Contes étiologiques
Le Premier Été
sur la toundra
Adapté d’un conte amérindien.
Les récits étiologiques
ont pour but d’expliquer l’existence et les caractéristiques actuelles
du monde. Les caractères spécifiques des choses ont un sens
et doivent être déchiffrés comme autant de signes qui
manifestent leur place et leur fonction dans un univers ordonné.
Chez les peuples amérindiens
d’Amérique du Nord toute l’éducation des jeunes était
basée sur les récits mythiques que transmettaient oralement
les anciens. Pour certaines nations, le monde a été créé
par une tortue, pour d’autres par un grand lièvre. Certains récits
n’étaient utilisés qu’en des occasions précises :
à l’occasion d’une chasse ou au moment de cueillir une plante. Au
Québec, où vivent dix nations amérindiennes et la
nation inuit, il y a cinquante-quatre communautés autochtones et
quatorze villages nordiques. Chaque nation autochtone est différente.
Les Attikameks et les Montagnais sont de la même famille linguistique
et culturelle. Les récits issus de leur conception spirituelle du
monde qui les entoure sont considérés comme immuables et
rien ne peut les modifier. Ce récit des oiseaux qui se trouvent
à l’origine de l’alternance des saisons a plusieurs variantes et
des récits très proches ont été racontés
chez les Cris et les Naskapis. Pour les Montagnais, ce récit est
un tahadjimunn, c’est-à-dire une histoire qui raconte des événements
survenus avant même que l’humanité existe dans sa forme actuelle.
Au commencement du monde,
le Grand Nord ne connaissait pas l’été. L’hiver durait toute
l’année.
Un jour, le vent, qui voyageait beaucoup, raconta
aux animaux qu’il avait vu l’été.
- Loin d’ici, vers le sud, disait-il, l’air est doux
et chaud. Le soleil brille dans le ciel. Le sol est couvert de plantes
de toutes sortes.
Les animaux de la toundra furent bien étonnés
d’entendre les paroles du vent. Ils se mirent à penser de plus en
plus souvent à l’été.
- Nous sommes fatigués du froid, de la neige
et de la glace, dirent-ils enfin. Vent voyageur, dis-nous pourquoi l’été
ne vient pas jusqu’ici ?
Mais le vent ne répondait pas.
Finalement, harcelé de questions, le vent
finit par leur révéler son secret :
- Ce sont les fauvettes qui apportent l’été,
dit-il. Un méchant manitou les a attrapées ; il les a ligotées
ensemble et les a suspendues dans son wigwam. Il les surveille sans répit,
de sorte qu’il leur est impossible de s’évader. C’est pour cette
raison qu’elles ne peuvent venir porter l’été jusqu’ici.
Les animaux, indignés, réfléchirent
à ces paroles :
- Il faut trouver le wigwam du méchant manitou
! cria le caribou.
- Allons délivrer les fauvettes ! dit le lièvre.
- J’y vais, déclara Thacho, le pécan
*.
Et il partit aussitôt dans la direction indiquée
par le vent. Thacho marcha plusieurs jours et plusieurs nuits à
travers les grandes étendues couvertes de neige de la toundra. Puis,
il arriva à un endroit où la neige fondue laissait voir des
plaques de terre et de mousse. Il leva la tête et vit le soleil qui
brillait dans le ciel. Un peu plus loin, il vit de grands arbres qui agitaient
leurs branches feuillues et des champs couverts de fleurs. Il entendit
mille chants d’oiseaux tout autour de lui.
« Ce doit être ici le pays de l’été
», pensa Thacho.
Il se mit à chercher le wigwam du méchant
manitou avec l’intention bien arrêtée de relâcher les
fauvettes d’été.
Après avoir franchi des forêts et des
champs de plus en plus verdoyants, il découvrit, à la tombée
du jour, un vaste wigwam décoré de grands dessins rouges.
Sans attendre, Thacho se glissa à l’intérieur et constata
qu’il n’y avait personne sauf... un gros paquet suspendu aux piquets du
toit. Sans perdre un instant, il coupa avec ses dents pointues les liens
qui retenaient les oiseaux captifs. Et dans un grand bruissement d’ailes,
les fauvettes libérées s’envolèrent aussitôt
dans le ciel. Thacho se rendit compte qu’elles se dirigeaient vers le nord.
« Enfin, pensa-t-il, elles s’en vont chez nous
! »
Il se mit à sauter et à gambader de
joie, quand surgit le grand manitou.
Il ne fallut pas longtemps à ce dernier pour
comprendre ce qui s’était passé car les fauvettes dessinaient
un nuage mouvant dans le ciel au-dessus de sa tête et leurs cris
égayaient le silence du soir.
Fou de rage, le manitou s’élança derrière
Thacho qui avait filé sans attendre.
Une poursuite échevelée s’ensuivit.
Thacho courait de toutes ses forces à travers les bois et les champs,
le méchant manitou sur ses talons. Mais tout le monde sait que Thacho
est imbattable à la course. Le manitou, voyant qu’il n’allait pas
le rattraper, sortit une flèche de son carquois et tira.
Il lança plusieurs flèches sans l’atteindre.
Puis, enfin, une de ses flèches transperça la queue de Thacho.
Thacho sauta d’un bond dans le ciel vers le monde d’en haut.
La lune qui avait tout vu décida de garder
Thacho, le brave, avec elle, dans le monde d’en haut. Elle le transforma
sur-le-champ en étoile. Thacho resta donc avec la lune, sa queue
transpercée d’une flèche.
Aujourd’hui, quand les hommes voient briller l’étoile
du nord, ils disent :
- Regardez, c’est le pécan *, Thacho : c’est
lui qui a libéré les fauvettes d’été. C’est
grâce à lui que nous connaissons l’été dans
la toundra.
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