Contes étiologiques
Kugaluk et les Géants
Adapté d'un conte inuit.
Chez les Inuits qui habitent le
Nunavik. C'est-à-dire l'extrême nord du Québec, la
tradition orale transmet les croyances et les grands mythes de la création.
Cette histoire raconte comment naquit le brouillard.
Au pays des Inuits, un
géant semait la terreur parmi les chasseurs de phoques. Il repérait
facilement les chasseurs solitaires sur les grandes étendues de
glace de la banquise. Tous les habitants avaient peur d'être attrapés
par ce géant ou par sa femme, géante elle aussi. On disait
qu'elle était aussi vorace que son mari. Ces deux géants
emportaient les chasseurs qu'ils capturaient dans leur maison pour les
dévorer et on n'en entendait plus jamais parler.
Aussi, quand un chasseur partait sur la banquise,
la peur des géants restait présente en lui jusqu'à
ce qu'il fût de retour chez lui.
Un jour que Kugaluk attendait qu'un phoque montrât
le bout de son nez, il vit le géant qui venait vers lui. Il savait
qu'il ne pouvait pas se sauver car il n'y avait que l'immensité
de la neige et de la glace autour de lui, nulle part où se cacher.
Sans hésiter, Kugaluk s'allongea par terre. Il retint son souffle
et fit comme s'il était mort.
Le géant s'approcha de lui. Il l'examina attentivement
pour voir s'il respirait.
- Il est bien mort, dit-il tout haut. Il est gelé
dur.
Le géant saisit Kugaluk et l'attacha sur son
dos à l'aide d'une longue lanière de nerf de caribou. Il
se mit en marche. Kugaluk ne bougeait pas. Mais de temps en temps, il ouvrait
les yeux pour voir où il était.
Le géant marcha longtemps sur la neige, puis
il se dirigea vers un endroit où poussaient des arbustes touffus.
Kugaluk pensa : « Si je m'agrippe aux branches,
j'arriverai peut-être à fatiguer le géant. »
Bientôt, le géant se fraya un chemin
à travers les saules nains. Kugaluk saisit les branches qu'il voyait
à la portée de ses mains. Le géant tirait fort pour
se dégager. Il faillit tomber plusieurs fois.
Kugaluk répéta son geste à maintes
reprises. Le géant dut s'arrêter pour se reposer tant cette
marche à travers les saules nains l'épuisait. Il ne soupçonnait
pas que c'était à cause de Kugaluk. Il fut obligé
de s'asseoir pendant un bon moment pour reprendre son souffle. Puis, hésitant,
il vérifia tout même encore une fois si l'homme qu'il transportait
était bien gelé.
Kugaluk retint sa respiration et resta raide. Le
géant reprit son fardeau et continua son chemin.
Kugaluk le fit trébucher tout le reste du
voyage. Il était tard lorsque le géant finit par arriver
chez lui ; il était fatigué. Il entra dans la maison et dit
à sa femme :
- J'ai trouvé un homme mort que nous mangerons
demain.
Il déposa Kugaluk dans un coin de l'igloo,
jeta sa hachette sur le sol et se coucha aussitôt pour dormir. Du
coin de l'œil, Kugaluk examina l'igloo. Il vit la lampe qui brûlait.
Il pouvait distinguer les formes du géant et de sa femme qui dormaient.
Sans bruit, il tâta le sol et sa main rencontra
la hachette du géant. Il la prit et resta tranquille. Puis, il se
souleva doucement et, sans bruit, trancha la gorge du géant endormi.
Il craignait que la femme ne s'éveillât mais elle ne bougeait
pas. Alors, Kugaluk se mit debout et se précipita dehors. Il se
mit à courir à toute vitesse sur la neige. Il regarda derrière
lui, personne ne le poursuivait.
Alors, il ralentit sa course tout en continuant de
regarder derrière lui. Il se croyait sauvé mais voilà
qu'apparut au loin la géante. Elle avançait droit sur lui,
son ulu* à la main. Kugaluk rassembla ses forces mais ses jambes
ne voulaient plus courir. Il se sentit perdu. Malgré son affolement,
il se rendit compte qu'il traversait un bras de mer couvert d'une épaisse
couche de glace brillante. Une idée lui vint.
Il saisit la hachette et se mit à frapper
le sol à coups répétés. Une rivière
bouillonnante surgit aussitôt et barra le chemin à la géante
qui accourait. Elle s'arrêta au bord de l'eau et cria :
- Comment as-tu traversé la rivière
?
- Je l'ai bue, répondit Kugaluk en tremblant.
Alors la géante se mit à boire la rivière.
Son estomac était moitié plein et déjà elle
se préparait à sauter par-dessus ce qui restait d'eau.
- Il faut tout boire ! cria Kugaluk désespéré.
Car il pensait :« Que puis-je faire contre
la géante avec une pauvre hachette? »
Soudain un bruit épouvantable se fit entendre
et un épais brouillard s'entendit sur toute la toundra. C'était
la géante qui avait explosé en crevant.
Kugaluk ne voyait rien ; il ne savait plus dans quelle
direction aller. Il réussit tant bien que mal à s'orienter
et retourna chez lui sans rencontrer personne.
Lorsqu'on apprit au village comment Kugaluk avait
réussi à débarrasser le pays du géant mangeur
d'homme et de sa femme, on fit une grande fête.
C'est depuis ce jour que le brouillard existe. Il
s'étend parfois sur la toundra, obligeant les chasseurs de phoques
à rester sur place et à attendre le retour du ciel clair.
Durant ces moments d'attente immobile, ils n'ont plus peur de rencontrer
les géants car chacun se rappelle l'exploit de Kugaluk.
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