Chapitre III

LES FÊTES AU COLLÈGE

Le premier écho un peu sonore de ces fêtes de familles remonte au 18 mars 1866. "À l'occasion de la fête de leur bon directeur Messire Beaudry, écrit la Gazette du 20 avril, on eut une charmante soirée avec musique, chant, littérature, drame. Nous avons reconnu l'habile direction et les talents de M. Vadeboncoeur. Ce fut gracieux, imposant, bien senti et goûté. Placide Renaud de Rhétorique (qui deviendra professeur de musique à Syracuse, comme il est dit ailleurs) au piano et M. Georges Paul novice de Saint-Viateur au violon exécutaient à merveille". Ce soir là on y joua le drame Le départ pour la Californie.

Le 23 octobre 1877, c'était les noces d'argent du Père Lajoie, curé de Joliette. On célébra dans toutes les institutions de la ville. On verra le nombre record de 200 Anciens arriver de partout, surtout par le train de 7 h 30... La Gazette annonce qu'il a toujours "M. P. Chevalier propriétaire de l'hôtel Joliette qui est pourvu d'un omnibus de première classe qui sera à l'arrivée de chaque convoi de chemin de fer". Qu'on se figure la salle de récréation décorée à profusion de guirlandes et de feuillages, avec une estrade où le fauteuil du vénéré supérieur est surmonté d'une voûte de soie et de pourpre. La vaste salle était comble quand apparut le Père accueilli par les brillants accords de la fanfare. Ce soir-là tout fut extraordinaire, la musique vocale et instrumentale, la bande du collège. Le Chœur de la charité de Rossini et la Cantate de circonstance surtout ont eu un effet magistral. On y joua Une page des siècles de foi... La présence d'une centaine d'élèves d'autres collèges des Clercs Saint-Viateur donnait une signification spéciale à la fête. Le lendemain, 24 octobre, on chanta la messe des grandes circonstances, celle du Second ton harmonisée. Au cours du banquet, qui réunit plus de 150 convives au couvent des Sœurs de la Providence, le corps de musique du collège jouait par intervalles dans un appartement voisin...

C'est cette affluence d'anciens lors de cette fête qui fit d'ailleurs surgir l'idée d'une première assemblée officielle des anciens élèves au printemps de 1878, elle est décrite au chapitre des soirées dramatiques et musicales.

Le17 janvier 1883, c'étaient les noces d'argent du Père Beaudry, supérieur du collège. Au fond de la salle de récréation se dressent des estrades pour les musiciens de la fanfare et les chœurs. Et devant cette estrade, au milieu de l'espace laissé libre entre les fauteuils des invités, on avait installé une tribune pour les orateurs. Les Supérieurs des collèges environnants étaient présents... Comme le train des chars qui amenait les anciens était trop en retard, on remit la lecture de l'adresse au lendemain. La fanfare joua ce soir-là deux marches de Tilliard (très populaire à l'époque) : Francoeur et Marceau. Sous la direction d'Anthyme Lavigne, le chœur exécuta une Cantate de circonstance Gloire immortelle à notre Père... sur un motif de Guillaume Tell de Rossini avec le soliste Arthur Lesieur. Dans la soirée Oscar Lavallée prononce un discours sur l'Association catholique de France. Chrysologue Lacasse de Rhétorique récite un long poème de la plume du Père Peemans et qui est un hommage au missionnaire que fut jadis le Père Beaudry (en 1857-1860). Le lendemain un chœur de 175 voix chanta la messe du Second ton. Au moment de l'Offertoire le célèbre Justus de Lambillotte fut chanté par le curé Derome de Lachute et le Dr Côté de Joliette. Le choix même de l'orateur sacré en cette circonstance n'est pas à l'avenant : ce sera Régis Bonin...

Quatre mois plus tard, le 14 mai 1883, le Père Étienne Gonnet, supérieur général des Clercs Saint-Viateur, vient visiter les siens. Grand rassemblement et cortège depuis la station du chemin de fer jusqu'au noviciat. Le lendemain, on accompagne cette fois le Père du noviciat au collège où se tient une séance littéraire et musicale de l'Académie Saint-Étienne. La foule est compacte. La fanfare jouera deux marches de Tilliard. Fortunat Laurendeau de Philosophie lira une adresse. La Cantate de janvier est remise au programme. Trois disserteurs développent ensuite un de ces sujets sérieux qui étaient dans l'esprit du temps : "En matière d'enseignement la famille et l'Église ont des droits supérieurs que l'état ne peut méconnaître ni moins encore s'arroger". Et pour continuer de marquer la soirée sous le signe de la vaillance, un chant : l'Appel au combat...

Le jour de la fête patronale du Supérieur demeure l'occasion toute trouvée pour fêter en musique. Par exemple, en mars 1890 la fanfare avait sa Marche militaire on eut un vaudeville de M. Moreau, un duo sur harmonium et piano par Antonio Beaudoin et son élève Doria Richard, surtout les magnifiques solos de cornet de J.-J Morin de Saint-Hyacinthe, "un talent supérieur" écrit L'Étoile. On tire au sort un harmonium à la suite d'une "œuvre de rafle" qui rapporte $ 952, devant servir avec d'autres argents à l'achat d'un orgue. L'Ami du peuple précise que "le tirage se fait à raison de 10c du coup et 12 coups pour $ 1.00". Le gagnant "pourra se flatter d'avoir entre les mains un excellent instrument".

Un mot de cette période "historique" sur le plan musical. C'est le 14 janvier (1890) que le Supérieur organise la rafle de l'harmonium (qui date de 1879) en vu d'avoir un orgue. Trois jours après il reçoit "le premier dollar pour l'orgue donné par un orphelin". Du reste Anthyme Lavigne, professeur de musique pendant 10 ans, avait préparé "plusieurs séances au profit de l'orgue". C'est le 16 janvier 1891 que la maison Casavant viendra installer l'orgue. Romain-Octave Pelletier organiste à la cathédrale de Montréal vient en faire l'essai. Or un matin le curé Camille Daigneau (entré au collège en 1857) venu célébrer, est tellement impressionné par le chant, le jeu de l'orgue et par les souvenirs qui se pressent dans sa mémoire (35 ans déjà) qu'il verse d'abondantes larmes pendant sa messe, note le Père Beaudry. Le 9 avril suivant, Alcibiade Béique, organiste à l'église Notre-Dame, viendra inaugurer l'orgue plus solennellement lors d'une "messe pompeuse où 40 prêtres étaient présents au chœur". Une séance la veille avait réuni près de 100 acteurs. Au chapitre des soirées dramatiques il en est question.

Pour souligner comme il convenait le 50e anniversaire de l'érection canonique de Joliette, il y eut, le 11 décembre 1893, une fête générale, surtout religieuse, d'où la part importante des élèves du collège. On se rendit d'abord à l'Institut et de là en procession jusqu'à l'église. Le chœur était occupé par les élèves du collège. Ils se joindront à la société chorale de l'endroit pour faire les frais du chant. La solennité demandait la voix vibrante d'un maître de la parole pour le sermon. Il fut donné par le Père Corcoran, qui servit "un véritable chef-d'œuvre d'éloquence sacrée... Barthélémy Joliette n'avait jamais reçu un hommage plus digne et plus touchant". Comme il convient dans des fastes d'époque, "Pour faire la quête, trois des couples les plus élégants de la ville... Ils ont su s'en acquitter avec une grâce parfaite... La recette a été superbe". Au cours de la cérémonie on distribua du pain bénit. Cette coutume jadis si populaire était tombée dans l'oubli et, pour un grand nombre d'élèves et de professeurs, c'est le premier pain bénit qu'ils voient. Pendant le banquet qui suivit, on porta des santés et l'on chanta à la convenance des personnes évoquées : En avant marchons... God save the Queen... Amour, Honneur, Gloire à vous, Saint Viateur...

C'est en juin 1897, que furent célébrées les noces d'or du collège. On avait établi dès février 1896, dans une assemblée des administrateurs du collège, que la fête aurait lieu "Pendant l'année scolaire pour s'assurer de la présence des élèves, mais aux derniers jours de l'année pour ne pas nuire aux examens". Nous détaillerons ici cet événement majeur, parce qu'il demeure le prototype des rassemblements de l'époque quand on voulait qu'ils sortent de l'ordinaire...

Au mois d'octobre, des réunions avaient lieu pour l'organisation de ces fêtes imposantes. Une circulaire invite tous les anciens établis au Canada ou aux États-Unis à envoyer leur nom et celui de leur profession en vue de la publication d'un livre-souvenir de ce jubilé. C'est aussi en octobre qu'on arrête le nom des orateurs et des officiants, les projets de discours, les adresses, les places des convives aux tables... C'est le 21 octobre, que le Père Beaudry adressa sa lettre aux Anciens, concluant par une phrase qui sera à jamais gravée dans les mémoires (et même dans le marbre de son monument) : "Je vous ai tous connus, et permettez-moi de vous l'avouer, je vous ai tous aimés..." Le Père Beaudry était en effet le seul qui ait connu tous les anciens soit comme confrères, soit comme élèves alors que la direction du collège occupa la majeure partie de sa carrière. Le monument Beaudry dresse toujours (1991), devant la façade du Cégep de Joliette, sa forme imposante en bronze, évocateur des années de ferveur religieuse.

Le Père Beaudry, qui désire le nom de séminaire pour son collège, vu le rôle que cette institution a joué pour le recrutement ecclésiastique, voit dans le jubilé d'or l'occasion rêvée de préparer cette mutation. Il prie Mgr Fabre, évêque de Montréal, d'en profiter pour offrir ce cadeau aux anciens. Rien ne paraissait devoir empêcher cette pieuse demande d'avoir les résultats espérés quand survint, 15 jours après, le décès soudain de Mgr Fabre. (Le télégramme de Rome annonçant "Séminaire" n'arrivera que 7 ans plus tard, quand se confirmera la rumeur d'un évêché à Joliette. Le Père Beaudry lui-même ne survivra que quelques mois à cette nouvelle tant attendue, son décès survenant en mai 1904).

Dès le mois d'avril 1897 près de 300 anciens de Montréal se réunissent au Cabinet de lecture de cette ville pour élire des officiers dont le juge Georges Baby et un comité d'organisation où l'on voit une fois de plus, le nom de Chrysologue Lacasse, ici comme secrétaire.

Le 22 juin venu, près de 500 anciens de Montréal et des environs partent de la gare Dalhousie en train spécial pour Joliette.

C'est donc des fêtes sans précédent qui débutent. Plusieurs évêques, 300 prêtres et près de 1,500 élèves envahissent l'enceinte de la ville qui s'est donné une toilette neuve. Les rues, les maisons, les magasins, les institutions, tous les édifices publics disparaissent sous les décorations, drapeaux, arcs de triomphe. La population se porte à l'arrivée du train... Malheureusement pour accueillir tant d'arrivants, on n'avait pas la coquette gare du Pacifique (presque centenaire et toujours solide en 1991), mais une "baraque vermoulue décorée du nom de station que les nadabs de la Cie n'ont pas eu la pudeur d'arracher du sol" écrit un journaliste, et qu'un incendie détruira (trop tard ... ) en septembre 1898.

Donc c'est la fanfare du collège et celle de la ville (mise sur pied depuis 5 ans) qui exécutent la sérénade de bienvenue. C'est ensuite le défilé, les carrosses sont suivis de la foule en deux haies. Malgré la pluie... on s'engage sur le magnifique pont en fer. Les anciens revoient le moulin à scie, le manoir seigneurial converti en couvent, puis la haute statue du S.Cœur qui domine le collège... Sur le seuil le Père Beaudry accueille à bras ouverts les invités.

À l'extrémité de la cour un majestueux vélum a été dressé. Les groupes se forment à la lueur des lampes électriques et des lanternes. Des adresses de bienvenue, des discours... Quand vint le tour de Mgr Duhamel Archevêque d'Ottawa, l'Harmonie de la ville terminait son entrée dans la cour. "Je regrette, dit trop modestement Monseigneur, que la fanfare ne fasse pas entendre plus longtemps ses accents harmonieux, je garderais le silence car c'est lorsque je ne dis rien que je suis le plus éloquent"... Après les nombreux discours, on se disperse dans la ville aux accords des fanfares pour se remplir la vue de l'illumination féerique : lumières aux lanternes chinoises, arcs de verdure, feux de Bengale... À l'époque c'était le noviciat qui remportait la palme dans la décoration, comme "cet ange gracieux qui volant dans les airs chante à la foule un compliment de bienvenue"... dispositif ingénieux du Frère Alex. Boisvert. Au collège le génie appartiendra au Frère Aug. Martel...

Plus de 5,000 personnes sous les étoiles ce soir-là... La cour du collège elle-même est illuminée sur son parcours de 10 arpents. Des inscriptions fixées aux fenêtres ou suspendues aux arbres. 2,000 lumières sont ainsi étagées dans les arbres. Des lanternes aussi le long des palissades (qui bordaient alors la rivière), d'autres aux rameaux des ormes et des tilleuls, une brillante couronne à la nappe d'eau de l'étang. Quand ce fut le temps du feu d'artifice le nom de "Joliette" surgit soudain du sol en caractères de flammes et tout irisé d'étincelles !

Le lendemain (23 juin), les élèves chantent la messe de Fauconnier avec accompagnement d'un orchestre, dont M. Boucher violoncelliste de Montréal, et une partie de la messe de Sainte-Cécile de Gounod. Des solistes comme Joseph Renaud, Clovis Laurendeau (devenu maître de chapelle à Montréal). Le Père Charlebois venu du collège Bourget dirigeait le chant, Antonio Beaudoin tenait l'orgue. Gustave Gagnon, l'organiste bien connu de la Basilique de Québec et ancien du collège, joua à la fin de la messe une superbe marche pontificale. L'orateur sacré, l'abbé Régis Bonin (dans un sermon de 9 pages) refait l'histoire du collège, rappelant en particulier le mot devenu célèbre de Mgr Prince lors de la bénédiction du collège le 22 septembre 1846 : "En quittant ce collège qui doit ouvrir ses portes à la jeunesse, j'emporte dans mon cœur la douce pensée qu'il ne cessera de prospérer et qu'il deviendra l'une des plus florissantes maisons de cette province". Vers la fin de la messe l'assistance se lève pour l'arrivée de Mgr Merry Del Val, délégué apostolique escorté d'autres prélats.

Suivit le banquet sous la tente dans la cour du collège. Les fanfares accompagnent la double haie de citoyens qui suit le délégué et se rend sous l'immense vélum dont le dôme supporté par un pivot de 70 pieds est tendu de draperies, d'inscriptions, d'oriflammes. 37 tables sont disposées en rayon autour de la table d'honneur. Le banquet où prennent place plus de 1,400 personnes est agrémenté de la musique des deux fanfares. Il se poursuit jusqu'à 4 h 30...

La dizaine de "santés" et les "réponses" (dont l'une couvrait onze pages...) sont entrecoupées par le chant de refrains appropriés et de sonneries de fanfare. L'heure avancée ne permit même pas à W. Landry de Philosophie sénior de produire son discours de remerciement, il le fera plus tard. Les "toasts" n'étaient pas encore terminés à 4 h 30 quand le délégué apostolique et quelques dignitaires durent quitter pour le départ du train.

On soupa sous l'une des tentes et l'on se rendit à une tente voisine pour assister à une séance intime où l'on continua les discours, en particulier celui du Supérieur qui eut tout le temps de raconter ses 40 ans au service de l'éducation... Des Chants canadiens furent enlevés par un chœur de 1,500 voix et accompagnés par un orchestre.

Le lendemain, on célébra la messe pour les défunts... Puis le réfectoire du collège fut ouvert aux convives. La distribution des prix eut ensuite lieu. Une exécution d'orchestre préluda à la solennité. On offrit séance tenante des prix en dollars pour récompenser la correction de la langue, le catéchisme, les sciences. Avila Roch donna le discours d'adieu des finissants qui fut suivi d'un dernier morceau d'orchestre.

Au cours des fêtes, un groupe de Clercs Saint-Viateur dirigé par le Père Charlebois s'était chargé du programme musical. On mît en relief l'œuvre musicale des Clercs de Saint-Viateur, les travaux du Père Georges Paul, du Frère Vadeboncoeur, du Frère M. Champoux. Quelques pièces du Père Charlebois avaient constitué d'ailleurs le fonds musical de la partie liturgique.

Ce compte rendu des Noces d'or est le résumé forcément succinct d'un volume-souvenir de 250 pages... et de reportages parus dans plusieurs numéros consécutifs de L'Étoile du Nord.

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