Contes étiologiques


Nanabozo vole le feu


Adapté d’un conte amérindien.

Chez plusieurs nations amérindiennes un mythe raconte comment le peuple a pris possession du feu. Pour les Ojiboués, le monde a été créé par Nanabozo, fils d’un esprit céleste et d’une femme de la Terre.

Les Ojiboués ont longtemps occupé un vaste territoire le long de la rivière des Outaouais et autour du lac Supérieur dans ce qui est devenu la province voisine de l’Ontario. Nanabozo avait le pouvoir de se transformer en arbre ou en animal et c’est ainsi qu’il a ramené le feu pour les siens.

Il y a très longtemps le feu n’était pas connu dans le pays de Nanabozo et il avait très froid.

- Nokomis, demanda-t-il à sa grand-mère, n’y a-t-il pas quelque chose dans le monde qui peut nous réchauffer ?

- J’ai entendu dire, répondit la grand-mère, que quelque part dans l’est, près des grandes eaux, vit un vieux sachem* avec ses filles. Ces trois-là ont chaud car ils possèdent une chose appelée le feu. Mais il paraît que cet homme cache le feu de la vue de tous et le conserve jalousement.

- Je vais trouver cet homme, s’écria Nanabozo, et je vais ramener le feu pour nous.

- Je doute que tu réussisses, dit Nokomis. Ces gens surveillent leur feu jour et nuit. Le vieux reste assis toute la journée dans son wigwam à réparer ses filets et à garder le feu. Il ne sort jamais. Seules ses deux filles se promènent dehors.

- J’essaierai quand même, dit Nanabozo.

Nanabozo établit un plan. « Voilà ce que je vais faire, pensa-t-il, je vais transformer l’eau du lac qui voisine le wigwam du sachem* en une glace mince comme l’écorce du bouleau. Ensuite, je vais me changer en petit lapin assez léger pour que je puisse marcher sur cette glace fine. Voilà ce que je vais faire ! »

Nanabozo salua sa grand-mère Nokomis, et partit. Il marcha vers l’est pendant des jours et des jours. Il arriva bientôt devant un lac au bord duquel s’élevait le wigwam du vieux sachem*. Aussitôt, grâce à ce pouvoir qu’il avait, il transforma l’eau du lac en glace fine et se transforma lui-même en un tout jeune lapin.

Nanabozo se cacha pour pouvoir observer le wigwam et attendit. Quand il vit l’une des filles sortir du wigwam pour aller vers le lac, Nanabozo sortit de sa cachette et s’approcha d’elle. Puis il s’arrêta et se mit à grelotter très fort.

- Pauvre petit lapin ! s’écria la jeune fille. Viens te réchauffer.

Et aussitôt elle prit le lapin dans ses mains et l’emporta dans son logis en l’abritant sous sa veste. Lorsqu’elle fut entrée, elle fit voir le jeune lapin à sa sœur. Toutes les deux se mirent à jouer avec lui pour s’amuser.

- Arrêtez ce bruit, fit le père.

- Mais père, on s’amuse avec le lapin.

- Enfants, que vous êtes étourdies ! s’écria le vieux sachem*. Avez-vous oublié l’existence des manitous ? Ce lapin en est peut-être un qui vient voler notre feu. Allez ! renvoyez cette bête où vous l’avez trouvée !

- Voyons, père ! ce petit lapin n’est sûrement pas un manitou. Il est juste un petit animal sans défense, dit la plus jeune des filles. Un manitou ne se changerait pas en un animal si faible.

- Vous refusez de m’écouter ! se fâcha le vieux. Vous oubliez mon grand âge et ma sagesse.

La plus jeune des filles fit semblant de ne pas entendre les mots prononcés par son père. Elle déposa en souriant le petit lapin près du feu pour qu’il se réchauffe.

« Maintenant que ma fourrure est sèche, pensa Nanabozo, je souhaite qu’une étincelle vienne l’enflammer. » Et comme il arrive toujours avec Nanabozo, son voeu se réalisa. Une étincelle s’échappa des bûches enflammées et mit le feu à son pelage. Aussitôt, Nanabozo s’élança dehors et courut à toute vitesse vers le lac.

- Regardez père ! crièrent les filles, il s’enfuit avec le feu !

- Vous voyez bien que j’avais raison de me méfier, dit le vieux en courant derrière l’animal. C’est sûrement un manitou qui est venu voler le feu.

Le vieux sachem* se mit à courir après Nanabozo, mais la glace céda dès ses premiers pas et ses filles eurent beaucoup de mal à le sortir de l’eau. Pendant ce temps, Nanabozo avait couru à perdre haleine et arrivait en vue de son logis.

- Nokomis ! cria-t-il. Vite, Nokomis ! Transfère ce feu à des branches.

Nokomis se précipita vers lui et fit comme il demandait, sans hésiter. Puis Nanabozo réussit à éteindre le feu de son pelage en s’aidant de ses pattes. Content de voir brûler les branches, il s’examina en riant.

- Dorénavant, dit-il à Nokomis, chaque été les lapins auront le pelage comme le mien pour rappeler aux hommes comment le feu est venu jusqu'à eux dans ce pays.

Nanabozo reprit sa forme humaine et, cet hiver-là, lui et Nokomis eurent très chaud.