Légendes et traditions autochtones

Moïse le trappeur et
ses chiens-loups



Moïse, fils d'une longue lignée de chasseurs réputés, est lui-même trappeur. Il passe une grande partie de l'année en forêt, sur son territoire de chasse. Quand il n'y est pas, il en rêve.

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Moïse enfant vivait dans un clan composé de ses parents, le Grand Moïse et Pinamen la femme forte, des oncles et des tantes, des frères, des sœurs, des cousins et des cousines. En tout, une bonne vingtaine de personnes.

Le clan des Mentou, le Grand Moïse en proue, quittait le village à l'automne, aux premières gelées juste après l'été indien. Il n'y revenait qu'au printemps, dès les lacs calés. Leurs longs canots chargés à ras bords de ballots de castors, loutres, renards, rats musqués, de viandes fraîches d'orignal, de canard, d'outarde.

Pendant les longues soirées d'été, tournant autour des feux de camp, cheveux au vent, bras au ciel, des reflets de soleil levant dans les yeux, les Mentou racontaient de fabuleuses histoires de chasse, des pêches miraculeuses, d'incroyables expéditions dans la neige, la glace, les tempêtes où hommes, femmes, enfants devenaient tour à tour des héros, des géants, des étoiles filantes... C'était des nomades!

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Aujourd'hui, seuls Moïse, et quelques-uns de ses cousins continuent à trapper. Le Grand Moïse et Pinamen, vieux, restent au village toute l'année. De leurs mains toujours habiles, ils confectionnent de beaux paniers en écorce de bouleau, des mocassins richement brodés, des mitaines perlées... qu'ils donnent en cadeau à leurs enfants et petits-enfants.

La vie a bien changé!

Aimée, la compagne de Moïse, enseigne la langue algonquine en maternelle, Elle est enceinte. Aimée adore la vie en forêt mais son métier la passionne...

- Ah ! Si seulement j'avais plus de vacances, dit-elle souvent en riant à Moïse. Je t'accompagnerais plus souvent.

Elle profite de toutes les occasions pour « monter dans le bois1 » avec Mathieu, leur fils de douze ans. Ils y vont à Noël, à Pâques, au cours de la semaine de relâche et l'été. Mais ce n'est jamais assez pour Mathieu.

- Moïse, cette fois-ci je reste avec toi et les chiens-loups. Je vais t'aider à trapper.
Aimée et Moïse savent trop bien que c'est impossible.

- Pour l'instant Mathieu, tu dois aller à l'école. Plus tard, si tu veux devenir trappeur, tant mieux !

Et Moïse enchaîne.

- Tu viendras passer toutes tes vacances avec nous. Nous t'enseignerons les secrets de la vie en forêt.

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Dès son retour au printemps, Moïse accompagne Aimée dans sa classe. Il apporte les produits de sa chasse : de belles fourrures douces et soyeuses.

Le trappeur est toujours flanqué de ses inséparables chiens-loups. Deux bêtes énormes, racées, impressionnantes, au poil long et dru, noir luisant sur le dos, gris et blanc sur les flancs, les oreilles pointues taillées au couteau, dressées pour tout capter. Des pics d'ivoire dans une longue gueule rouge...

Les chiens-loups se couchent, en apparence immobiles aux pieds de Moïse. Mais leurs yeux mi-clos pétillent. Ils sont prêts à bondir.

Pourquoi les appelles-tu des chiens-loups ? lui demande-t-on à coup sûr.

Moïse se lève, s'avance au milieu du groupe, s'anime. Il leur raconte alors l'incroyable histoire de ses deux puissantes bêtes.

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- Ça s'est passé à la fin du mois du juin il y a quatre ans. Je vous le dis, vrai comme je suis là, j'ai bien failli perdre la vie.

- Oh !

- Je faisais la tournée de mon territoire pour ramasser de vieux pièges usés, repérer de nouvelles cabanes à castors, des terriers de renards... J'étais en haut de la Nipishish, la petite rivière. Elle coupe une partie de mon territoire de chasse.

Après une dure journée au gros soleil à environner, à marcher, à explorer, j'accoste mon canot sur une pointe rocheuse. Je connais les lieux par cœur. J'ai un petit camp en bois rond dans la montagne, à une vingtaine de minutes de marche. Je le fréquente surtout l'hiver quand je chasse l'orignal. Parfois aussi l'été quand les tournées d'inspection m'amènent par là. J'arrive fatigué, j'avale un morceau de poisson fumé, une tranche de bannik, une tasse de thé chaud. Je jette un dernier coup d'œil dehors, Les trappeurs font tous cela avant de se coucher pour savoir quel temps il fera le lendemain.

Moi, je ne pourrais pas m'endormir sans avoir d'abord regardé le ciel. C'est inquiétant. Le temps est difficile à saisir : chaud, sec, pesant, ni lune, ni étoiles. La forêt est étrangement épaisse, fermée, muette. Un petit vent se lève à l'est... Je n'ai jamais aimé le vent. Croyez-moi, le vent est un malfaisant. Il n'annonce jamais rien de bon !

Je me souviens d'avoir mal dormi, harcelé par un cauchemar qui me réveillait sans cesse.

Moïse gesticule, grimace. C'est un géant au milieu des enfants. Il lève les bras, prend une voix grave.

- Tout à coup, je sursaute comme si un gros taon m'avait piqué sur une fesse. J'ai chaud. Je suis trempé jusqu'aux os. En sueur... J'entends le diable de vent vvvvv... un vent qui rugit dans la tête chevelue des pins et des sapins. Il se plaint, rafale... vvvvv... de plus en plus insistant, par vagues, comme une marée montante. Un vent anormal.

Hum ! Hum ! J'ai des aiguilles qui chatouillent les narines, picotent au fond de la gorge. Hum ! Hum ! Qu'est-ce qui se passe ? que je me demande. Je sens, renifle, inspire... J'étouffe !

Là, mes amis, j'ai dans un éclair tout saisi. Ça m'est tombé sur les sens en coup de foudre. Mais je n'en connais pas l'ampleur. Non ! Non ! Ce n'est pas possible. En enfilant mon pantalon et ma chemise, je me précipite dehors. La catastrophe ! C'est l'enfer sur mon territoire. Je suis au milieu d'une immense fournaise qui gronde comme les chutes Niagara.

C'est le Feu ! Un feu de forêt qui fait rage, poussé par un vent fou qui virevolte, tourbillonne.

Je n'ai pas sitôt tourné le dos... Pouf ! Mon vieux camp flambe comme une boite d'allumettes. Ma seule chance, c'est de prendre mes jambes à mon cou et de dévaler la pente à toute épouvante vers la Nipishish2. Je suis enveloppé d'une épaisse fumée collante... Je cherche de l'air. Les yeux me chauffent, pleurent. C'est assourdissant. Le feu fait un vacarme épouvantable.

Il pète en feu d'artifice. JJJJ... Il gémit comme une forge ou les hauts fourneaux d'une fonderie chauffés à blanc. Le vent siffle. Les arbres craquent, s'écrasent avec fracas, me barrent la route. Le sentier s'est envolé en fumée.

Je ne suis pas seul prisonnier du brasier. Apeurés, des orignaux, des loups, des renards, des mouffettes fuient. Ils vont d'instinct vers la rivière, que je me dis. Ils connaissent les meilleurs chemins. En danger, il n'y a plus d'animosité. Chacun fonce pour sa vie. Je les suis.

Le feu est omniprésent. Il tombe du ciel, jaillit de la terre, bondit dans toutes les directions. De grandes écorces enflammées volent dans les airs comme de gros corbeaux aux ailes de feu. De vieux et nobles résineux, secs, branchus, transformés en torches crépitent et pétillent comme d'immenses feux de Bengale.

Je cours pieds nus, zigzaguant, tête baissée, la bouche masquée de la queue de ma chemise pour filtrer l'air. Le sol est torride, les roches brûlantes, l'air m'irrite la gorge. Des tisons ardents flottent en suspension. On croirait que la malédiction vient d'en haut tant il pleut d'étincelles. Elles me pincent les épaules, le dos et piquent ma chemise... Je tape de mon mieux pour qu'elle ne prenne feu.

Je sais être tombé à plusieurs reprises. Chaque fois, je me suis relevé. J'ai repris ma course effrénée.

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1. ... ou « prendre le bois ».
2. Petite rivière.