Contes étiologiques



La Légende des brûlots



Adapté d’un conte amérindien.

Celui qui a goûté aux morsures des brûlots sait qu’ils portent bien leur nom ! Ces insectes minuscules qui abondent en juin et juillet réduisent à néant le goût de la vie en plein air. Mais ils ne sont pas près de disparaître des bois entourant les lacs. Nous apprenons ici comment ils sont nés.

Il y a très longtemps, bien avant l’arrivée des hommes blancs, vivait dans nos parages un géant. Ce géant-là était tellement grand que sa tête dépassait les nuages. Un seul de ses pieds remplissait un lac et une seule de ses mains pouvait couvrir une forêt. Son souffle avait la force d’un ouragan ; sa voix ressemblait au tonnerre.

Quand il marchait, chacun de ses pas faisait naître un tremblement de terre. Mais quand il se déplaçait, justement, ses yeux étaient si éloignés de ses pieds qu’il lui arrivait souvent d’écraser des villages sans s’en rendre compte.

Alors, les gens, les Indiens qui vivaient dans le pays, commencèrent à le craindre. Ils se mirent à chercher un moyen pour le chasser ou le détruire. Mais ils se sentaient impuissants eux, si petits, devant le géant immense et puissant. Ils inventaient toutes sortes de stratagèmes depuis des années mail ils n’arrivaient à rien. Et la peur du géant augmentait. Un jour, le géant se sentit fatigué, ce qui arrive, même chez les géants. Alors, il se coucha dans le fleuve Saint-Laurent. Il s’assit dans l’eau et appuya sa tête sur l’île d’Anticosti. Puis, doucement, il allongea ses membres : son bras droit trempait dans le Saguenay et sa main clapotait dans le lac Saint-Jean. Avec son bras gauche, il encercla les Appalaches. Son pied droit écrasa une partie de Montréal, sa jambe gauche aplatit une grande quantité d’arbres. Et le géant s’endormit.

Il dormit longtemps, longtemps car ce que fait un géant dure toujours beaucoup plus longtemps que pour les hommes ordinaires. Et ça, les Indiens le savaient. Ils se réunirent donc en grand conseil pour décider de profiter du sommeil du géant. Le temps était venu de mettre à profit tous les plans et les ruses qu’ils élaboraient depuis tant d’années.

Plusieurs tribus partirent vers l’île d’Anticosti. Là, les Indiens attachèrent les cheveux du géant aux grands arbres alentour. D’autres tribus filèrent plus loin pour attacher les cordons des mocassins du géant à tous les rochers qu’ils trouvèrent à proximité. D’autres encore détachèrent son ceinturon et lui firent faire le tour des Appalaches où ils le fixèrent solidement.

Puis, les Indiens coupèrent une grande quantité d’arbres qu’ils empilèrent sur le corps du géant endormi. Petit à petit le géant se retrouva enseveli sous d’énormes tas de troncs et de branches d’arbres qui séchaient au soleil. Et le géant dormait toujours. Quand les Indiens jugèrent que le géant ne pourrait plus jamais se relever, ils retournèrent dans leurs bourgades.

Mais un orage s’éleva et un éclair mit le feu à la forêt. Le géant s’éveilla et s’aperçut qu’il ne pouvait pas bouger. Il essaya de se défaire de ses attaches et des piles de bois qui l’immobilisaient, tandis que l’incendie gagnait du terrain et commençait à atteindre les billots. Sa colère était grande. Il rassembla ses forces et, d’un bond, il cassa ses liens et fit rouler le bois qui l’entravait. Il se sauva à grandes enjambées et décida de se venger en jetant un sort aux gens qui avaient tenté de le tuer. Il se mit à piétiner les flammes et le bois calciné et aussitôt des millions et des millions de petites pépites noires remplirent le ciel enfumé au-dessus du pays. Et instantanément, ces millions de petits points noirs se changèrent en brûlots, tandis que le géant de ses pas gigantesques quittait à tout jamais le pays à moitié dévasté. Mais il avait éteint le feu, et le pays survécut et les brûlots aussi !