Contes étiologiques
Grand Pin et Bouleau
Adapté d'un conte Ojiboué.
Toutes les nations amérindiennes
ont leurs récits qui expliquent la création du monde et l'origine
des choses. On disait qu'autrefois la forêt servait d'école
aux enfants : les anciens les y promenaient pour leur raconter les légendes
qui servaient d'enseignement. Cette histoire nous apprend d'où vient
l'écorce caractéristique du bouleau.
(voir introduction de Nanabozo vole
le feu).
Il y a très très
longtemps, avant même la venue des hommes dans ce pays, les arbres
pouvaient parler. Lorsqu'ils faisaient bruisser leurs feuilles, leur langage
était calme. Mais quand ils agitaient violemment leurs branches
dans le vent, leur discours était plein de courage ou de peur.
Toutes sortes d'arbres vivaient dans la forêt.
Érable laissait couler sa sève sucrée pour les oiseaux
assoiffés. Beaucoup d'oiseaux nichaient chez lui. Les merles déposaient
leurs petits œufs bleus dans les nids bien installés dans les branches.
Érable les protégeait du vent et de la pluie. Il était
toujours prêt à rendre service et on le respectait tout alentour.
Non loin de lui, grand Orme élevait ses longues
branches vers le ciel. Orme adorait le soleil et chacune de ses branches
s'élançaient vers ses rayons. Les orioles* y construisaient
leurs nids-balançoires sachant qu'ils se trouvaient à l'abri
dans les hauteurs.
Il y avait aussi Thuya. En hiver, des familles d'oiseaux
logeaient dans ses ramures. Quand le froid faisait rage, Thuya refermait
ses épaisses branches sur eux et les gardait bien au chaud. Les
oiseaux étaient si confortablement installés qu'ils mettaient
du temps, le printemps venu, à quitter leurs logis dans Thuya. Bouleau
se tenait à peu de distance. Il était mince et élégant
et son écorce douce et blanche le distinguait des autres. Ses bras
souples et gracieux s'agitaient à la moindre brise. Au printemps,
ses feuilles vert tendre étaient si fines qu'elles laissaient passer
la lumière du soleil au travers.
Quand nos ancêtres arrivèrent dans ces
lieux, ils se servirent de l'écorce de Bouleau pour fabriquer des
canots, des maisons et même les récipients dans lesquels ils
cuisaient leurs aliments.
Mais il arriva un jour où Bouleau, à
cause de sa beauté, se mit à mépriser tout le monde.
Il en reçut une cuisante leçon d'humilité. Voici ce
qui arriva.
Grand Pin était le roi de la forêt.
C'est à lui que chaque arbre devait faire un salut en courbant la
tête. Car on doit manifester son obéissance au roi. Et ce
roi était le plus grand, le plus majestueux, le plus droit de tous
les arbres de la forêt. En plus de sa taille, sa magnifique vêture
vert foncé assurait son autorité.
Un jour d'été, la forêt resplendissait
des parfums et des couleurs de milliers de fleurs et un éclatant
tapis de mousse recouvrait les coins ombragés du sol. Une quantité
d'oiseaux, des gros, des petits, des bleus, des gris, des jaunes et des
rouges, n'arrêtaient pas de chanter. Les arbres bougeaient doucement
et agitaient leurs feuilles qui étaient des rires et des gais murmures
de contentement.
Érable remarqua tout à coup que Bouleau
ne participait pas à cette réjouissance collective.
- Es-tu malade, Bouleau ? demanda le gentil Érable.
- Pas du tout, répondit Bouleau en agitant
ses branches de façon brusque. Je ne me suis jamais si bien senti.
Mais pourquoi donc devrais-je me joindre à vous qui êtes si
ordinaires ? Érable, surpris de cette réponse, se dit que
le roi Grand Pin ne serait pas content d'entendre de telles paroles. Car
la première tâche de Grand Pin était de faire respecter
l'harmonie parmi ses sujets.
- Tais-toi ! dirent les arbres à Bouleau.
Si Grand Pin t'entend... Les arbres étaient très solidaires
les uns des autres comme le sont des frères et des soeurs qui s'entraident.
Mais Bouleau refusait l'amitié de ses compagnons. Il se mit à
agiter ses branches avec mépris et déclara :
- Je me fiche bien du roi. Je suis le plus beau de
tous les arbres de la forêt et dorénavant je refuserai de
courber la tête pour le saluer ! Grand Pin, qui s'était assoupi,
s'éveilla tout d'un coup en entendant son nom. Il secoua des fines
aiguilles pour les remettre en place et s'étira, s'étira
en redressant son long corps.
- Bouleau, que viens-tu de dire ? lança-t-il.
Tous les arbres se mirent à trembler car ils
se doutaient bien que la colère grondait dans le cœur de Grand Pin.
Mais Bouleau ne semblait pas craindre sa colère. Il étala
ses branches avec dédain, les agita dans un sens et dans l'autre
et dit d'un ton hautain:
- Je ne vais plus vous saluer, Grand Pin. Je suis
le plus bel arbre de la forêt, plus beau que tous les autres, plus
beau même que vous !
Grand Pin se fâcha. Ses bras se mirent à
s'agiter bruyamment. Et tous les arbres attendirent dans le plus grand
silence la suite des événements.
- Bouleau, lança le roi Pin, tu es devenu
vaniteux ! Je vais t'apprendre une leçon que tu n'oublieras jamais.
Grand Pin se pencha en direction de Bouleau et frappa sa tendre écorce
de toutes ses forces. Ses aiguilles lacérèrent la douce peau
blanche de Bouleau.
Enfin, il dit :
- Que tous apprennent par toi, Bouleau, que l'orgueil
et la vanité sont mauvais.
Depuis ce jour, l'écorce de Bouleau est marquée
de fines cicatrices noires. C'est le prix qu'il dut payer, autrefois, pour
sa vanité. Tous les membres de sa famille, sans exception, ont gardé,
marquée dans leur peau, la trace de la colère du roi Grand
Pin.
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