Chapitre II

LES MANIFESTATIONS MUSICALES DU SÉMINAIRE

La séance des Philosophes Juniors (1900-1950)

C'est devenu une coutume que pour la fête de Staint-Thomas (7 mars) les élèves de Philosophie junior se méritent un congé en préparant une soirée littéraire, théâtrale et même... musicale. Si les pièces de théâtre sont d'inégale valeur et ajustées au nombre et à la qualité d'acteurs disponibles.... on conservera, sans y manquer, l'habitude de discourir ce soir-là sur la science, l'Église, de disserter, d'arguer" (on fait appel aux plus ferrés de la classe) par exemple sur les Universaux (l'abbé F.-A. Baillargé en fit une pièce avec 14 personnages !), sur la Vérité et la Certitude (Édouard Jetté fit un discours sur ce dernier thème en 1918), Le libéralisme, Le transformisme... etc. Mgr Archambault est venu (en 1908) leur servir une conférence sur l'Immanentisme...

Le lendemain matin était célébrée une messe spéciale avec participation musicale des membres de la classe en solo ou en chorale. Les joyeux confrères seront même de retour pour le salut du T.S. Sacrement vers la fin de la journée où l'on entendra des motets (en latin, bien sûr) pour clore cette journée de congé. On aura même souvent un banquet aux huîtres pour clôturer le tout...

On voit apparaître en 1904 une devise de classe sur le programme : "E pluribus unum" (De plusieurs un seul). On aura des formules dignes d'être gravées dans le bronze... ! "Toujours vers l'idéal" (1909), "Je veux" (1915), "Sois fort" (1916), "Res non verba" (1919), "Bene dicere melius facere" (1921), "Depositum custodi" (1925), Duc in altum" (1926), "Vois loin, vois grand" (1930), "Audax et fidelis" (1931),, Honore duce" (1933), "Recta sapere" (1937), "Force et sagesse" (1939), "Savoir vouloir vivre" 0941), "Valde velle" (1942).

Notons que se trouve inscrite habituellement sur le programme de la Soirée la de des élèves, dont les prénoms sont trop souvent initialisé sans plus, parfois ces prénoms de figure même pas !

Quant aux pièces jouées, si l'on parcourt la liste, on a droit à tous les titres imaginables : Les tribulations du marquis de la grenouillère, La goutte de sang, Monsieur l'aumônier militaire, Amusement des poilus, Louis XVI, L'oncle Di ndonneau, Le triomphe de S.Thomas, L'enfer contre l'autel, etc..

Un incident entoure la reprise de la pièce Le rachat, jouée par les élèves de Philo I de 1936. Mgr Papineau avait encouragé cette classe à répéter dans les paroisses un si beau drame. Les élèves le reprirent au collège et invitèrent M. Morenoff, qui avait crée les ballets de Jonathas et de La Samaritaine, à profiter de l'occasion pour présenter son petit ballet : 9 titres, 12 personnages... Or un extrait de L'Act. Populaire, peu de temps après, se lit comme suit. "Les philos I répétaient, au profit des œuvres de Monseigneur, le beau draine social Le Rachat. Naturel, talent, brio. Il reste les entractes donnés par les Morenoff. Intéressants, mais pas tous convenables. On avait certes mal choisi et l'occasion et l'endroit pour exhiber certaines toilettes et donner certaines danses. Monseigneur, qui le dira en temps et lieu, le Supérieur, la chronique du Séminaire et les organisatrices furent les premiers à le déplorer. Les Morenoff avaient promis des démonstrations d'art chorégraphique dans le genre de "Le roi s'amuse", pièce tout à fait gracieuse et irréprochable. Ils n'ont pas tenu parole. Avec tous les intéressés nous le déplorons L'étonnement du public pouvait être d'autant plus grand que le même Journal avait annoncé quelques semaines auparavant "C'est un spectacle unique que vous ne verrez nulle part ailleurs, une évocation du grand siècle de Louis XIV". Or le Supérieur, ou plutôt un secrétaire, l'abbé Lucien Gravel, écrit dans le journal du Séminaire, au soir du spectacle, cette simple information : "Les entr'actes nous sont fournis par M. Morenoff et sa troupe, la soirée était sous la présidence de M. le chanoine L.- Ph. Lamarche"...

Souvent la fanfare du collège prendra part à la soirée dramatique, mais, avec les années, ça pourra bien être un groupe formé des seuls membres de la classe. Quelques détails sur une soirée à l'aurore du siècle, celle de 1901. Le début en est assuré par la fanfare. Albert Chevalier joue au violon Le Carnaval de Venise, Albert Laforest déclame François Coppée. William Barrette et Alex Champoux s'illustrent ce soir-là dans une discussion sur les Universaux et dans le jeu d'une pièce comique. Voici un trio de violon par A. Chevalier, Geo. Gagné et Eugène Renaud... Le chroniqueur de L'Étoile se veut naïf et encourageant : "Ce fut une lutte entre musique et poésie... Une lutte charmante et enivrante, bien faite pour caresser l'oreille et faire battre le cœur"...

Le brio de la présentation sera à la convenance des talents... Ainsi un solo violoncelle par Albert Dufresne (1904), Le Mouvement perpétuel de Weber Po piano par P. A. Boisclair (1915), un Chœur de la classe de 1915 dans Les abeilles de Léo. Delibes. Relèvons ici les noms de 9 confrères de Philo I qui se sont constitués en Harmonie de classe (1916) : Ch.-H. Trudeau directeur et clarinette, M. Tellier 1ère clar, F. Charpentier 2ème clarinettes R. Bonin 1er bugle, G. Martin 2ème bugle, D. Forest saxe ténor, A. Grégoire trombone, W. Caille basse mib, B. Brunelle batterie... Ils jouent 4 pièces dont une sortie Color Guard de Schumann". Bravo !

Le 6 mars 1918, on entendit un duo Chez nous de Tagliafico par Azellus Houle et Édouard Jetté (futur évêque administrateur de Joliette) et Estudiantina de P. Lacome chanté par le groupe. On eut en 1921 l'opérette La leçon de chant d'Offenbach par A. Bélanger et 0. Bourret ; en 1923 on entendit du même auteur Les deux aveugles chanté par E. Dion et H. Robillard ainsi qu'un Nocturne de Chopin joué à la clarinette par C.-Ed. Beaudry ; en 1924 La Berceuse de Jocelyn de B. Godard a été jouée en duo par E. Masse clarinette et Georges-Émile Lapalme violon avec G.-E. Laporte au piano ; bien sûr, en 1925, on aura une pièce de maître Hejre Kati de Hubay avec notre excellent violoniste Maurice Ducharme ; on n'était pas moins favorisé en 1926 avec un trio déjà aguerri : Edmond Bellemare violon Roger Deshaies clarinette et R. Simoneau piano qui jouèrent la Grande polka de concert de H.N. Bartleit. En duo au piano Deshaies et Simoneau ajoutèrent la Danse macabre de S.Saens. Bellemare y alla d'une Mazurka de concert de Musin... (il se prépare, sans y penser, à devenir 1er violon dans la Symphonie de Montréal... !)

On ne sera plus surpris dorénavant qu'il y ait un "orchestre" (ou du ins fanfare) dans une classe de Philo jr... En 1927 un tel orchestre joua En badinant de F. Simpkins et Sur un pic de L.-P. Laurendeau. Le P. Charlebois note dans son journal "Les musiciens et les chantres sont nombreux dans cette classe". L'année suivante
(1928) un quintette joue Angels' Serenade de C. Barga, ce sont F. Deschambeault violon, J. Marion clarinette, E. Guibault cornet J. Dubeau saxe et F. Bacon piano. La joyeuse fanfare de 1929 joua The Jolly Travelers de Clark (le P. Cyrille Beaudry Jr raconte aujourd'hui (1990) qu'on l'avait placé au milieu du groupe avec l'énorme sousaphone et qu'il faisait mine d'en jouer !). Le quatuor instrumental formé (1931) de Maurice Pluze, P. Bouvier, Marcel Chrétien, Claude de v Grandmont joue La Golondrina de W.L. Lake.

Une des années les plus musicales sous ce rapport fut celle de la classe de Rolland Brunelle (1932). Celui-ci avait écrit toute la musique qui fut alors exécutée : Marche P.J.S.J. (Philosophie Junior du Séminaire de Joliette) comme entrée, des pots-pourris canadiens arrangés par lui et chantés par "les troubadours", la musique de scène de la pièce La Molécule du confrère Paul Villeneuve, la sortie Marche du Centenaire... Non moins privilégiés les auditeurs de l'année suivante (1933) avec le concertiste Paul Dionne à la clarinette dans le difficile Fantasia di concerto de Boccalari (avec cette pièce commence pour Paul Dionne une carrière de plus de 40 ans comme collaborateur à l'orchestre... ). À l'occasion d'une pièce (L'enfer contre l'autel de Jacques Debout) jugée par un rhétoricien comme "du plus mauvais Rostand et où le sujet trop grand a écrasé le poète médiocre", la classe de 1937 fut bien inspirée d'accueillir le groupe instrumental des Scolastiques Clercs Saint-Viateur au nombre desquels se trouvait le Frère Rolland Brunelle qui joua le Concerto en Do majeur de Haydn, puis dirigea son orchestre dans l'Ouverture de Coriolan de Beethoven et la Symphonie surprise de Haydn... Cet ensemble donnera d'ailleurs quelques concerts au collège. Années musicales, s'il en fut, pour le Scolasticat d'études théologiques de Joliette !

Un bon clarinettiste dans la classe de 1941, Robert Lambert, joua Danse espagnole de Moszkowski tandis que celle de 1942 comptait l'excellent flûtiste Jean-Paul Brunelle, un ténor Guy Coutu ; le premier joua une Polonaise de J.S. Bach et le second chanta La Donna e mobile de Rigoletto de G. Verdi. Chaque année semble avoir sa vedette puisque le groupe de 1943 pouvait compter sur Louis Levasseur qui joua à la trompette les Variations de H.L. Clarke sur le Carnaval de Venise. L'année suivante (1944) Luc Piette joua au violon Adoration de Borowksi. Noël Denis chanta(1945) Avant de quitter ces lieux (Faust) et une fois de plus le Père Marion fit chanter le célèbre Cantique (Jean Racine) de G. Fauré par le groupe de classe accompagné au piano par Raymond Locat.

Les philosophes de 1948, qui avaient joué en mars Les gueux au paradis (un miracle de G. Martens et André Obey) relevèrent le défi d'aller présenter leur pièce trois mois après à travers le diocèse de Joliette. L'équipe dynamique des Pères Gaston Pinard, Jos. Gignac metteurs en scène et Jean Dubois organisateur s'affaira du 19 au 26 juin pour répondre au désir de quelques paroisses. Le groupe en profite pour y introduire une partie musicale : on y chante Le nez de Martin, V'la bon vent, La prière en famille de Gadbois, Le mer de Ch. Trenet..

Dans la suite l'accent sera mis sur la pièce de théâtre, peu de place à la musique. En 1949, Onil Abran jouera pourtant Libesfreud de Frère Kreisler au piano, on chantera du Laprade-Lalo et du Charles Trenet en groupe de classe. L'Harmonie sera présente en 1950, on y chantera aussi, mais déjà la pièce (La lutte avec l'ange) sera accompagnée par une musique enregistrée... Le chœur de classe continuera d'avoir son chant de circonstance, mais les solos d'instrument ou de chant sont évacués du programme, même s'il se trouve des solistes talentueux dans le groupe. Si l'on se porte tout de go une dizaine d'années après, on a, par exemple en 1960, une Saint-Thomas partagée avec des représentants d'autres collèges, alors que la journée se clôture avec de doctes professeurs qui viennent présenter un panel de haute tenue philosophique... Un élève de ces années-là mentionne aujourd'hui que la journée des philosophes était alors devenu un grand jour de plein air à une de ski des Laurentides... !

Revenons au passé. La proximité d'une autre fête importante pouvait contribuer à masquer, voire à supprimer la fête traditionnelle : ç'avait été le cas le 16 mars 1905, lors de la 1ère réception de Mgr Jos. Archambault au collège en la Saint-Joseph, fête patronale qui fut tout simplement organisée par les Philos Jr... ! Quand Mgr Sbaretti délégué apostolique au Canada vint rendre visite au Séminaire après la bénédiction des cloches de la cathédrale (19 mars 1908), on l'accueillit avec deux dissertations sur "L'Église une société" et "Les devoirs de l'État envers l'Église". On chanta aussi un Gloire à Pie X de Riga et encore Les Bords du Saint-Laurent musique de fanfare "qui fait jaillir, écrit le Père Roberge, l'hymne national Ô Canada chanté par 300 voix ! On écouta religieusement Monseigneur donner une causerie sur l'Education chrétienne qu'il termine en accordant deux grands congés... !

La tenue littéraire des discours lors de la fête annuelle de Mgr Archambault qui se trouve en mars donne à croire que les philosophes sont de la partie. On y trouve des entretiens sérieux... ainsi en 1912 : "L'Église et ses ennemis, L'Eucharistie présence réelle"... (Monseigneur, en docte professeur qu'il était, ne leur avait-il pas donné une conférence sur l'immanentisme... ?) -Mais la musique accompagne invariablement de telles fêtes. Ainsi on a ce soir-là La Sérénade des anges de Braga et Danse polonaise de H. WieniawsId jouées au violon par R. Picotte, Les deux commères de H. Labit par A. Fafard et A. Dugas cornets, Danse hongroise de Moszkowsi par T. Bernard et P.-A. Boisclair au piano. On déborde toutefois ici la participation d'une seule classe. "Les décors, écrit L'Étoile, sont dus à la générosité du Père Procureur et à l'habileté de M. Delorme peintre de cette ville".

La fête des philosophes Jr a un intérêt particulier pour l'histoire de la musique dans le sens que l'on ne présentait alors de menu musical que s'il se trouvait de réels talents dans le groupe, on pouvait à la limite n'en pas présenter et laisser joue " l'Harmonie du collège. Ce sera différent lors de la Sainte-Cécile qui se voudra une fête de la musique pour tous, où les performances seront fort inégales...

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