Contes
merveilleux
La Belle Perdrix verte
Adapté d’un conte populaire.
Ce conte merveilleux met en scène
Ti-Jean ( voir l’introduction de Ti-Jean et le Cheval blanc). Le débrouillard
par excellence, qui déjoue toutes les embûches et finit par
épouser la princesse. Ici, on rencontre la perdrix verte : dans
un autre contexte, cet oiseau a dû être tout autre : mais au
Québec, la gélinotte huppée, que l’on nomme communément
« perdrix », est très abondante et fait le bonheur des
chasseurs.
Un vieux et une vieille
étaient très pauvres. Ils avaient trois garçons en
âge de gagner leur vie. Un jour, le père dit à ses
fils :
- Choisissez-vous chacun un métier.
Le fils aîné choisit d’être cordonnier
ce qui réjouit ses parents.
Le deuxième dit :
- Moi, je veux être ferblantier.
- Fort bien. Et toi, Ti-Jean ? dirent les parents
s’adressant au plus jeune.
- Moi, je serai chasseur.
- Chasseur ! s’écria le père. Mais
tu ne gagneras rien. C’est un métier de paresseux.
- C’est mon choix, répliqua Ti-Jean. Si je
tue un gros gibier...
Les parents tentèrent de le faire changer
d’avis, sans succès. Le lendemain Ti-Jean partit à la chasse.
Il visa un lièvre, le manqua et se mit à le poursuivre dans
le sous-bois.
- Hé ! Ti-Jean, ne tire pas sur moi, fit soudain
une voix. Inquiet, Ti-Jean regarda autour de lui. Il vit, juchée
sur un rocher, une perdrix... verte. Il n’en croyait ni ses yeux ni ses
oreilles. Une perdrix verte qui parlait !
- La perdrix lui dit :
- Oui, je suis une perdrix. J’étais une belle
et riche princesse mais une tante-fée m’a changée en perdrix,
Si tu voulais faire ce que je te dis, un jour, tu deviendrais mon mari
et tu serais riche et heureux.
Ti-Jean se dit que l’occasion était trop belle
pour refuser.
- Que dois-je faire ? demanda-t-il.
La perdrix, lui indiquant la tour d’un château
au loin, lui dit :
- Ce soir, tu te rendras au château. À
vingt-et-une heures, sept diables arriveront pour jouer à la balle-au-camp
et ils se serviront de toi comme balle. Après ça, tu seras
en charpie mais je viendrai te soigner et tu comprendras mon pouvoir. Ta
famille va tout faire pour t’empêcher de partir. Surtout, ne parle
pas de notre rencontre.
De retour chez lui, Ti-Jean est mal accueilli :
- Tu ne rapportes rien ! Tes frères, eux,
ont travaillé et gagné chacun une piastre. Ce soir, tu te
coucheras de bonne heure pour aller te faire engager pour faucher.
- Non, répliqua Ti-Jean. Cette nuit, je coucherai
dans le bois où je poserai des pièges.
Malgré la mauvaise humeur des parents, Ti-Jean
n’en fit qu’à sa tête. Le soir venu, il s’en alla dans la
forêt et marcha dans la direction indiquée par la perdrix,
vers le château. Il entra, fit le tour des salles qui étaient
richement décorées et ne trouva personne. Puis il monta le
grand escalier, trouva une chambre confortable et s’y installa. Il attendit
en somnolant.
Tout à coup, il entendit du bruit et des voix
:
- Où est caché ce grain de sel ?
- Montons, il doit être en haut.
Ti-Jean s’éveilla tout à fait et attendit
en tremblant. La porte s’ouvrit et il vit entrer sept petits diables musclés
et aux yeux brillants. Ils s’emparèrent de lui et l’emportèrent
dans la grande salle d’en bas.
- Ah ! la bonne partie qu’on va faire.
Toute la nuit, les diables jouèrent en se
servant de Ti-Jean comme d’une balle. Ti-Jean, frappé, rebondissait,
était frappé encore. Tous ses membres lui faisaient mal mais
il ne laissait rien paraître. Enfin, les diables s’enfuirent, le
laissant évanoui sur le sol.
À l’aube, une jolie fille vêtue de vert
se pencha sur lui et il ouvrit les yeux.
- Ti-Jean, c'est moi, Perdrix verte.
- Que vous êtes belle !
- Je te l’avais dit, fit la princesse en soignant
miraculeusement ses blessures. Maintenant, écoute-moi. Demain matin,
je serai ici, devant le château avec mon carrosse et nous partirons
ensemble de l’autre côté des mers. Attention, sois en avance,
car mes chevaux filent comme le vent et ne s’arrêteront que dix secondes.
- J’y serai, fit Ti-Jean, qui se sentait entièrement
guéri.
- Prends ce mouchoir qui m’appartient. Cache-le sur
toi et sois prudent. À plus tard.
Et la princesse s’en alla. Ti-Jean retourna chez
lui, encore une fois les mains vides, mais le cœur rempli d’espoir. Ses
parents et ses frères rirent de lui en le voyant arriver bredouille.
- Ce soir, dit sa mère, tu ne vas pas coucher
dehors encore une nuit !
- Au contraire, fit Ti-Jean : je dois aller visiter
mes pièges. Sa mère, à bout d’arguments, décida
de verser dans le thé un somnifère pour l’empêcher
de partir. Ti-Jean but le thé sans se méfier et peu après
tomba profondément endormi.
Il s’éveilla pourtant à trois heures
du matin, la tête lourde, et se mit aussitôt en route. Il arriva
au rendez-vous devant le château et s’assit sur un gros rocher. La
fatigue le gagna peu à peu et il s’endormit de nouveau. À
quatre heures précises, un carrosse s’engagea dans l’allée.
La perdrix verte était à bord et lui fit signe de monter
; mais Ti-Jean dormait et le carrosse continua son chemin au grand désespoir
de la princesse qui prit soin, en passant, de glisser sa bague au doigt
de Ti-Jean.
Ti-Jean s’éveilla et vit au loin la poussière
des roues. Il comprit qu’il venait de rater sa chance. Mais en voyant la
bague qu’il avait au doigt, Ti-Jean reprit courage et se dit qu’il fallait
qu’il allât à la recherche de la perdrix verte coûte
que coûte.
- Je vais marcher, marcher jusqu'à ce que
je la retrouve, même si je dois traverser les mers.
Et Ti-Jean se mit en route. Il marcha trois jours
et trois nuits et arriva au bord de la mer. Là, près d’une
tour qui semblait abandonnée, il entendit une voix dire :
- N’aie pas peur ! Approche, je sais qui tu cherches.
Ti-Jean approcha de la tour et entra. Il découvrit un homme assis
dans un fauteuil qui lui dit :
- Je suis le roi des oiseaux et je sais que tu cherches
la belle perdrix verte.
- Ah ! fit Ti-Jean, étonné, vous l’avez
vue passer ?
- Non, dit le roi des oiseaux, mais ceux qui m’ont
annoncé ta visite doivent l’avoir vue. Je vais appeler mes oiseaux.
Le roi siffla et soudain la tour se remplit d’oiseaux de toutes sortes
et de toutes couleurs, auxquels le roi demanda :
- Avez-vous vu la belle perdrix verte ?
- Non, répondirent les oiseaux. L’aigle peut-être...
- Où est l’aigle ? dit le roi. Pourquoi n’obéit-il
jamais ? Et le roi siffla de nouveau. Dans un grand bruit d’ailes, un immense
aigle arriva et, se posant sur la fenêtre, dit :
- Ah ! mon roi, j’étais de l’autre côté
des mers quand j’ai entendu votre appel. Je causais avec la belle perdrix
verte qui me parlait avec tristesse du jeune homme qu’elle a dû abandonner
de ce côté-ci des mers. Et voilà que sa tante, la mauvaise
fée, l’oblige à épouser le prince galeux...
Ti-Jean écoutait ces mots et son cœur battait
fort.
- La belle perdrix verte doit se marier dans quatre
jours, continua l’aigle.
- Je suis Ti-Jean, le jeune homme dont elle parle,
dit Ti-Jean. C’est moi qui devais la rejoindre. Mais comment aller au-delà
des mers en quatre jours ? Aucun bateau ne pourra faire ce voyage en si
peu de temps.
- Je ne vois qu’une solution, dit le roi des oiseaux.
Si l’aigle voulait bien te porter jusque-là...
- Ô puissant aigle, implora Ti-Jean, voudrais-tu
me conduire auprès de la belle perdrix verte?
- Si j’avais trois jours de repos, je le pourrais
sans peine. Mais...
- Il faut que tu essaies. Le temps presse. Le sort
de la belle perdrix verte est en jeu !
- Je veux bien essayer, mais je t’avertis, fit l’aigle,
je suis un gros mangeur ! Il me faut beaucoup de provisions.
Le roi des oiseaux procura de la viande à
Ti-Jean qui partit en se cramponnant aux plumes du grand aigle.
- Quand je crierai « hap ! » tu
me nourriras.
L’aigle partit et bientôt survola la mer. Puis
au bout de longues heures de vol, le
« hap! » retentit. Mais il n’y avait plus de viande
dans la gibecière de Ti-Jean. Alors, les forces de l’aigle déclinèrent
et l’aigle et son voyageur tombèrent dans les vagues. Heureusement,
ils étaient tout près du rivage et ils purent bien vite se
mettre au sec. Ils aperçurent un château au loin. C’était
justement celui de la belle perdrix verte.
Ti-Jean courait déjà quand l’aigle
dit :
- Pas si vite. As-tu oublié le prince galeux
? Je ne t’ai pas conduit ici pour te voir échouer bêtement.
Personne ne croira que tu aies pu traverser les mers en si peu de temps.
Alors, écoute mes conseils.
Ti-Jean s’arrêta et, malgré son empressement,
écouta l’aigle.
- D’abord tu vas te présenter au château
et demander à voir l’intendant. Tu lui demanderas s’il n’a pas besoin
de quelqu’un pour...
Ti-Jean fit ce que lui recommandait l’aigle. Il se
présenta au château et se fit engager comme cuisinier, car
de grands banquets étaient prévus pour célébrer
le mariage de la princesse avec le prince galeux.
Au château, la princesse se désolait.
Elle se mit à observer le nouveau cuisinier et se rendit compte
qu’il portait au cou un mouchoir brodé. En l’observant de plus près,
elle acquit la certitude que ce mouchoir était celui qu’elle avait
donné à Ti-Jean avant son départ.
- Comment ce cuisinier a-t-il pu l’obtenir ? demanda
Perdrix verte à sa mère.
- Je n’en sais rien, dit la reine. Ça me semble
impossible.
- Allez-donc lui demander son nom, dit Perdrix verte
à sa servante.
Celle-ci revint en disant :
- Le cuisiner refuse de dire son nom. Il dit qu’il
vient de l’autre côté des mers. Il ne veut dire rien d’autre.
- Oh ! fit la princesse. Il est plutôt insolent.
Mais c’est peut-être lui quand même.
- Voyons, dit la reine, comment aurait-il pu traverser
les mers en si peu de temps ? Vous voyez bien que ce n’est pas lui.
Perdrix verte restait songeuse, soudain elle dit
:
- Quelle bonne odeur arrive de la cuisine ! J’aimerais
bien un peu de cette tarte aux pommes qui embaume le palais.
La servante apporta la tarte entière à
table et la reine et la princesse se servirent de belles portions. La tarte
semblait terriblement appétissante.
- Tiens ! fit la princesse en mordant une part. Il
y a quelque chose dans la tarte...
Et elle retira une bague, la bague même qu’elle
avait glissée au doigt de Ti-Jean le matin de son départ
en carrosse. Elle s’écria :
- Maman ! C’est Ti-Jean. Voilà la preuve éclatante
de son identité.
Et la belle Perdrix verte s’en alla en courant à
la cuisine où s’affairaient les marmitons et le cuisinier.
Toute la cour, alertée par la reine, descendit
aux cuisines.
Ti-Jean raconta enfin ses aventures à tout
le monde, depuis le début.
Le lendemain furent célébrées
les noces de Perdrix verte, non pas avec le prince galeux, mais avec Ti-Jean,
qui avait franchi les mers sur le dos de l’aigle. Le prince galeux, de
dépit, retourna dans ses terres et on le revit jamais.
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