Chapitre III

WILFRID CORBEIL

La Société des Amis du Séminaire, par la qualité des soirées artistiques réalisées pendant une dizaine d'années, met déjà en relief la figure du Père Wilfrid Corbeil, son rôle essentiel dans la promotion de l'art musical. Pourtant ce n'est ici qu'un aspect de sa personnalité. Le Père Maurice Ouellette paraît couvrir assez bien l'éventail des possibilités de Corbeil en écrivant, à l'occasion d'une exposition de peintures Corbeil (1946) : "Notable de la culture et grand humaniste, on peut admirer ses oeuvres d'architecte sculpteur, de décorateur, de graveur (ainsi pour le journal L'Estudiant), de metteur en scène, d'imprésario des Amis du Séminaire, d'artiste peintre... Les cartons du Père Corbeil imposent le respect".

De son côté André Bélanger obtient du Père lui-même au cours d'une interview (janvier 1952) des points de vue éclairants sur la carrière de cet artiste aussi modeste que talentueux et qui fait du dessin depuis son plus jeune âge. "Je préfère l'aurore au soleil du midi, et dans l'église le roman au gothique... Pour moi ce dernier est parfait, mais le premier est plus humain, plus vibrant. (...) La peinture est la re-création de la nature. Ma peinture est figurative, je suis attaché à la représentation en paysage pur (de l'école de Cézanne)... J'ai peut-être la tête dans les nuages mais les pieds sur un roc solide. Je suis un homme paisible... L'abstraction est une chose secondaire, pas l'élément principal d'une toile. Il me paraît impossible d'accepter l'anarchie totale en peinture"... Le Père Maurice Ouellette, portant sur les toiles gaspésiennes de Corbeil un regard de connaisseur, fait appel (1947) aux souvenirs que chacun peut rapporter des images imprenables de ce coin du Québec et se plaît dans une description qui veut reconstituer l'ambiance unique du peintre... "Le bleu innombrable de la mer recommencé... Avez-vous écouté le sec caquetage des galets que galbent en les débordant les uns sur les autres, les longues et les longues houles glauques et sonores ? ...

Au cours de cet ouvrage nous avons saisi certaines occasions de faire connaître les talents du critique musical que fut le Père Corbeil en publiant des extraits de ses commentaires dans les journaux et en prenant le temps de respecter le pittoresque de ses descriptions où il ne manque pas d'associer les arts dans un même élan passionné. Cet artiste écrivain fut sûrement marqué par les grands stylistes des époques classique et romantique. Voici de courts extraits dont on apprendra avec étonnement qu'ils sont de la plume encore alerte d'un homme de 86 ans qui continue de s'émerveiller devant une parcelle de beauté plastique ou musicale.

L'Orchestre Symphonique de Montréal avec Charles Dutoit et la violoniste Kyungwha Chung venait de donner un concert (mars 1979). Corbeil confie au journal local un article qu'il intitule "De la musique qui joue sur la renommée de Joliette". Il parle de cette soirée où l'on passa "des rigueurs orchestrales des classiques au bouleversement des cadences de valses viennoises". À l'occasion du concerto de Mozart joué ce soir-là, il loue "la violoniste servie par une technique de tout repos et qui explore à fond les ressources de cette page musicale... Son élégance vestimentaire style Récamier, sa robe longue et transparente qui laissait briller des escarpins d'argent complétait ce décor haut en couleur". Vint l'assaut final de la Symphonie "au mouvement rapide, effréné d'archets qui grincent, de batteries qui assourdissent, de cuivres qui éclatent comme un lever de soleil... Le bruit et les sons créant un émouvant décor orchestral où la lumière grandit jusqu'à une étincelante illumination... Dutoit (Charles Dutoit) salue, chevelure en désordre mais souriant de toute sa personne, gainé dans la coupe parfaite de son costume...". À travers son texte Corbeil a trouvé moyen de citer Saint Bernard qui affirme que l'audition est un degré vers la vision..., de rappeler que la musique comme le théâtre exerce une sorte de catharsis sur le goût..., de faire soupçonner au compte des interprètes une influence de la muse Euterpe...

Au discours banal, au raccourci médiocre, Corbeil aura toujours préféré l'expression appropriée, la phrase volontairement déployée et empreinte de noblesse. Il fut un grand humaniste et, sans conteste, par son enseignement et ses écrits, un maître de littérature.

En novembre 1946 l'abbé André Lecoutey artiste peintre des Ateliers d'art sacré de Paris avait fondé avec le Père Corbeil un groupement dans le but de diffuser un art sacré spécifiquement canadien : "Que l'Église soit un pionnier de l'art vivant"... Leur cénacle se nomma le Rétable. En 1950, le Père Corbeil quitte l'enseignement des Lettres et devient directeur du Rétable (notons que le Père est au Séminaire depuis déjà une trentaine d'années). Après 1960 il s'occupera principalement du musée d'art. On soulignera chez lui (octobre 1979) le don qu'il a toujours possédé de populariser l'art religieux, apportant beauté et propreté des lignes. Il fut un ennemi juré de la médiocrité et de la vulgarité. Nombre d'églises ont été revalorisées par lui. Le conseil de ville l'a fait membre de la Commission d'urbanisme comme conseiller spécial et participant au règlement de zonage...

Raymond Lapierre, secrétaire de la Corporation du Musée, intitule dans un article "Le Père Corbeil survivra" et fait remarquer que les édifices de Joliette sont témoins qu'il fut, comme d'autres Clercs Saint-Viateur, parmi les grands bâtisseurs de Joliette... Devenu affaibli par l'âge, il avait encore à l'hôpital crayons et papier et traçait un plan d'agrandissement du musée. Aujourd'hui le Centre Culturel prolonge la Société des Amis du Séminaire de 1943..., tandis que le maintien et le développement du programme d'arts plastiques prolonge son studio de dessin inauguré en 1930... On dit qu'il fut le premier de la Province à ouvrir un studio d'art dans un collège classique (N'est-ce pas à Joliette que Paul-Émile Borduas a tenu sa première exposition en 1942 ?) Quant au "décors" des pièces de théâtre, ils auraient fait du Séminaire l'institution la plus renommée avec le Collège St-Laurent.

Pour ses nombreux titres à la reconnaissance de son milieu, le Père Corbeil recevra en décembre 1976 la médaille de l'Ordre du Canada tandis qu'en janvier 1978 lui est attribué le prix Philippe Hébert à la suite des Lemieux, Pelland, Riopelle, Daoust... Enfin, à l'occasion du prix Bene Merenti décerné à "ceux qui ont servi les intérêts supérieurs de la nationalité québécoise" et pour certains "services exceptionnels rendus à notre race par des canadiens-français", Jean-Paul Champagne, président de la Société St-Jean-Baptiste dira : Nous honorons un vénérable québécois, un incontestable promoteur des arts". Et Marcel Théoret du jury : "Vous avez fait de la beauté votre raison de vivre".

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