La courte Liaison
de
Wapush et Ouaouaron
Cette histoire se passe au temps
très ancien où les animaux parlaient entre eux. Je vous la
raconte comme me l’a racontée mon grand-père.
Un jour, un ouaouaron
vert et un levraut brun esseulés décident de s’unir.
- La vie en forêt, en solitaire, n’est pas
toujours facile, se disaient-ils. À deux, nous serons un peu plus
chanceux.
Hélas ! Qui peut prédire ce que nous
réserve l’avenir ?
La sécheresse ! Oui ! La traîtresse,
celle qui tarit les ruisseaux, puis les lacs, qui crevasse la face de la
terre, qui flétrit les feuilles dans les arbres et les fleurs dans
les grands champs, s’installa pour de bon dans la région.
Pas une seule goutte de pluie pour humecter le plus
petit recoin du pays. Partout, c’était la détresse : il n’y
avait que le sable sec et poussiéreux, de longues herbes jaunies,
des feuilles roussies, un vrai désert, où tout prenait vite
couleur de pierre.
- Ah ! mon ami, j’ai tellement besoin d’eau, coasse
la grenouille, un matin sec comme les autres. Et j’ai si soif ! Regarde
mon teint pâle, jadis si verdoyant. Je n’ai pas fermé l’œil
de la nuit, de jour en jour je dépéris. Quelle triste vie,
crois-moi ami, je ride, je crève, je n’en ai plus pour longtemps...
- Hop ! Hop !
- Je t’arrête, ma belle amie, couine le levraut,
aujourd’hui tu peux rester à l’ombre dans ton lit. Ne bouge pas
d’un poil. Tu peux compter sur Wapush, ton meilleur ami, c’est moi qui
te le dis. Je vais sans tarder me lancer corps et âme à la
recherche d’un ruisseau. J’en trouverai un et un bien beau, foi de levraut.
Ouaouaron est impressionnée par cette pluie
de belles paroles.
- Quel discours ! Droit et sans détour !
Le lièvre, à son habitude, déguerpit
en zigzaguant. Un petit saut à gauche, un petit saut à droite,
deux autres à hue, trois ou quatre autres à dia.
Pof ! Pof ! Trottine par-ci.
Pouf ! Pouf ! Butine par-là.
Oups ! Que se passe-t-il ? Le lièvre fait une pause.
Snif ! Snif ! Renifle l’air de ses narines roses
et repart de plus belle en cabriolant.
Pof ! Pof ! Pouf ! Pouf !
Tout d’un coup, un cri sec et militaire fend l’air
:
- Halte-là, levraut, on ne passe pas !
- Ha ! Ha ! Ha ! Mais voyons donc ! Dors-tu encore,
tête de linotte ? Bouge un peu que je passe, marmotte !
- Tu n’as rien compris, grandes oreilles ? Es-tu
sourd ou bien quoi ? Ici, c’est chez bibi, O.K. ? J'y suis, j’y reste,
et toi, grouille tes fesses, sinon...
- Bon, bon, ça va, ça va... Ne t’offusque
pas, mon vieux, j’ai compris. A-t-on déjà vu ?
Et le levraut, le visage renfrogné, les oreilles
cassées, fait un bond de côté, contourne le siffleux
et poursuit sa route d’un air piteux.
- Baf... ! se dit-il, en se roulant dans le sable.
Quel niaiseux que ce siffleux. Et puis après... ?
Il flaire les herbes sèches, mmmmmmm, éternue,
ATCHOUM !, grignote quelques racines.
Tiens, tiens, tiens, une petite fourmi. Comme elle
est lourdement chargée !
Il la suit du bout du nez, curieux, jusqu'à
ce qu’elle disparaisse dans un des trous de sa forteresse.
Cela lui donne une idée. Pas plus bête,
il va creuser.
À la brunante, la grenouille, exaspérée,
bouffie par la fièvre, n’en pouvant plus d’attendre, son compère,
part à sa recherche, morte d’inquiétude.
Quatre sauts plus loin, elle s’arrête net,
intriguée par un ronflement... qui lui est familier.
Zzzzzzzzzzzzzzz...........RRRRROUEU........... zzzzzzzzzzz........... ROOOOOUUUUURRRRR...........
- Mais qu’est-ce que je vois ?
Wapush est là, à deux pas d’elle, roulé
en boule dans le terrier qu’il a creusé.
- Ah ! Ah ! Mais... c’est mon ami ? Bien à
l’abri.
L’insouciant s’est endormi !
Le pic-bois, qui besogne par là, voit d’en
haut la terrible scène. Depuis, il la raconte à qui veut
l’entendre avec frénésie.
- Ah ! Toc ! Toc ! Toc ! Sa colère fut sans
égale. Le oua... oua... rrrron sautait de plus en plus haut, t-t-t-traitant
le levraut de t-t-t-tous les maux, « s-s-s-sans cœur, t-t-t-tu m’as
abandonnée, voy-y-y-youuuu ! », et au p-p-passage, elle le
rouait d-d-d-de coups. Ah ! Toc ! Toc ! Toc !
C’est bien connu, un lièvre pris en défaut
encaisse sans dire un mot.
Il comprend que, dans les circonstances, il vaut
mieux pour lui garder le silence et laisser passer l’orage.
- Demain, j’irai moi-même chercher de l’eau
! finit par crier Ouaouaron, la gorge sèche, la voix rauque, épuisée
par tant de rage. Ce sera à ton tour, Wapush, de m’espérer.
Ce qui est dit ce soir-là avec tant de rage,
est fait dès le lendemain matin avec grand courage.
La grenouille, en personne sage, part tôt,
avant que le damné soleil ne soit grimpé trop haut dans le
ciel.
Se fiant à son flair, elle progresse à
grands coups de jarrets. Sa route est difficile, mais elle est toute tracée.
Elle persévère, allant toujours tout droit. Plomb ! Plomb
! Plomb !
À midi, la pauvre n’a encore rien trouvé.
Sa peau sèche est toute craquelée, ses yeux déshydratés
lui font souffrir le martyre. Sa langue épaissit, sa vue se brouille.
Elle sent de longs serpents luisants se glisser sous elle en sifflant ssssssss.
Enfin, Ouaouaron est récompensée ;
elle a trouvé la mare d’eau tant recherchée. Elle s’y engouffre
entièrement pour se rafraîchir et boire à grandes gorgées.
- Ah ! Je croyais tout perdu...
Allongée à fleur d’eau sur une roche
plate, elle se laisse ballotter par les vagues, l’esprit dans les vapeurs,
le cœur dans les nuages, frémissante, ondulant comme les nénuphars
autour d’elle, effleurée par l’air doux.
- Oh ! mon doux ! Mon doux ! Mon doux ! répète
la grenouille à l’ombre des longues quenouilles.
Ce jour-là, Wapush et Ouaouaron verte se sont
à tout jamais séparés. C’en était fait de leur
pacte d’amitié, lui préférant à toute chose
son terrier, elle jura de toujours rester bien au frais. Et c’est depuis
ce temps-là que les grenouilles habitent les marais.
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