Contes
étiologiques
Petit Coyote et le
sirop d'érable
Texte de Henriette Major
On sait que les blancs qui vinrent
s'installer en Nouvelle-France au XVIIe siècle furent
enchantés de trouver sur place du sucre et du sirop en provenance
de la sève de l'érable. Ce sont les Indiens qui leur apprirent
comment exploiter cette merveilleuse ressource alimentaire. Depuis lors,
les produits de l'érable, sucre, sirop, tire*, bonbons font les
délices des Québécois surtout à la saison des
sucres, c'est-à-dire au début du mois d'avril quand la sève
se remet à couler dans les érables à sucre.
Il y avait une fois un
petit Indien qui s'appelait Petit Coyote. Par une journée où
la neige était en train de fondre, il se promenait dans le bois
en quête de gibier. Cette année-là, tous les champs
qu'on avait cultivés autour du village n'avaient donné que
peu de légumes : les courges étaient demeurées de
la grosseur des noisettes, les haricots étaient à moitié
vides, les épis de maïs manquaient de grains. On n'en était
qu'à la saison où fond la neige, et déjà les
paniers à provisions étaient presque vides. Le chef du village
s'inquiétait fort, car il restait beaucoup de lunes avant la nouvelle
récolte. Aussi, avait-il ordonné à tous les garçons
en âge de manier un arc et des flèches de partir à
la recherche du gibier.
Petit Coyote n'était pas bien vieux : c'était
même une de ses premières chasses. Mais il s'était
bien promis de rapporter un animal quelconque.
« Qu'est-ce que je vais rapporter ? se demandait
Petit Coyote. Une gélinotte, avec sa robe tacheté ? Une alouette
qui porte une demi-lune sur la gorge ? »
Soudain Petit Coyote aperçut une perdrix :
elle avait mis sa robe blanche pour se confondre avec la neige mais Petit
Coyote avait de bons yeux et il l'aperçut quand même. Il murmura
en lui-même une formule pour l'amadouer :
Perdrix, perdrix
Toi qui voles, toi qui fuis
Viens-t'en par ici
Que je t'attrape, jolie perdrix.
Avec précaution, il sortit une flèche
de son carquois, la plaça sur son arc, visa longuement, et zip !
Mais la perdrix s'était envolée et la flèche de Petit
Coyote s'était plantée dans un de ces arbres dont les feuilles
deviennent rouges dans le mois des feuilles qui tombent.
« Je suis bien triste, se dit Petit Coyote,
c'est bientôt l'heure de rentrer dans la hutte rejoindre mon père
Grop Loup, ma mère Plume Bleue et ma sœur Petite Hermine. Et je
n'ai rien à apporter pour le repas du soir. »
Il s'approcha de l'arbre dont les feuilles deviennent
rouges dans le mois des feuilles qui tombent. Il tira fort sur sa flèche
afin de pouvoir la remettre dans son carquois.
- Oh ! dit-il, il coule de l'eau de cet arbre, à
l'endroit où ma flèche s'est plantée.
Petit Coyote goûta cette eau : elle était
sucrée.
« Hum ! c'est bon » , se dit-il. C'est
alors qu'il eut une idée. Vidant son carquois de ses flèches,
il recueillit le plus qu'il pouvait de cette eau sucrée.
- Si je ne rapporte pas de gibier pour le repas du
soir, je rapporte au moins une eau qui est agréable au goût.
Et voilà Petit Coyote tout heureux sur le
chemin du retour, avec son carquois d'écorce rempli d'eau sucrée.
Il marcha, marcha du côté de la lumière du jour qui
se couche. Quand il arriva dans son village, le repas du soir mijotait
déjà dans la plupart des huttes. Petit Coyote entra dans
sa hutte.
Son père Grop Loup était triste. Sa
mère Plume Bleue était triste, sa sœur Petite Hermine était
triste. La chasse n'avait rien donné ce jour-là et il n'y
avait pas le plus petit bout de viande à mettre dans la marmite.
Plume Bleue avait quand même attisé le feu, et l'eau de la
marmite, qu'elle avait posée sur les pierres brûlantes, chantonnait
doucement. Lorsque Petit Coyote entra dans la hutte, tous les yeux se tournèrent
vers lui : apportait-il quelque oiseau à jeter dans la marmite ?
- Tenez, dit fièrement Petit Coyote en tendant
son carquois, j'ai trouvé de l'eau au bon goût qui coule de
l'arbre dont les feuilles deviennent rouges dans le mois des feuilles qui
tombent.
Son père Grop Loup, qui s'attendait à
un gibier plus consistant, attrape le carquois avec impatience et le jette
sur les pierres brûlantes de l'âtre.
Aussitôt, une bonne odeur de sucre emplit la
cabane. L'eau sucrée se met à pétiller sur les pierres
brûlantes, se transformant en sirop d'érable comme nous le
connaissons aujourd'hui. Étonnés, Grop Loup, Plume Bleue,
Petite Hermine et Petit Coyote recueillent prudemment ce liquide gluant
qui coule sur les pierres.
- Hum ! s'écrient-ils, c'est bon !
- Tu dis que tu as recueilli cette eau à même l'arbre dont
les feuilles deviennent rouges dans le mois des feuilles qui tombent ?
dit Grop Loup à Petit Coyote.
- Mais oui, et je peux te montrer l'endroit.
- Inutile d'aller si loin, dit Grop Loup ; notre hutte est entourée
de ces arbres. Viens avec moi : nous allons voir s'il contiennent aussi
de l'eau qui goûte bon.
Ils sortent dans la forêt, dans la lumière
du jour qui tombent. Grop Loup fait une entaille dans un érable
avec son tomahawk : il fabrique un petit chalumeau à l'aide d'une
branche vidée de sa moelle : il y accroche la marmite familiale.
Ensuite, tout le monde rentre se coucher. Le lendemain
matin, la marmite est remplie de l'eau qui goûte bon ! Plume Bleue
l'apporte dans la hutte et la dépose sur des pierres brûlantes
qu'elle avait fait chauffer dans l'âtre. Peu à peu, l'odeur
de sirop se répand dans la hutte et dans les alentours. Les voisins
s'approchent pour savoir quelle est cette odeur nouvelle si agréable.
On fait circuler les gobelets d'écorce remplis de sirop d'érable.
Tout le monde est joyeux : personne n'a jamais rien goûté
de semblable. Bientôt, tout autour du village, chaque arbre dont
les feuilles deviennent rouges dans le mois des feuilles qui tombent se
trouva muni d'un chalumeau et d'un récipient en écorce pour
recueillir l'eau qui goûte bon. La nouvelle fit le tour des villages
voisins. Toute la forêt se mit à embaumer. Grâce à
cette nouvelle nourriture, les Indiens purent voir venir la lune d'été
sans trop de famine, car le bon sirop les rendait forts et joyeux, et quand
on est fort et joyeux, la chasse est meilleure.
Quand la neige eut presque complètement disparu,
le chef du village proposa qu'on fasse une grande fête en l'honneur
du mets nouveau que Petit Coyote avait fait découvrir aux Indiens.
Lors de cette fête, le chef prit la parole :
- Chaque année, quand le vent du sud enverra
les oies et les canards annoncer au vent du nord sa prochaine venue, quand
l'eau se remettra à couler, quand les montagnes déchireront
leur couverture blanche, les Indiens transperceront les arbres dont les
feuilles deviennent rouges dans le mois des feuilles qui tombent. Ils en
tireront l'eau qui a bon goût, et ils en feront du sirop à
l'aide des pierres brûlantes. Quant à Petit Coyote, je prédis
qu'il deviendra un grand chef et qu'il fera l'honneur de sa tribu.
Le fête dura longtemps. Chaque année,
à la lune de la neige qui fond, les Indiens de cette tribu célébrèrent
la fête du sirop d'érable.
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