Légendes et traditions autochtones

Les quatre frères Vent


Il y eut un temps, oh ! il y a bien une éternité de cela, les animaux et les humains de la terre étaient si intimement liés les uns aux autres, qu'on ne les différenciait pour ainsi dire pas. Les femmes, les ours, les hommes, les perdrix, les enfants, les renards, les loups, les saumons s'entendaient à merveille et conversaient à qui mieux mieux.

Leur amitié était si solide, leur vie quotidienne si enlacée, qu'il arrivait qu'un grand pélican adopte spontanément un enfant orphelin et qu'il l'élève à sa manière, sans distinction, parmi ses propres petits, dans son immense nid rond construit dans les hautes herbes.

Parfois, c'était une grand-maman qui, le soir, endormait, en fredonnant une berceuse, un renardeau égaré, un louveteau sans foyer, une portée de levrauts dont les parents étaient partis pour quelques jours.

Il y avait bien de petites querelles qui éclataient de temps en temps, mais dans la forêt, cela était vite oublié.

Hommes et bêtes partageaient tout : territoire, nourriture, habitation ; et les mêmes craintes les faisaient tressaillir.

Il arrivait qu'un grizzli mette sa force au service d'un homme pour l'aider à déplacer un gros billot ou une lourde pierre ; qu'un grand-duc, grâce à ses yeux, guide une famille, le soir, à travers la nuit et la forêt ; ou bien qu'une gélinotte huppée avertisse la communauté d'un danger imminent comme un feu de forêt. En retour, une femme pansait une blessure, enchâssait une patte ou une aile casée ; un homme remettait à l'eau un omble de l'Arctique emprisonné par mégarde dans les rochers de la rive à marée basse.

Il n'était pas rare, à la brunante, d'apercevoir de nombreux humains et animaux, jeunes et vieux, rassemblés autour d'un feu de camp, parler de tout et de rien, de la pluie et du beau temps, pour le simple plaisir d'être ensemble, de s'entretenir et de discourir. Ils adoraient tous parler et s'y adonnaient avec verve et grand cœur. Si l'un, piqué par les propos un peu vifs d'un confrère ou d'un consoeur élevait la voix en signe de protestation, un autre s'empressait aussitôt de tempérer par des propos conciliants et le calme revenait.

C'était presque le paradis sur terre.

- Il fera beau et chaud demain, glapit doucement un vieil aigle à tête blanche du bout de son accent pointu. En venant vous trouver, j'ai vu le soleil se coucher dans de légers draps roses.

L'aigle ne se trompait jamais car avec ses yeux perçants, ce qu'il avait vu, il l'avait bien vu ! Tous le savaient, personne ne le contredisait.

- Vous avez bien raison, brame une chevrette. Ce soir, le vent de l'est s'est fait doux et j'ai senti sa caresse sur les longs poils de mes joues. Ce sera beau demain, c'est certain !

- Oui ! C'est bon signe. Regardez la flamme monter haute et droite dans l'air sec, sans faire de fumée, dit un homme. Je suis de votre avis moi aussi. Oh ! Une belle journée en perspective...

- Tant mieux ! Tant mieux ! grogne l'ours noir de sa voix bourrue, mais sympathique, en se frottant les mains de satisfaction. J'ai l'intention d'aller me baigner pas plus tard que demain. Ca fait bien mon affaire qu'il fasse chaud.

- Ouais... hum... mais vous savez, moi je crois que quelques petites gouttes de pluie par-ci, par-là, ne feraient pas de tort à personne, gémit prudemment le castor entre ses longues dents, hésitant et tapant légèrement de la queue sur le sol poussiéreux soulevant de petits nuages gris.

Tap ! Tap ! Tap !

Tous constatent alors que castor est nerveux sans bon sens. C'était contre ses habitudes, lui toujours si calme... Que se passait-il donc ?

- Ouais... Il n'y a pas eu de pluie depuis... depuis... Attendez que je compte...

- Depuis autant de lunes que j'ai de cercles autour de ma longue queue, s'écria le raton laveur exubérant, toujours plus vif que ses confrères. Il se dressa le derrière face au feu, la queue en panache : tous remarquèrent qu'effectivement, il n'y avait pas eu la plus petite ondée depuis fort longtemps !

- Ouais... Vous savez sans doute mes bons amis que le niveau de l'eau dans ma rivière n'est pas descendu aussi bas de mémoire de castor. Je suis à court d'eau, je vous avoue bien humblement, que ça m'inquiète un peu. Pour tout vous dire et sans vouloir vous apeurer inutilement, je crains la sécheresse. Oui... la sécheresse !

- Les incendies de forêt sont toujours à redouter dans de telles conditions, croasse le corbeau noir en déployant ses grandes ailes couleur de suie.

Tous frissonnent à cette remarque. Les bêtes et les humains avaient cet ennemi commun ; le terrible feu qui poussé dans le dos par son impitoyable compagnon, le vent, ravage les forêts sèches, souille de cendre l'eau des lacs et des rivières, détruit sans discernement maisons, nids, terriers, cabanes, asphyxie sans pitié ceux et celles qui n'ont pu fuir à temps.

Chacun avait encore en mémoire des sauve-qui-peut, où les fuyards, prisonniers de la fumée qui obscurcit la vue, brûle les yeux, court sous une pluie de tisons rouges qui allument des brasiers qui jaillissent à droite, à gauche, droit devant, juste derrière. Il faut enjamber, sauter, bondir, s'élancer, contourner, toujours à la course au dernier moment. Le cœur fou, comme un tambour qui vibre à grands coups, les muscles poussés à bout, l'esprit tendu, en se faisant à chaque instant roussir le poil, brûler le bout des ailes et de la queue, une seule idée en tête : fuir !

Les adultes se remémorent, la gorge serrée, la disparition d'un père, d'une mère, d'enfants, de familles entières. De journées angoissantes et interminables, submergés dans un lac, une rivière, une mare d'eau, à bout de souffle et de forces, angoissés, priant pour qu'éclate un orage ou que le vent tourne de bord ; des recherches désespérées dans un cimetière hérissé de troncs calcinés pour retrouver un être cher, un vestige d'habitation, un peu de nourriture, un coin vert pour se coucher, se reposer.

- Ne vous tracassez donc pas, grogne le porc-épic se hérissant. Nous aurons de la pluie bientôt et tout reviendra à la normale. Allez ! Faites-moi confiance. Ne soyez pas superstitieux. Regardez, les aurores boréales qui dansent dans le ciel. C'est bon signe. Il pleuvra sous peu.

- Oui ! Oui... reprit le premier le grizzli pour faire oublier son enthousiasme de tout à l'heure pour les beaux jours. La Grande Ourse est renversée dans le ciel, elle brille comme jamais, il pleuvra sur la terre, j'en suis sûr !

La voix monotone et posée du porc-épic avait toujours pour effet de rassurer tout le monde et de les ramener à la réalité.

Le caribou relance à nouveau la conversation.

- Je vous l'ai toujours affirmé et je vous le répète ce soir : tout compte fait, on est mieux l'hiver que l'été !

- Oh !

- Mais voyons donc !

- Oui, bien sûr !

- Jamais de la vie !

- Des sottises ! Encore des sottises !

- Ca dépend...

- Quelle idée !

Des éclats de protestation fusent de tous bords et de tous côtés. Dans le feu de l'action, certains se sont même levés, le bec ou le museau en l'air, frémissant, les ailes déployées, les plumes gonflées, le poil courroucé, les poings fermés, les griffes sorties, les babines tremblantes..

- Tu parles pour toi ! Tu te débrouilles bien dans la neige avec tes longues pattes et tes gros sabots fourchus. Tu peux piocher ta nourriture, hurle le loup gris sur un ton plaintif Mais moi, l'hiver, j'en arrache. Je n'ai rien à manger. Je reste pris dans la neige molle, Les tempêtes, le verglas. Pouach !

La perdrix penche plutôt du côté du caribou. On lui fait remarquer que tous ne peuvent pas marcher sur la neige comme elle, qu'elle n'est pas objective, en d'autres mots, qu'elle ferait mieux de se taire...

- C'est bien vrai, criaille-t-elle tout haut, en regardant ses ergots larges et poilus qui la supportent sur la neige comme des raquettes.

Le lièvre, comme d'habitude, ne fut pas pris au sérieux et pour cause. Il ne savait pas trop de quel côté donner de la tête. Il aimait bien se vêtir de son duveteux manteau tout blanc, l'hiver... Mais d'autre part, sa robe brune d'été, plus légère, couleur de terre, lui seyait bien aussi. Il piétinait sans arriver à se décider. Parfois, il couinait.

- Oui ! Oui ! Le caribou, l'orignal, la loutre ont raison.

Mais tout de suite après, il applaudissait la bernache et le canard en tapant le sol de ses pattes arrières.

Pof ! Pof ! Pof !

L'ours, la marmotte rigolaient.

- Moi, gronde l'ours, ça ne me dérange pas et l'hiver, je dors comme mon amie la marmotte. Personne ne l'entendit.

- De toute façon, affirme l'outarde de sa voix enrhumée, hurlant à tue-tête pour se faire entendre dans la cohue, moi, je migre, je fuis la neige, le vent, la glace, les eaux froides. Vive l'été, le soleil, les plages ensoleillées. Vous devriez tous m'imiter.

Le huart, seul dans son coin, observait de loin et en silence ses amis qui criaient, hurlaient, piaillaient, caquetaient, cancanaient, grognaient, sifflaient, meuglaient, jappaient, coassaient, miaulaient, calmaient, s'invectivaient...

Au beau milieu de la conversation, alors que tous s'animaient dangereusement, que le ton avait atteint son paroxysme, que certains étaient prêts à se tirer les cheveux, à s'arracher les poils, à se plumer, même à se mordre à belles dents et à se griffer, un vieil homme aux longs cheveux gris se leva et commença à distribuer à chacun une écuelle d'écorce de bouleau remplie d'une odorante soupe fumante au riz sauvage.

C'était déjà le petit matin qui pointait à l'horizon. Les animaux et les humains se léchaient les babines.

- Mmmmummmm que ça sent bon.

On se rapprocha du feu. Le cercle se resserra.

- Votre soupe chaude arrive à point, meugle doucement à l'oreille du serveur un vieil orignal barbu qui avait du panache.

Dans un grand élan d'amitié, il posa sa patte sèche et velue sur l'épaule de l'homme.

- Merci ! Je commençais à avoir froid, dit-il, froid dans le dos et ce charivari me crevait les tympans. Ouf !

Maintenant plus sereins, coude-à-coude, côte-à-côté, flanc contre flanc, se réchauffaient mutuellement, les humains et les animaux. Le calme était revenu et chacun partageait ce repas communautaire si réconfortant.

- Mentou1, ta soupe est délicieuse.

- Oui ! Oui ! Très bonne, glapit le renard entre deux lapements retentissants.
Slap ! Slap !

- Si tu nous racontais une histoire pendant que nous mangeons ? suggéra raton laveur en lavant le fond de son bol à grands coups de langue.

Le vieil orignal balança son panache en guise d'approbation et pour encourager Mentou d'accepter, ajouta :

- Ne te fais pas prier, ça calmera les esprits encore échauffés.

- Mentou, raconte-nous un récit de nos ancêtres, brame le chevreuil à queue blanche qui lui non plus, nerveux, n'aimait pas les sautes d'humeur de ses compagnons.

Tous approuvèrent bruyamment en piétinant ou en battant des ailes. Les humains aussi insistaient en applaudissant, car ils aimaient bien leur grand-père Mentou et ils en étaient fiers. Il connaissait tant de choses surprenantes !

Mentou pensait intérieurement qu'un jour, ces discussions aussi animées iraient trop loin et que cela finirait malheureusement dans le chaos et que peut-être elles conduiraient à la bagarre. Qu'arriverait-il alors de l'amitié entre les êtres humains et les animaux ?

- Bon ! Bon ! C'est d'accord. Écoutez-moi bien, je vais vous raconter ce que mon grand-père me révéla il y a bien longtemps de cela.
- Bravo ! Bravo ! cajole bruyamment le geai gris qui aimait tellement Mentou qu'il le suivait partout. Il était devenu un fidèle compagnon de l'homme.

Au même moment, un petit vent frisquet, arrivé de l'est, agaça les convives, les tenaillant, les pinçant dans le cou, aux cuisses, sur les flancs... Mentou endossa son mackinaw2.

Le vent inspira Mentou qui décide de profiter de la circonstance pour donner une leçon à sa façon aux humains et aux bêtes de la terre.

Que va-t-il leur raconter ?

- Uuuuuuuuuuuu, souffle Mentou, le conteur.

- Uuuuuuuuuuuu, imitant le vent entre ses lèvres serrées, les bras déployés et tournant en rond autour du feu...

- Uuuuuuuuuuuu, comme un grand oiseau.

- Uuuuuuuuuuuu, le vent violent vient vite, sans s'annoncer.

- Uuuuuuuuuuuu.

Mentou souffle sur l'assistance en tournant autour.

- Mon grand-père me racontait qu'il y a quatre vents, comme il y a quatre directions opposées.

Il pointe du doigt là où se lève le soleil, là où il se couche, là d'où vient la chaleur, là où habite l'esprit malin, au pays de Windigo mangeur d'animaux et d'humains.

- Les vents sont des frères qui vivent ensemble, au centre de la terre, dans une grotte sans fond, humide et sombre, couverte de glace, même l'été, remplie de bruits étranges et forts qu'aucune oreille ne peut supporter bien longtemps sans mourir. De longs glaçons hérissent le sol et pendent à la voûte, comme des chicots glacés.

- Mon grand-père est descendu sous terre en secret, sans se faire voir. Il y a vécu la peur de sa vie, il n'y est jamais retourné ! C'est lui qui m'a raconté cette histoire en tremblant encore de frayeur, claquant des dents, glacé jusqu'aux os.

Les frères Vents sont des géants d'une force terrible. D'un seul souffle uuuuuuuuuuuu ! ils pouvaient anéantir les animaux, les humains, les arbres et les plantes.

Mentou montre de sa main ouverte ce qu'il y a autour.

- Toute la nature serait bouleversée si les vents ne s'équilibraient pas. C'est pour cela qu'ils sont enfermés dans une caverne de roc. Sans cela...

¤¤¤

L'aîné, Vent du Nord, est énorme, rond, gonflé comme une boule. On l'appelle souvent « Cœur plein de poils ». Il porte une longue barbe qui pousse sur tout son corps. Elle est remplie de glaçons qui dégouttent tout le temps Pluk ! pluk ! laissant des mares d'eau froide sur son passage.

Quand Vent du Nord parle, ses paroles sortent givrées de sa bouche. On peut les voir flotter un instant dans les airs, en suspension, blanches et cassantes comme des cristaux, puis, elles s'effritent et éclatent par terre sur le roc. Crac !

Lorsqu'il se fâche, ses lèvres épaisses s'arrondissent, se retroussent, se prolongent, tordues. C'est à ce moment-là qu'il sort la tête de la caverne et crache des avalanches de neige et de glace qui s'envolent dans les airs, déboulent la pente, recouvrant toute la terre.

- Oh ! Mais c'est effrayant !

- Brrrrrr, j'en ai les os glacés.

- Et moi, des frissons dans le dos, caquette la marmotte frileuse en claquant des dents.

- Heureusement, Bonhomme Nord est une personne sage et équilibrée. Il veut avant toute chose, protéger la vie de tous les habitants de la terre. Sa tâche n'est pas facile et son frère Sud vient souvent à sa rescousse.

- Mais... vous savez, leur confie Mentou, tout bas, Sud, deuxième de la famille, coincé entre son grand frère Nord et son jeune et impétieux frère Ouest est un grand timide ! Il a le cœur gros et la larme à l'œil facile. Il veut plaire à tous, être poli, obligeant, déranger le moins possible. Il se confond en excuses pour un rien, rougit de honte au moindre regard, blêmit sans raison apparente, s'isole, se retire sans dire un mot...

Sud a l'allure d'un grand courant d'air vaporeux, Il a presque toujours les bleus, souvent le cafard. Il erre en peine en rasant les murs de sa caverne. Lorsqu'il sort à son tour la tête du trou, ses longs cheveux blonds flottent sur les monts. Il souffle doucement FFFFFFF, s'amusant à sécher la terre, réchauffer les habitants. Il lui arrive parfois de somnoler d'aise et de chauffer... chauffer... jusqu'à ce que tout soit sur le point de rôtir. Mais un frère envieux le jette brusquement dans le trou sombre et prend sa place. Sud disparaît alors sans protester... en marmonnant.

- Ah ! s'indigna un canard.

- Sud aussi, dans le fond de son cœur, veut le bien de la nature. Mais il n'arrive pas toujours à s'affirmer, à se faire entendre de ses frères.

- Pourtant, leur chante-t-il souvent de sa voix doucereuse, nous sommes de la même famille. Pourquoi sommes-nous si différents les uns des autres ? Comme il n'y a jamais de réponse à ses questions et que ses frères lui tournent le dos, font la sourde oreille ou se moquent de lui, le grand vent du Sud se remet à errer... vaporeux, ébouriffé.

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- Ouest est celui des quatre qui a le plus mauvais caractère. Il est imprévisible, intenable, intempestif. Nord et Sud doivent toujours l'avoir à l'œil et réparer ses frasques. Dodu, bedonnant, ronflant, bon vivant, les joues roses, débonnaire, on croirait un gros tourbillon, parfois rouge de colère, pâle de frayeur, noir de rage, tantôt gai, tantôt taciturne, vociférant constamment contre tout et rien, généreux à l'excès, il lui arrive de suffoquer comme s'il allait tout à coup manquer d'oxygène. Il bouscule alors ses frères et passe sa grosse tête chaude et luisante hors de la caverne pour chercher son souffle.

Les trois autres le connaissent bien et savent qu'il vaut mieux ne pas intervenir. Ça ne ferait qu'empirer la situation ! De toute façon, tout ce qu'entreprend le vent d'Ouest ne dure pas et il s'apaise aussi vite qu'il s'est emballé. Un vrai feu de broussailles !

¤¤¤

Mentou s'arrête, respire profondément, regarde son auditoire attentif droit dans les yeux.

- L'Est ! Ah mes amis ! L'Est c'est autre chose ! Jeune, agressif, un dur de dur celui-là ! Grand, sec, fort, têtu et polisson comme pas un, sournois en plus. En retrait, les paupières toujours plissées, de petits yeux ronds nerveux, scrutant tout jusqu'au fond des entrailles, on dirait une lame de couteau, le vif reflet d'un rayon de soleil sur un lac gelé. Il frappe par derrière, quand on s'y attend le moins. Il s'amène en douce le matin, très tôt, ou en toute fin de journée, jamais en plein jour. Il se cache derrière un nuage de sable, une bourrasque de neige, une traînée de feuilles mortes.

Il les pousse en tas puis vrouuuuuummmmm vous les plaque en pleine face en riant et se sauve.

Lorsque vent d'Est sort de son antre, c'est à pas de loup, sans faire de bruit. Il s'acharne sur les plus malheureux, les plus démunis. Il s'infiltre dans les moindres fissures, tourne autour de sa proie, la harcèle, la pique, la mord aux endroits les plus vulnérables qu'il connaît en grand spécialiste.

Les hommes, les femmes, les mâles et les femelles qui écoutent Mentou sont sidérés.

- S'il n'y avait qu'un vent, ajoute Mentou, nos vies seraient en péril. Heureusement, ils sont quatre et ils s'équilibrent. L'un n'allant pas sans l'autre.

- Uuuuuuuuuuuu, suivez mon conseil, souffle le Nord à ses frères, ajoute le vieil homme, chacun aura son tour ; sinon, les hommes et les animaux seraient détruits et ce serait la désolation sur la terre.

- C'est ainsi que nous vivons tous ensemble, me disait mon grand-père : l'un aidant l'autre, l'un réparant les erreurs de son frère. C'est un exemple d'harmonie que nous donne la nature. Nous habitons un pays où chaque saison a son utilité, où chacun a sa place et peut être lui-même en respectant l'autre.

- C'est bien vrai ! se disent les humains et les animaux.

Mentou était satisfait. Il avait réussi à réconcilier ses amis les humains et les animaux. Il se demandait cependant combien de temps cette paix fragile allait durer. Les animaux et les humains ont la mémoire si courte.

À l'est, le soleil se levait, enveloppé d'épais nuages bleus, un arc-en-ciel s'étirait du bout du lac à la montage.

- L'arc-en-ciel porte chance, lance Mentou. Demain il pleuvra sur toute la forêt et nous serons heureux.

Les humains et les animaux s'étaient endormis, collés les uns aux autres.

Au loin, l'étoile du matin se couchait à son tour.

1 . Variante de manitou.

2. Emprunt de l'algonquin (micmac). Michillimakinac, nom de lieu qui signifie « Grosse Tortue » ; par extension, peut désigner une chemise, un manteau, un veston.