Jos Montferrand
D'après un récit de
Benjamin Sulte.
Le Québec a connu beaucoup
d'hommes forts au cours de son histoire. On peut citer les noms de Louis
Cyr, de Victor Delamarre mais c'est sans conteste celui de Jos Montferrand
qui est le plus connu.
Jos Montferrand vécut au
début du XIXe siècle à Montréal.
À cette époque, les Anglais, qui étaient les nouveaux
maîtres du pays, provoquaient sans cesse les Canadiens français
et de multiples bagarres en résultaient Jos Montferrand, un colosse,
acquit sa réputation de redresseur de torts grâce à
son adresse et à ses muscles mais aussi parce qu'il ne pouvait supporter
qu'un Anglais méprisât ou insultât l'un des siens.
Benjamin Sulte a écrit son
histoire et Gilles Vigneault en a fait le héros d'une de ses chansons.
Dans le quartier Saint-Laurent
où naquit Jos Montferrand, à Montréal en 1802, on
trouvait beaucoup de gymnases et de tavernes ; tous les hommes forts de
passage à Montréal s'y rendaient. La boxe était très
à la mode. Les militaires, les gentilshommes, les badauds et même
les dames assistaient à des joutes et exhibitions de force physique.
Joseph, tout jeune homme, ne manquait pas d'y être.
Un jour, deux boxeurs anglais se battaient sur le
Champ-de-Mars. Le vainqueur fut proclamé champion du Canada.
Aussitôt les organisateurs lancèrent
un défi à la foule :
- Qui veut disputer le titre au champion du Canada
? Qu'il s'avance !
Jos Montferrand, qui n'avait que seize ans et était
déjà un colosse, s'élança dans le cercle et
chanta :
- Co-co-ri-co !
C'est ainsi qu'il fit savoir qu'il relevait le défi.
Ce qui le motivait plus que tout c'était de prouver qu'un Canadien
était meilleur qu'un Anglais. Les gens du quartier battirent des
mains quand il se mit en place ; et ils ne furent pas déçus.
Jos Montferrand ne porta qu'un seul coup de poing mais si bien appliqué
qu'il battit l'Anglais. Le lendemain son nom était sur toutes les
lèvres.
Ainsi commença la renommée de Jos Montferrand.
Il se battit maintes et maintes fois dans des combats singuliers et gagna.
Mais Jos Montferrand ne restait pas longtemps en ville.
Il passa une bonne partie de sa vie au service des
marchands de bois et de fourrures. À cette époque dans l'Outaouais,
des bûcherons coupaient des arbres qui étaient ensuite enchaînés
entiers l'un à l'autre et qui formaient ce que l'on appelait des
« cages ». Ces immenses radeaux de troncs étaient flottés
par des hommes robustes, les « cageux », sur les rivières
en direction des scieries ou des ports où ils étaient acheminés
surtout vers l'Angleterre. Contremaître de chantier, puis guide de
cage,
Jos Montferrand s'efforça toute sa vie de faire régner l'ordre,
ce qui n'était pas une mince tâche.
Car dans ces forêts sauvages, des luttes féroces
se déclaraient à tout moment. Soit pour garder le contrôle
d'un territoire, soit tout simplement parce que les Anglais et les Irlandais
détestaient les Canadiens de langue française et les provoquaient
sans cesse. Comme les bûcherons et les voyageurs n'étaient
pas des enfants de choeur, il y avait de perpétuelles bagarres.
Et c'étaient surtout les « chaîneurs », ennemis
jurés des Canadiens français qui travaillaient avec les arpenteurs
du gouvernement, qui faisaient régner la terreur. Leurs méfaits
dans la région ne se comptaient plus.
Jos Montferrand allait d'un chantier à l'autre
pour mater les fiers-à-bras qui terrorisaient tout le monde. Il
se battait aux poings et en derniers recours, il se servait de son pied
dévastateur qui lui donnait invariablement la victoire sur n'importe
quel adversaire.
Clac ! Un coup de savate et l'opposant ne tenait plus debout !
Son plus grand coup d'éclat eut lieu sur le
pont qui enjambe le gouffre de la Chaudière, entre la ville de Hull
et Bytown, qui est aujourd'hui devenue la ville d'Ottawa.
Tout le monde connaissait la force de Jos Montferrand
et redoutait cette adresse qui lui permettait d'assommer quelqu'un d'un
coup de pied. Mais cela ne suffisait pas à ralentir l'ardeur des
matamores. Jos en avait maté plusieurs et ceux-ci attendaient leur
revanche. Un jour, où ils savaient que Jos passerait le pont étroit
qui reliait les deux villes, des « chaîneurs » se regroupèrent
et l'attendirent, cachés sur la berge accidentée. Ils étaient
une centaine. À peine s'engagea-t-il sur le pont, qu'une douzaine
de silhouettes noires armées de gourdins bondirent en poussant des
cris. Jos s'immobilisa et se rendit compte qu'il était dans un guet-apens.
À l'autre bout du pont, la meute grossissait. Jos Montferrand sentit
monter en lui une colère froide.
Il fit quelques enjambées et se trouva face
à face avec ses premiers agresseurs. Ses poings voltigèrent
et quatre ou cinq « chaîneurs » s'écroulèrent.
Sur les deux rives, les curieux accouraient pour
voir le combat d'un seul homme contre cent. Ils connaissaient presque tous
Montferrand mais ils ne donnaient pas cher de sa peau devant tant d'adversaires.
Mais Montferrand se déchaîna. Son pied
meurtrier chaussé de lourdes bottes cloutées décrivit
un arc et faucha au passage crânes, mâchoires et membres de
ceux qui se trouvaient dans sa trajectoire. Montferrand abattait méthodiquement
ses agresseurs, s'arrêtant pour souffler, reculant pour mieux prendre
son élan. Bing ! Bang ! Clac !Les coups pleuvaient. Puis, tout à
coup, il saisit les chevilles de l'un d'eux et le fit tournoyer à
la façon d'un fermier qui fauche d'un mouvement circulaire. Bing!
Bang! Clac! À l'aide de cette massue humaine, il envoya culbuter
dans le torrent les « chaîneurs » encore debout : il
tombaient du pont en hurlant, d'autres s'écroulaient à ses
pieds.
La panique gagna les rangs des attaquants qui ne
cherchèrent plus qu'à atteindre la rive. Jos Montferrand
restait maître du pont. Seul contre cent, il avait déjoué
ses adversaires. La foule l'acclama. Et cette prouesse fit le tour du pays.
Jos Montferrand n'avait pas encore trente ans et il était célèbre.
Il se battit encore souvent, toujours avec le souci
de prouver à la face du monde que les gens de sa race, les Canadiens
de langue française, n'allaient pas supporter les affronts. Bien
sûr, il avait les muscles et la force pour le dire ! Dans son quartier
de Montréal, une auberge a gardé longtemps sa signature.
C'est que Jos, d'un vigoureux coup de jarret, avait un jour marqué
de l'empreinte de sa semelle cloutée le plafond de la salle commune.
L'auberge aussi devint célèbre car on vint de partout voir
cette curiosité.
Ainsi vécut Jos Montferrand, pugiliste au
cœur sensible et joueur de savate inégalé.
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