Les contes de l'éveil

LES CONTES DE L'ÉVEIL

Les trois récits que vous venez de lire reposent principalement sur une vision intérieure de la lumière, perçue de façon intuitive, au cours de l'automne 1968, soit à l'âge de vingt ans.1

Cette expérience de la conscience cosmique me révéla de multiples enseignements : la sortie du corps, la sensation de voler, l'union individuelle de l'ego et du Soi2, l'Unité au-delà des dualités (les contraires et les contradictions), la transparence de la matière, le contact avec l'éternité - ou le temps éternel - par-delà le temps relatif de la montre, la Sérinité profonde annihilant toute angoisse de la mort et, par conséquent, la certitude d'être immortel, de plus, l'évidence que l'Amour est, malgré le destin souffrant de l'humanité, à l'origine de la création et de l'évolution de l'Univers, voire même le centre et le but ultime de l'Univers, enfin l'unification au soleil invisible, ce symbole universel du royaume intérieur.

Cette expérience est fondatrice, l'essentiel de sa Vérité étant ressenti à partir de l'intuition -et du cœur (les émotions) -plutôt que de la pâle raison3. Dès lors, le désir de communiquer cette indicible lumière - Ô paradoxe ! - m'habitait de façon irréversible. Comment donc relever ce défi de l'écriture sinon d'une manière symbolique, c'est-à-dire par le pouvoir suggestif de la poésie et du conte ? C'est ainsi que j'entreprit, à l'âge de trente ans, d'écrire trois contes reflétant divers aspects fondamentaux - parmi les plus importants - de cette foudroyante expérience d'Éveil intérieur.

Lors de mon expérience de conscience cosmique, comme je le signalais antérieurement, je suis sorti de mon corps - pour faire un jeu de mots significatif « à la vitesse de la lumière » - et j'ai eu la sensation de voler à l'aide d'ailes transparentes, traversant les murs du petit appartement, les nuages, le soleil ainsi que d'autres planètes...

Il m'apparut donc tout naturel d'utiliser le symbole de l'oiseau car il me semblait, à cette époque, le signe d'une transformation intérieure4...dont le processus avait déjà été amorcé dans ma petite enfance.

En effet, vers l'âge de cinq ans, ne m'arriva-t-il pas, à plusieurs reprises, de m'asseoir sur une colline se trouvant derrière la demeure familiale à Val d'Or, en Abitibi, où les geais bleus venaient, à profusion, me rendre visite ? Que peuvent bien être ces oiseaux ? me demandai-je constamment. Par leur couleur, se définiraient-ils comme les messagers d'une réalité cachée derrière le bleu du ciel ?

Comment ne pas être attaché à cette colline enchantée, au pied de laquelle j'explorais, le cœur léger, les sentiers de lumière dans la forêt habitée de personnages féeriques jaillis de l'Invisible ? Aujourd'hui, je me rends bien compte que cet endroit est le fondement de ma vie présente. Et je crois bien qu'en m'isolant volontairement l'âge de vingt ans durant trois mois dans mon petit appartement situé à Montréal j'y retournais sans en être alors conscient. N'allai-je pas vers la même question :Y aurait-il une réalité cachée derrière le bleu du ciel ?

Ceci étant dit, le lecteur en conviendra, in ne fut pas étonnant que mon premier conte s'intitulât Le Messager du Bleu du Ciel et que l'héroïne reçut la visite d'un geai bleu très particulier pour t'enseigner à contempler le bleu du ciel. Deux ailes de verre ne tarderont à jaillir de son dos. À peine le lecteur aura-t-il tourné quelques pages du conte qu'il apercevra la fillette s'envolant vers l'Un, traversant nuages et soleil...C'est qu'elle a quitté son corps physique...

Et voilà que les deux métamorphoses - celles de l'oiseau et du soleil - ne font plus qu'une, celle de l'oiseau solaire, l'oiseau conduisant l'âme vers sa Vérité, le soleil invisible représentant symboliquement l'archétype du Soi à propos de ce Jung appelait l'inconscient collectif5. Tout à coup, une Paix aussi vaste que l'Univers envahit son cœur enthousiasmé6. Une chute de pépites d'or gagne la coupole de sa tête, puis toute l'étendue de son corps (...) Elle est désormais un oiseau du soleil.

Dans un tel contexte, l'emploi de l'expression métamorphose solaire me semblait - après approfondissement - l'expression adéquate d'une transformation intérieure universelle7.

Mais pourquoi donc Croque-soleil est-elle transformée ? Pourquoi elle plutôt qu'une autre ? Tous ceux qui manifestent de l'Amour au vaste Jardin de l'Univers sont transformés. (...) Oui, les pierres, les plantes, les arbres, les animaux, les humains Et de même que l'Amour est la Vérité de l'univers, de même cette Paix que tu ressens est ta vérité intérieur...On le constate, c'est la bonté même de Croque-soleil qui a occasionné sa métamorphose intérieure. Mais le cycle des transformations de l'Univers visible et invisible ne s'arrête pas là. Le planteur d'arbres bleus ne lui confie-t-il pas : c'est à ton tour d'être une Messagère du Bleu du Ciel car tu peux apporter aux humains la Joie et la Paix de ton soleil intérieur ?

Ainsi se vit le véritable processus d'évolution, l'Esprit pénétrant la matière et accomplissant le Grand Oeuvre de la Lumière dans le visible et l'Invisible. Après ces indications de parcours, quel autre nom aurait mieux convenu à l'héroïne,
Croque-soleil ? Au cours de sa métamorphose, ne croque-t-elle pas le soleil invisible ?

Quand j'étais petit enfant, et même au début de mon adolescence, les représentants du clergé m'enseignaient que le Royaume des Cieux pouvait être atteint seulement après la mort et ce, dépendant strictement de notre conduite morale durant cette unique incarnation ! L'expérience de conscience cosmique me révéla, bien au contraire, que nous pouvons être en contact direct, ici et maintenant, avec l'éternité du Royaume des Cieux ou du Soi (universel).

Loin donc d'être à l'extérieur de nous - après la mort -, le Royaume des Cieux est à l'intérieur de nous durant la vie présente tout comme après la mort8. Comme l'existence de ce Royaume fut découverte au-dedans de moi par l'intermédiaire de l'atteinte du soleil invisible - ou de la métamorphose solaire - le titre de Royaume du Soleil du Dedans me parut évident, l'exploration de la lumière étant infinie9. Et dans les faits, lorsque la Verte Fée Nordique confia à Croque-soleil : Te voici donc habitée par la Joie et la Paix de ton soleil intérieur, n'est-ce pas à l'auteur lui-même qu'elle soufflait ces mots ?

Ceci étant dit, le conte intitulé Le Royaume du Soleil du Dedans comporte deux approches : l'une ésotérique ; l'autre, exotérique. Considérons tout d'abord la première.

Je crois personnellement, pour l'avoir ressenti10, que l'Un est en son fond Lumière et Envol11. Lors de l'expérience de conscience cosmique, n'avons-nous pas la sensation de voler ?

Cependant, lorsque nous possédons la certitude en cette existence - Ô douleur de la séparation de l'Un - de ne plus pouvoir prendre notre envol vers la Lumière, ne ressemblons-nous pas à ces oiseaux à l'aile brisé, fragiles parce que sans consolation aucune, errant sans fin dans un univers qui, somme toute, est celui de la Détresse12 ?

L'approche exotérique, beaucoup plus évidente, révèle l'aventure d'une aile brisé à cause des chasseurs, amenant deux malheurs : rupture avec la famille et l'impossibilité de voler...Blessure à la fois physique et psychologique...Et voilà qu'à la tragédie causée par l'éloignement familial s'ajoute le sentiment d'inusité : je suis un geai bleu inutile...Tu crois que tu ne peux apporter aux humains la joie et la Paix de ton soleil intérieur, souligna le vieil homme.

L'oiseau abandonné rencontrera sur sa route une pierre et un arbre qui sympathiseront avec lui13. Le témoignage de leur peine respective aura pour conséquence positive le début d'une relativisation de son propre malheur. Eh bien, lui renvoie affectueusement le vieil homme, si une petite pierre ainsi qu'un arbre terrassé, qui ne pouvaient pas marcher, ont pu changer leur malheur en bonheur, je ne vois pas pourquoi tu ne pourrais pas en faire autant...toi qui sait marcher...

Et parce que le geai bleu accepte enfin avec courage le malheur de la détresse et veut être heureux, il connaît les différentes étapes de la croissance de la conscience heureuse. Il s'agit, grosso modo, de l'effort et du courage inhérents au défi de la créativité personnelle, de la générosité, du dépassement de sentiment d'être inutile, de la redécouverte de la chaleur humaine, de l'espoir et, pour finir, de la Joie. Maintenant que je chante, mon aile brisée ne m'attriste plus. Oui, je suis aussi heureux que ces geais bleus qui peuvent s'envoler...Car tout autant qu'eux, je peux apporter à mon entourage la Joie et la Paix de mon soleil intérieur.

À la lecture de ce conte, combien d'adultes m'ont confié - comme en un souffle du cœur -que ce drame convient non seulement à tous les âges de la vie mais encore aux différents genres d'ailes brisées...Et ils ont bien raison ! Sans compter que plusieurs d'entre eux - et très souvent les représentants du corps professoral - ne pouvaient s'empêcher de faire allusion au nombre grandissant d'enfants de familles déchirées, monoparentales ou non14.

1 Mon récent livre intitulé Une expérience vécue de conscience cosmique traite de cette expérience qui, malgré sa singularité, n'est pas nécessairement unique. J'y définis la conscience cosmique comme une fusion de la conscience et du cosmos dans un climat de Sérénité lumineuse, le mot « cosmos » signifiant à la fois le monde visible et le monde invisible, c'est à dire Dieu. Quant au fameux docteur canadien, Richard Maurice Bucke, l'un des chefs de file en psychiatrie de la fin du dix-neuvième siècle, il fut touché en 1873 par une expérience similaire, soit à l'âge de trente-six ans. Il décida, par la suite, d'analyser d'autres expérimentateurs. Son livre indispensable en la matière Cosmic consciousness signale, chez tous, l'importance de feu, l'intensité de la joie, le sentiment d'être sauvé, la certitude de l'immortalité et, par conséquent, l'anéantissement de la peur de la mort. Pierre Weil, docteur en psychologie, cofondateur de l'Université holistique internationale et président de la cité de la paix à Brasilis, énumère dans son très beau livre L'homme sans frontières (qu'il pensa intituler, dans un premier temps, La conscience cosmique) une multitude de termes utilisés pour désigner ce type d'expérience : expérience transpersonnelle, Royaume des Cieux, extase mystique, samadhi, peak experience (Maslow), satori, nirvana, état de Bouddha, illumination, état de grâce, état de béatitude, etc. Certains auteurs, affirme-t-il, les considèrent comme synonymes tandis que d'autres pensent qu'ils expriment des niveaux de conscience différents.
2 Le Soi, ce symbole qui embrasse tout l'inconscient (L'homme et se symboles, Jung). Le Soi est, dans la psychologie jungienne, l'archétype central, il cristallise la totalité...(Jung, André Nataf).
3 Faisant référence au célèbre Je pense donc je suis de Descartes, Michel de Unamuno déclare dans Le sentiment tragique de la vie que le savoir émanant de la raison est connaissance et non vie (...) Descartes ne pouvait-il dire : « je sens, donc je suis ou je désire, donc je suis ? »Et ce sentir n'est-ce pas se sentir « impérissable » ? Sentiment d'immortalité, donc, découlant de la vision intérieure de la lumière...
4 Un oiseau invisible, soudainement apparu derrière moi, vint exploser dans mon plexus solaire. Soulevé de l'intérieur par un souffle divin --- un spasme de L'être --- j'avais l'impression de posséder des ailes transparentes. ( Une expérience vécue de conscience cosmique, Cajetan Larochelle).
5 L'archétype est le principe unificateur de l'inconscient collectif ( « l'Incoscient collectif, en tant que totalité de tous les archétypes, est le sédiment de toute expérience vécue par l'humanité depuis ses débuts les plus reculés » écrit J »Jacobi) (Jung, André, Nataf). Ce qui importe, à toute les époques, c'est l'expérience d'une image-symbole-archétypale, intérieure ... car l'effet de l'archétype se manifeste au travers d'images. C'est ainsi que dans de nombreuses sociétés, les représentations du soleil expriment l'expérience religieuse ineffable de l'homme ... une illumination de l'inconscient, très différente d'un éclaircissement conscient (L'homme et ses symboles, Jung)
6 Employé ici à juste titre, le mot enthousiasme (de dedans, adieu, souffle) ne signifie-t-il pas textuellement être dans le souffle de Dieu ?
7 Quant à moi, il me paraissait approprié d'affirmer que je venais de vivre une métamorphose intérieure, la « métamorphose solaire », le mot « métamorphose » ne faisant pas spécifiquement référence aux conversations exercés par l'Église et le mot « solaire » étant directement lié à l'atteinte du « soleil invisible ». (...) La « conversion » préconisée par le Christ lui-même ne veut-elle pas dire « changement intérieur » ? (Une expérience vécue de conscience cosmique, Cajetan Larochelle). Karlfried Graf Dürckheim, dans La percée de l'Être, se montre catégorique en une formule on ne peut plus simple: La percée vers cette « expérience » est le tournant de la vie humaine, le début de la« Metanoïa» ou Grande Conversion. Quant à Marc de Smedt, il nous confie, outré, dans Éloge du silence :Quand je pense ainsi qu'on a traduit « Metanoïa » par « convertissez-vous », puis, bien pire, par « faites pénitence »,quand ce terme signifie que le « nous », l'esprit aille au-delà de lui-même ! Quelle différence, qui a marqué de son fer des générations de pauvres croyants sous le joug ! « Transformez-vous », « Entrez en métamorphose », a un autre parfum...tellement plus proche de nous. Cette mutation est réalisable en notre vie actuelle...
8 J'apprendrais plus tard qu'il n'y a là aucune contradiction avec le Christ qui a dit : Le Royaume de Dieu est au dedans de vous. (Évangile selon Saint-Luc, (17,21).
9 Parce que mon inconscient avait réussi à se rendre au rendez-vous du fameux « soleil invisible », je savais que j'étais dans ce qu'on nomme le « royaume du soleil »...ou plutôt, pour être précis, dans le royaume du soleil de dedans...Cette appellation contrôlée représentait, dans ma conscience, ce sentier de l'exploration d'un plus être de lumière : le royaume du soleil du dedans...celui de la Sérénité éternelle.
10 Toujours dans le contexte du savoir émanant du sentiment (sentio) et de la raison (ratio), c'est sur ces connaissances du cœur et de l'instinct, prétend Maurice Blanchot, qu'il faut que la raison s'appuie et qu'elle y fonde tout son discours.
11 Curieusement, light en anglais, ne veut-il pas dire à la fois Lumière et léger ? La Légèreté n'est-elle pas le propre de l'envol ? Light pourrait donc signifier, par extension, Lumière et envol...Parlant de l'être, Maurice Blanchot affirme, pour sa part, qu'il est déjà dans son fond le spasme de l'être et (...) rapace besoin d'envol.
12 Le sentiment tragique de la vie, précise Miguel de Unamuno, en est un de faim de Dieu, de manque de Dieu.
13 Comme l'enfant moderne, qui se sent souvent isolé, le héros de contes de fées poursuit parfois sa route dans la solitude ; il est aidé par les choses primitives avec lesquelles il est en contact : un arbre, un animal, la nature, toutes choses dont l'enfant se sent plus proche que ne l'est l'adulte. Le sort de ces héros persuade l'enfant que, comme eux, il peut se sentir abandonné dans le monde comme hors-la-loi, il peut tâtonner dans l'obscurité, mais que, comme eux, au cours de sa vie, il sera guidé pas à pas et recevra toute l'aide dont il pourra avoir besoin. Aujourd'hui, plus encore que par le passé, l'enfant a besoin d'être rassuré par l'image d'un être qui, malgré son isolement, est capable d'établir des relations significatives et riches en récompenses avec le monde qui l'entoure (Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim).
14 Les enfants, de nos jours, ne grandissent plus dans la sécurité d'une famille extensive, ni dans des communautés bien intégrées. Il est donc important, beaucoup plus qu'à l'époque où les contes ont été inventés, de procurer à l'enfant moderne des images de héros qui doivent s'aventurer tous seuls dans le monde et qui, sans savoir au départ comment leurs aventures finiront, découvrent des endroits où ils se sentent en sécurité, tout en suivant le droit chemin avec une confiance solide (Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim).