéra comment Y. Guérard est devenu un ambassadeur de la musique à Paris. Non content des études acquises et nonobstant la charge de son horaire, le P. Brunelle demandera en effet l'autorisation de suivre différents cours au Conservatoire. À raison d'un soir par semaine (le vendredi), il se rendra à Montréal étudier l'harmonie avec Geo.-Em. Tanguay (3 ans), la direction et composition avec Claude Champagne et le chant avec Albert Cornellier (un an), le violon avec Maurice Onderet (2 ans). "J'ai été choyé, gâté" dira-t-il 50 ans après, quand viendra le jour des hommages et trophées. On est tenté de dire : "Ubi amatur non laboratur" (Faut-il traduire... ? Tant pis. "Le travail est si doux quand il y a l'amour du métier") Le quotidien du responsable de la musique pendant plus de 40 ans, on le connaît déjà par les allusions fréquentes répandues dans les chapitres de notre ouvrage. Récitals, palmarès, répétitions, intermèdes musicaux au milieu des pièces de théâtre, concerts de la Sainte-Cécile et combien d'autres tiennent lieu de journal musical du P. Brunelle... On y lit encore que le nombre de ses élèves en violon ne fit qu'augmenter avec les années et que sa connaissance générale des instruments lui permettait de guider les débutants de tous ordres. Ses études toujours poussées en violon lui ont permis, on le mentionne ailleurs, de jouer à trois reprises des concertos pour violon de Mozart, de Beethoven, de Mendelssohn quand le P. L. Bellemare eut repris la direction de l'orchestre du Séminaire. C'est l'époque où "l'orchestre Brunelle" pouvait soutenir toute comparaison: Rolland violon, Gérald clarinette, Maurice hautbois, Jean-Paul flûte traversière, Gaston piano et trombone, Lomer violoncelle... aidés de cousins tels Viateur clarinette, Paul-Émile baryton. Son talent pour la composition et les arrangements orchestraux fut d'un grand secours dans la préparation des fêtes du Centenaire de 1947. Il obtient en 1950 de participer à un Congrès de chant sacré à Rome et de profiter de ce séjour exceptionnel (un an) en Europe pour étudier le chant sacré à l'Institut catholique de Paris avec M. Leguennant et Bian, le contrepoint et l'orchestration à l'école César Franck avec M. Alix, un peu de grégorien à Solesmes avec Dom Gajard, enfin deux mois intensifs de violon (moyennant 8 heures de travail par jour) avec M. Rasquin du Conservatoire Royal de Bruxelles (ce dernier eut pour le Père un mot flatteur : "Si vous étiez venu nous voir plus tôt vous auriez pu devenir un de nos grands violonistes"... ). On connaît le tournant décisif que prirent les institutions scolaires durant la décennie 1960-70. Dans la tourmente la musique risquait bien d'être laissée pour compte. Il fallut des observateurs attentifs à cette évolution rapide pour intervenir à temps, promouvoir la condition de cette "matière" qui ne pouvait plus aussi bien jouer son rôle d'accompagnatrice, lui donner une vraie place au même titre que les autres disciplines de l'école... Alors on voit naître les fanfares scolaires dont Rolland Brunelle est élu (1967) représentant auprès de l'Association canadienne des chefs de musique. Depuis 1963 le Père voyait diminuer le nombre des musiciens surtout à cause du transport en commun. Il organise des cours de musique de fanfare dans les écoles de la ville. Avec l'Harmonie du Séminaire il y donne des concerts, y fait des pratiques pour éveiller chez les jeunes écoliers le goût de la musique et des instruments. Une démarche particulière illustre bien ici le sens pratique du P. Brunelle : Il tâchait de disposer dans divers points de la salle de récréation les divers instruments par familles permettant ainsi au jeune auditoire d'établir les différences de son... Ce que des années d'études pédagogiques n'ont pas toujours permis à d'autres de découvrir, l'intuition exceptionnelle, le sens inné de la communication et de la démarche efficace l'ont ici obtenu d'emblée. Donc une action du P. Brunelle à la base, action constante, incitative tout au long de cette métamorphose. Quand la suite des ans inclina à donner plus d'importance aux cordes qu'aux cuivres de la fanfare... le Père trouve chez des éditeurs américains des recueils de musique classique pour orchestre de Jeunes. Et ce sera la fondation de l'OSJJ, dont il a été question. Tous les dimanches avant-midi d'inlassables répétitions d'ensemble préparent des concerts ponctuels dont certains commencent à faire la manchette des journaux. Puis le Centre culturel, l'École de Musique avec ses nombreux professeurs, la vogue des Petits-violons un peu partout favorisent l'éclosion de deux orchestres et bientôt (1974) d'un orchestre de Relève... On n'oubliera pas non plus une implication du P. Brunelle dans les diverses manifestations de l'Union Musicale dont il sera même directeur (1964-1967). Il ne s'était d'ailleurs jamais complètement départi de ce corps musical y jouant durant les vacances trombone, tuba, baryton, comme on voudra. Dès lors la population commence à réaliser l'impact auprès des jeunes de l'action tenace de ce directeur musical magnifique. Rolland Brunelle sera ici personnalité du mois, là le bénévole de l'année ou la personne ressource par excellence... Plus officiellement en 1980, une démonstration honorifique du Mouvement Vivaldi se tient au Centre culturel du Mont Orford. Le mouvement fondé 15 ans plus tôt au Québec a voulu, lors d'un déjeuner présidé par Yves Martin recteur de l'Université de Sherbrooke, rendre hommage à Rolland Brunelle pour "le caractère exemplaire de sa contribution aux idéaux qui animent les membres du mouvement Vivaldi". On lui remet un plaque avec l'inscription suivante : "Hommage au Père R. Brunelle pour sa contribution à l'éducation musicale des jeunes. Mouvement Vivaldi octobre 1980". De son côté le ministre des Affaires Gouvernementales lui fait parvenir un message de félicitations où il mentionne judicieusement "les conditions parfois difficiles dans lesquels vous êtes devenu un pionnier de notre culture musicale". Ce qui le touchera de plus près c'est l'occasion de la remise de la Médaille du Conseil canadien de la musique et du Conseil des Arts du Canada en juin 1983. Il y avait de quoi ! Le directeur général du Cégep de Joliette pour sa part lui octroie rien de moins qu'un pied-à-terre permanent à la salle de musique... Nul autre, dans les circonstances de réaménagement graduel de la bâtisse du Cégep, n'aurait pu obtenir une telle faveur. Le P. Brunelle pourra donc occuper les deux studios de la salle de musique, ceux-là même dans lesquels il travaille depuis près de 50 ans... ! Enfin le même soir on décide de baptiser l'amphithéâtre du collège ou l'antique salle académique "Salle Rolland-Brunelle". Deux ans après (1985) il recevait le prix Maximilien Boucher destiné à un artiste qui a contribué d'une façon remarquable à la promotion de l'art dans la région de Lanaudière. On se devait pourtant de souligner de façon spectaculaire les 50 ans années d'enseignement musical du directeur. Député, maire, échevins de la ville étaient au rendez-vous à la salle Rolland Brunelle en mai 1989 alors qu'on fit lecture de télégrammes émis du bureau de Robert Bourrassa, de Brian Mulroney et que le lieutenant-gouv. Gilles Lamontagne remerciait le jubilaire pour ses années de travail "dont les répercussions chez nos jeunes sont incalculables". Ajoutons, au risque d'anticiper, qu'en janvier 1992, Rolland Brunelle sera fait chevalier de l'Ordre du Québec. Quand son orchestre des Jeunes se rendit en France en août 1989 pour participer aux Orchestrades de Brives qui rassemblaient plus de 800 jeunes membres d'orchestre, ce qui attira l'attention ce ne sont pas les honneurs passés, mais le dynamisme concret déployé sur place par le directeur du groupe québécois. Au concert inaugural qui se tenait dans la Collégiale Saint-Martin "un jeune orchestre québécois particulièrement attachant ouvrait en beauté ces Orchestrades" lisait-on dans l'Info-Contact de Brives au lendemain du concert conjoint. "Avec sa jeune musique aux couleurs de l'Europe... c'est merveilleux de voir le chef, malicieux et enthousiaste guider son groupe des 60 avec une fougueuse et sûre adresse. Et ils aiment jouer ensemble cela se sent... Comme s'ils étaient un même corps. Un programme coloré prévu pour faire plaisir et qui permet de goûter la sûreté, la maîtrise et la maturité de ce jeune orchestre"... Incident des plus charmants survenu au cours de ce rassemblement : Parmi les centaines de ballons de couleur lâchés auparavant dans le ciel "l'un d'eux s'était calé sous les voûtes de la nef comme pour se délecter en privilégié du talent des musiciens québécois... C'était le clin d'œil de l'Europe à nos cousins... Un premier bis avec la Marche française de S.Saens pour saluer la France, un second avec une musique typiquement québécoise qui s'achève sur un air de danse populaire superbement enlevée... Sur ce grand souffle de joie qui comble l'assemblée on voudrait bondir... Merveilleux guide que l'abbé Brunelle". Il est plaisant de lire de telles réflexions, qui rejoignent celles par lesquelles nous nous proposions de terminer ce chapitre. On a déjà écrit à propos du concert donné lors du 15ème anniversaire de l'OSJJ (1985) que le P. Brunelle, de son pupitre de chef, est "attentif à ce qui se passe autant qu'à la partition orchestrale, qu'il a développé un admirable sens de l'opportunisme... Parfois de brèves indications, laissant ailleurs aller l'orchestre pour mieux préparer l'intervention majeure qui va suivre. Il ne craint pas au besoin de détailler, de monnayer le contenu d'une directive par des gestes additionnels à la portée de ses exécutants. À leur portée, c'est là le secret de sa réussite. Une économie de gestes adaptés à son groupe. Il délaisse les mouvements amples d'une direction savante pour aller chercher son monde à des moments particulièrement critiques". Il avoue lui-même que diriger est pour lui un sport, une détente, une évasion de la routine de ses 40 leçons privées. Lors d'exercices au Cégep il fait parfois jouer ses musiciens sans répit et tous doivent être attentifs, comme s'il y avait urgence... mais toujours avec bonne humeur. "Ils viennent pour cela" se défend-il. Donnant suite à une entrevue avec le P. Brunelle, Bruno Hébert en tire une étude qu'il titre "Les ressources du modèle musical en éducation". Il voit dans cet éducateur un praticien plutôt qu'un maître en pédagogie, le Père fait partie des "éducateurs-nés peu portés à théoriser quand le flair fournit déjà abondamment dans le vécu". Il y a des "naturels" en éducation, des éducateurs charismatiques... Ici "l'initiative passe du maître qui doit s'effacer au disciple qui doit se commettre". La tournure colorée de son enseignement "lui donne un visage crédible aux enfants... Chez lui une dynamique magnifiquement artisanale, fournissant une sorte de modèle du rôle des instances pédagogiques et institutionnelles en ce qui regarde leur fonction d'appui à ce qui va naître". Le moment venu, Rolland Brunelle s'est mis à l'écoute des nouveaux modèles de formation musicale des jeunes. Le mouvement Vivaldi de Claude Létourneau de Québec et de Jean Cousineau qui enseignent la méthode Suzuki l'a conquis d'emblée. "J'ai intégré, dit-il, cette méthode à ma méthode personnelle. De plus l'avalanche des inscriptions à l'École de musique m'obligea à engager des professeurs de Montréal. Je leur laissai les plus avancés pour m'occuper des débutants". Ce mouvement incitait en effet les parents à faire apprendre le violon à de très jeunes enfants. Il utilise des enregistrements sur cassettes pour des exercices de dictée musicale, d'intonation, de théorie, un arsenal de dessins, d'exercices de gymnastique, d'improvisations... "Avec tous ces tours je recrée en moi le climat mental de mon jeune âge, mimant avec eux les joueries de l'enfance. Je m'émerveille moi-même devant les petits... La théorie est à adapter au développement intellectuel, mais d'abord il faut un développement physique, il faut acquérir une habileté, de la technique, de la dextérité. Pour le groupe on doit souvent choisir des pièces plus faciles pour qu'il ait la satisfaction de mieux les rendre. Quand on essaie un nouveau morceau j'étudie les réactions des jeunes... Il faut que les jeunes aiment ce qu'ils jouent. Il paraît que j'ai la réputation de faire aimer la musique..." La somme de travail matériel qu'il a mené est gigantesque. On pourrait relever des centaines de pièces dont l'arrangement, la transposition, l'orchestration adaptée ou la transcription est de lui, un nombre incroyable de manuscrits qu'il a dû rédiger à la hâte, quand il n'y avait pas encore les merveilleux procédés duplicateurs. Fallait-il encore préparer la feuille musicale des membres en indiquant le détail des "doigtés" à observer à la lecture, mettre en place les copies dans des cartables individuels. Celui qui de la coulisse a pu assister à la préparation et davantage aux lendemains de concerts ou de répétitions peut seul dénombrer les activités manuelles de tous ordres qui s'imposent, comme remettre en ordre les instruments et replacer patiemment tout le mobilier de la répétition, tandis que les jeunes se livrent plutôt aux jubilations du succès remporté... Aux jours d'hommage au directeur musical on a assez peu parlé de son obscur labeur, de sa patience de termite, de l'homme effacé, besogneux, de l'humble officiant des tâches nécessaires et fastidieuses... Le public a bien fait d'insister pourtant sur l'impact de l'apprentissage musical chez les jeunes. Le Père a su donner à chacun ce qui lui convenait. Il fut le pédagogue responsable qui sait confier à d'autres mains les élèves exceptionnels à qui il n'a plus rien à apprendre. La formation orchestrale que des milliers de jeunes ont acquise par le biais des répétitions et concerts ne se laisse pas enfermer dans un relevé statistique. Travailleur opiniâtre le Père a mobilisé une pléiade de futurs artistes et soulevé l'enthousiasme de familles entières pour l'étude de la musique classique. En mai 1984 c'est avec fierté qu'il écrit dans le Journal local que par exemple, "Élaine Marcil a obtenu le 1er prix au Conservatoire en 1981 et se présente maintenant au prix d'Europe, Chantal Marcil vient de mériter la bourse de $ 1,000 au Festival-concours, autre triomphe pour un membre de lOSJJ... Au récent Festival de musique du Québec le trio Giguère a été proclamé gagnant et obtient une bourse de $ 1,000.. À l'école Vincent D'Indy Julie Coutu reçoit le 1er prix de sa classe en violon"... On ne compte plus les élèves qui doivent leur première formation au P. Brunelle, et nombreux encore sont ceux qui dans la suite ont poussé leurs études assez loin pour être connus hors du Québec (on l'a constaté précédemment), comme les violonistes Raymond et François Thibodeau, Élaine Marcil, Benoît Lajeunesse, Anne-Marie Hivon, la violoncelliste Chantal Marcil, le corniste J.-Jules Poirier, l'hautboiste Luc Chaput, le trio Giguère, le trio Harvey, la violoncelliste Carole Sirois, plus particulièrement nos artistes d'envergure internationale, telles France Beaudry contrebasse, M.-Andrée Benny flûte traversière et... Angèle Dubeau violon. Un secret à ne pas divulguer : le Père reçut avec émotion copie de son premier disque autographié "Reconnaissante Angèle"... Comment ne pas reconnaître unanimement ce que Rolland Brunelle a été : le joliettain qui s'est identifié à son milieu de travail, le promoteur et réalisateur de projets toujours nouveaux, l'éducateur conscient d'une mission à laquelle il ne pouvait se soustraire. S'il a pu écrire les pages les plus colorées du journal du Séminaire, son nom est maintenant inscrit dans l'histoire même de la ville de Joliette qu'il continue de servir avec autant de compétence que de gratuité. |
Fernand
Lindsay
Un numéro du Nouvelliste de Trois-Rivières des années 1945 fait état d'un concert donné en l'église Saint-Pierre de Sawinigan par le jeune organiste Fernand Lindsay du Séminaire de Joliette, dans le cadre de soirées Pro Arte de l'Association des étudiants. On y lit à propos de l'artiste : "magnifique doué, virtuosité, triomphe des difficultés, jeu sensible, intelligent, nuancé et sûr déjà". Des oeuvres capitales de Bach sont au programme dont la Fantaisie et Fugue en La mineur et Choral et Fantaisie en Sol majeur. Il inclut aussi Pastorale de C. Frank, Toccate en Ré majeur de Zoller, une Sonate de Guilmant et la magistrale Toccate en Sol de Th. Dubois. La destinée de Fernand ne devait pourtant pas être celle d'un concertiste. "J'ai cessé de jouer du piano pour moi-même à 25 ans" dira-t-il simplement lors d'une entrevue. Il ne va pas autant quitter l'accompagnement... Tant s'en faut ! Quand on l'inonde de félicitations pour ses initiatives, il se défend bien. "Avant même mon arrivée comme élève à Joliette existait toute une tradition musicale" faut-il en citant comme exemple le Père Rolland Brunelle "qui à 76 ans...dirige encore ses orchestres" (1987) Né à Trois-Pistoles, Fernand Lindsay commence l'étude du piano à 5 ans. À 15 ans il quitte le collège de Rimouski pour celui de Joliette. Son oncle Georges Lindsay (qui sera 25 ans organiste à la cathédrale de Montréal) commençait d'enseigner le piano au Séminaire. C'est Père Rolland Brunelle qui fit signe à ce jeune "prix d'Europe" 1935...Or Georges invite un jour ses neveux Jean-Marc et Fernand à choisir le Séminaire..."Vous devriez venir à Joliette, il y a un orchestre, une fanfare, des chorales". Quoi de plus séduisant pour Fernand, qui ne tarde pas à convaincre son frère de la suivre dans cette nouvelle aventure. Ce sera pour tous deux période exaltante, riche d'expériences diverses, tout autant dans le domaine musical ou simplement artistique que dans le domaine sportif. Ils furent en effet très remarqués sous ce dernier aspect peu connu aujourd'hui. "Chez nous J.-Marc et moi nous nous occupions du travail d'entretien du tennis de la place, et nous avons appris"...Si bien qu'ils furent de taille à affronter le champion Henri Rochon lors de son passage au Séminaire de Joliette...! Le goût de Fernand pour la musique allait largement dominer sa vie. "J'aimais tout aussi passionnément" dit-il cependant : littérature, tennis, hockey, musique...Son confrère dira de lui qu'il présidait l'académie littérature, faisait office de musicien de la maison, dirigeait du chant grégorien, jouait piano, orgue, violon, basson, clarinette pendant que J.-Marc jouait la contrebasse. Son enfance même l'avait inspiré. "J'avais à quelques reprises séjourné à l'Île Verte chez mon oncle gardien d'un phare...On n'avait pas d'électricité, mais de la musique et...la mer". Cette mer aux horizons infinis, comment ne pouvait-elle pas susciter des rêves innombrables...? Sa participation comme élève aux activités musicales du Séminaire mériterait une page supplémentaire. Disons que Fernand (Philo Jr) a été notamment l'élève le plus proche des préoccupations du fameux Pageant (1947) préparé pour célébrer le Centenaire de l'arrivée des C.S.V. à Joliette. En 1954 Fernand, devenu le Père Lindsay, complète des études de Philo à l'institut d'Études médiévales de l'Université de Montréal. Ses qualités d'enseignant seront vite appréciées. Un de ses élèves les rappelle avec émotion..."J'ai adoré faire Virgile avec lui, il nous a convaincus de mémoriser des centaines de vers en quelques mois...Il a mis sur pied le Cercle Bartok qui nous introduisait dans les divers genres de musique...Il nous faisait écouter des poèmes de Baudelaire dits par Souzay, ou encore amenait quelques élèves à Montréal voir Molière ou entendre la Passion selon S. Matthieu de J.-S. Bach qui se donnait dans une église : un soir le Père, exténué, s'endort assis sur un banc, corrigeant des copies d'élèves..." Le Père Lindsay vouera sa vie au culte de la Beauté et s'en fera le diffuseur inlassable. Sa condition d'ecclésiastique l'encourage dans cette option. "Un prêtre dans l'enseignement c'est la transmission d'une partie de la beauté des choses...Essayer de transmettre une partie de cette beauté des choses c'est se rapprocher de Dieu; plus on se rapproche du Beau plus on se rapproche de Dieu. J'ai voulu amener les jeunes à découvrir la musique dans le ravissement". Ses maîtres à penser sont des philosophes en qui il voit par surcroît des poètes : Socrate, Platon...Lindsay associe l'art à la Beauté en soi "qui rejoint l'essentiel , pour moi l'Être suprême". Il persiste à dire que la musique est "la voie de la beauté". C'est quand Fernand Lindsay ira perfectionner ses connaissances philosophiques à la Sorbonne et à l'institut Catholique de Paris (1963-64) que ses vieux rêves deviendront de possibles réalités...Il profite en effet des mois d'été pour se rendre aux Festivals de France, d'Allemagne, d'Autriche. Or c'est à son retour qu'il crée le Camp musical Lanaudière, qui, 20 ans après, va recevoir des groupes totalisant 400 jeunes et 35 professeurs... Il n'en était pas à ses premières armes. Dès que les Jeunesses musicales du Canada avaient commencé à fonder des filiales un peu partout, il s'était intéressé (1951) à cet organisme de diffusion de la grande musique et n'a cessé de s'en faire le prometteur enthousiaste. Parler de Fernand Lindsay c'est écrire l'histoire de tous les organismes créés dans Joliette depuis près de quarante ans pour promouvoir la cause musicale. On pourrait évidemment parler de cours d'initiation musicale et de littérature musicale qu'il continuera de donner au Cégep, ainsi il étudiera avec son auditoire les formes musicales "de la symphonie à la musique moderne" pour un public rendu plus apte à accueillir par exemple l'OSM...Personnellement il sera un abonné assidu à l'OSM, feuillettera les grandes revues spécialisées en musique : "J'épluche la critique et j'écoute les disques des artistes"... Au compte du Père Lindsay mentionnes des réalisations d'importance comme la fondation du Festival-concours (1962), du Camp musical (1966), celle de l'École de musique (1976), celle du Centre culturel (1976) pour la variété des arts : danse, théâtre, cinéma, musique, d'une Concentration musique (1979) au Cégep avec l'aide de la pianiste Anne Marchand, enfin la direction musicale depuis 1963 du Choeur des Chanteurs de la Place Bourget. Il ne manquera pas de souligner l'intéressante collaboration des gens de la place. Jacques Dufresne (dans le Devoir) suite à une entrevue avec Lindsay : "Quand l'orchestre des Jeunes va jouer à Montréal ou à Québec, ce sont les parents qui font office de chauffeurs. Ils viennent de Joliette ou des villages environnants : ils sont cultivateurs, commerçants, ouvriers, professionnels". Tandis que les jeunes s'inscrivent à l'OSJJ, leurs parents rejoignent les Chanteurs de la Place Bourget et "donc la musique fait partie intégrante de la vie familiale" dira Lindsay. Plus encore "La région de Lanaudière est peut-être la plus grande productrice de musiciens au Canada". En juin 1969, Lindsay sera élu président de la Fédération des Centres culturels du Québec. Choisi (1972) parmi les directeurs du Conseil national des JMC, il sera dans la suite vice-président puis président des J.M. du Canada. Il recevra l'Ordre du Canada, sera médaillé des Jeunesses Musicales, membre du conseil d'administration de l'Orchestre Symphonique des Jeunes du Québec, du Comité d'étude de la salle des concert de Montréal et du Musée d'art contemporain...Couronnant en quelque sorte une série de réalisation impressionnantes, Fernand Lindsay crée en 1978 le Festival d'été de Lanaudière. Toutes ces réalisations ont chacune leur chapitre particulier dans cet ouvrage. L'envergure que prix avec les années le Festival d'été de Lanaudière a entraîné Fernand Lindsay dans les réseaux de la publicité, l'a fait connaître à un public de plus en plus large et a permis de lever le voile sur son passé musical, sa personnalité, ses grandes ambitions. Une entrevue réalisée par Simone Piuze est révélatrice de l'homme et de l'artiste que l'on trouve en Fernand Lindsay. Elle titre un article subséquent à une rencontre (1987) : "Le Père Fernand Lindsay une vie au service de la beauté". Elle écrit à son sujet : "En 10 ans le Père Lindsay a mis le Festival de Lanaudière sur la carte de la musique internationale". La directrice décrit non sans une pointe d'humour ce qu'elle a pu observer comme décor dans l'appartement sans façon du directeur musical. "C'est un joyeux désordre, pas de meubles, mais des disques, des livres...Ici "L'approche contemporaine d'une affirmation de Dieu", plus lin "La consolation de la philosophie, le Bouddhisme, le Bottin gourmand, Choeur d'opéras célèbres, le guide Michelin des châteaux de la Loire". Comme par hasard se trouvent des cartons d'allumettes de restaurants parisiens, une bouteille de vin enrubannée, la revue Time ouverte sur un article traitant de fécondation in vitro, une lettre adressée au Ministère des Affaires culturelles. Sur une étagère une sculpture représentant Orphée, lire à la main"... De son entretien avec lui elle dégage les points forts de sa personnalité. Des proches parlent de Lindsay comme d'un monument...un génie passionné aussi. Une force calme, tranquille, rassurante. Tout chez lui est mesuré, empreint d'une certaine lenteur. Un corps massif mais une démarche légère, rythmée, le regard incisif...Il est intuitif, généreux, plein d'humour... et un pédagogue extraordinaire. Le Père commences les choses tout seul, puis progressivement, s'entoure de gens compétents... Il va parler non de lui mais de ce que son entourage immédiat a pu réaliser, comme la Direction qui est allée chercher des commanditaires aussi remarquables que Petro Canada, La presse, O'Keefe, du Maurier, Téléglobe... qui a pu obtenir aussi les subventions gouvernementales nécessaires. Quant à lui "J'ai l'impression, dit-il, qu'on monte en épingle des choses qui vont de soi... Au je m'amuse un peu avec mon travail". Il s'en remet d'ailleurs avec confiance à de bons administrateurs, un peu dans le même esprit que le fondateur des J.M. du Canada qui disait "Quand je rêve je ne commence jamais par l'argent"... À tour de rôle les journaux font état du rayonnement phénoménal du Festival : La Presse, le Devoir, Le Journal de Montréal, ainsi que Radio-Canada, Radio-Québec... Claude Lamarche le mentionne à l'occasion d'une entrevue réalisée cette fois au Camp musical de Lanaudière. Le chalet du Père Lindsay sur le campus musical : une roulotte toute simple. "Une guimbarde", dira quelqu'un, "qui lui sert de refuge et de bureau, avec autour ces vignes, ces climatites"... Seule compte l'ambiance unique de ce lieu de verdeur estivale. La conversation s'arrête momentanément pour écouter le son des violons, des flûtes, des pianos qui se mêlent aux chants des cigales... Le Père est là, affable, chaleureux, bonne oreille, intéressé à chacun... Un moment avec le gérant chargé des réparations, voici le violoncelliste du quatuor Wilanow qui vient saluer le Père avant de partir, le chef Vekshtein qui paraît s'inquiéter pour son orchestre de ce soir..., l'animateur de Radio-Canada qui veut faire une mise au point... "J'ai toujours eu la tête en tiroirs, avoue le Père Lindsay, j'ouvre et je ferme continuellement, j'en laisse parfois deux ou trois ouverts à la fois... Je suis distrait voilà ! Je m'y habitue et mon entourage aussi..." Quand on lui parle de l'envergure du Festival. "Ce n'est pas moi la vedette, ce sont les artistes, les organisateurs qui le font fonctionner. Je ne suis qu'un des promoteurs". À l'écouter ce sont ceux qui l'entourent qui sont débrouillards, imaginatifs. Il dira en 1991 "Dupont-Hébert a fait des prodiges et Mme Louise Forand a mis sur pied le club musical de Québec". Un ami de vieille date, Marcel Masse, confiera de son côté : "On a voulu tous deux élargir la clientèle, aller chercher les élèves des écoles publiques, briser le ghetto de l'élite. On rêvait même de présenter des concerts pour les ouvriers dans les usines à l'heure du lunch...". Ce serait vraiment le mariage de l'élitisme et de la démocratie Sa prédilection pour les choeurs est manifeste. Il parle avec flamme de ce qu'il a vu lors de ses voyages. "En Bavière la Passion est jouée tous les 10 ans par la ville d'Oberammergau, c'est une longue tradition qui fait merveille...Ici on a eu des choeur une 1ère fois avec Faust et la Diva... Dès les commencements j'ai envoyé les rapports annuels à toutes les ambassades à travers le monde alors qu'un grand nombre de Québécois n'avaient pas encore entendu parler du Festival...Le seul hic (on est en 1987) : la petitesse de la cathédrale, non climatisée, de l'Auditorium (salle Rolland-Brunelle) climatisée en 1975 : il n'a pas le volume qu'on imagine pour une grande manifestation musicale, "c'est une salle de Cégep ou mieux un petit théâtre à l'image des collèges classiques" remarque Micheline Lesage. J'ai eu, continue Lindsay, l'inscription d'un amphithéâtre local à Tanglewood Mass. Où se trouve la résidence d'été de l'Orchestre Symphonique de Boston. Une assistance de 12,000 personnes qui se préparent à écouter le Concerto de Grieg et la 2ème Symphonie de Brahms en buvant de champagne, éclairés par des candélabres, pique-niquant quelques heures avant la représentation près d'une forêt aux arbres centenaires. C'est quelque chose... Des témoignages divers nous laissent entrevoir les grands talents du Père. Une des membres du Choeur de la Place Bourget parlera de son pouvoir de séduction : "On ne peut résister à la chaleur du Père Lindsay" qui dira lui-même : "Je suis tellement convaincu quand je dis que c'est beau et que le produit est bon que ça va marcher". C'est connu qu'il préfère de beaucoup encourager et acquiescer plutôt que d'utiliser les mises au point et de faire exécuter des ordres. L'un de ses collaborateurs immédiats parle de lui comme d'un grand visionnaire, et irrésistible. "Il possède le don de vous ambassadeur pour Joliette". Il aura sûrement été plus que tout autre avant lui l'homme des relations publiques. Un autre de ses rêves a pu se réaliser : celui de bâtir un orchestre en résidence avec musiciens professionnels originaires de la région de Lanaudière. Pour lui la musique devait être connue, entendue dans le plus beau lieu de diffusion en Amérique du Nord. Précisément c'est dans le cadre du Festival d'été que ce grand projet intérieur deviendra réalité. |