La princesse au grand nez
Adapté d'un conte populaire. Les contes populaires transmis par les vieux avaient leurs sources dans les contes des provinces de France d'où venaient les colons. Mais, au fil des ans, ils subirent bien des transformations. Un roi avait trois fils. Avant de mourir, au bout de son âge, le roi leur dit: - À ma mort, vous irez dans mon écurie. Vous y trouverez un vieux bol. Secouez-le et ce qui en tombera sera votre héritage. Quand le roi meurt, les fils vont à l'écurie. Le plus vieux prend le bol et le secoue. Il en tombe une bourse et sur la bourse ces mots sont écrits : « Chaque fois que vous mettrez la main dedans, vous aurez cent écus » Le prince dit à ses frères : - Ca y est, ma fortune est faite ! Le deuxième secoue le bol. Il en tombe un cornet. Sur le cornet, c'est écrit : « Soufflez par un bout et vous aurez cent mille hommes à votre service. Soufflez par l'autre bout et vous n'aurez plus rien. » Le deuxième fils est bien content de son sort. Le troisième, Petit-Jean secoue le bol. Il en tombe une ceinture. Sur la ceinture, c'est écrit : « Mettez la ceinture sur vous et ce que vous souhaiterez, vous l'aurez. » Petit-Jean dit aux autres : - Ma fortune est faite, moi aussi. Je sais où je vais aller. - Où donc ? demandent les frères. - Chez la princesse du Tomboso, répond Petit-Jean. Les deux princes savent qui est cette princesse,
dont ils ont entendu parler comme étant plus belle que la lune.
Mais ils ne l'ont jamais vue et ils ne possèdent pas de ceinture
magique. Alors une grande jalousie s'empare d'eux, ils disent à
leur jeune - Tu vas te faire voler ton bien ; la princesse est sans doute plus ratoureuse que toi. - Pas de danger, dit Petit-Jean. Avec ma ceinture sur moi, je pourrai toujours revenir ici. Et en disant ces mots, il boucle sa ceinture et fait le souhait de se trouver auprès de la princesse du Tombose. Pouf ! le voilà parti. Jean se retrouve instantanément dans une chambre du château aux côtés de la princesse dont la beauté l'éblouit. La princesse pousse un cri et dit : - Êtes-vous envoyé du ciel ou de la terre ? - Je suis un homme de la terre et je vous rends visite, dit Jean. - Mais comment avez-vous pu entrer chez moi sans alerter les gardes? - C'est très simple. Je porte une ceinture qui me transporte où j'ai envie d'être. Je lui ai dit: « Emmène-moi dans la chambre de la princesse du Tomboso », et elle m'a transporté ici. - Je ne peut vous croire, dit la princesse, c'est impossible. - Bien, vous allez voir, déclare Petit-Jean. Aussitôt il fait le souhait d'être dans une autre chambre et il disparaît. Puis, il fait le souhait de revenir chez la princesse et il reparaît. - C'est extraordinaire ! s'écrie la princesse. Quel est votre nom ? - Petit-Jean, on me nomme. - Petit-Jean, prêtez-moi votre ceinture magique pour voir si elle peut agir pour moi aussi. - Non, non ; je ne peux pas. - Petit-Jean, je vous en prie, fait la princesse en l'implorant et en le regardant de ses yeux doux. Petit-Jean se laisse séduire et lui rend sa ceinture. Elle la boucle aussitôt à sa taille et pouf ! la voilà partie dans la chambre du roi son père. - Père ! Un scélérat se trouve dans ma chambre qui veut me ravir l'honneur. Le roi, fou de colère, envoie sa garde dans la chambre de la princesse. Les gardes saisissent Petit-Jean, le ruent de coups de la tête aux pieds et lorsqu'ils le croient sept fois mort, ils le jettent au bord du chemin. C'est là qu'il demeure pendant trois jours et trois nuits. Enfin, au bout de ce temps, il reprend ses esprits. « Si je rentre à la maison, mes frères vont m'achever, c'est certain », pense-t-il. Mais Petit-Jean meurt de faim et ne sait où aller. Alors, il prend la route du retour. Le soir, les deux frères voient un pauvre bougre sur le chemin qui mène au château. Ils reconnaissent Petit-Jean et se doutent bien de la perte de sa ceinture. Ils lui lancent des menaces et des injures. Mais Petit-Jean entre quand même au château tandis que L'aîné dit : - On va t'enfermer dans une chambre le reste de tes jours ! On ne peut avoir confiance en toi. Et l'aîné fait ce qu'il dit. Pendant tout un mois, les deux princes tiennent Petit-Jean enfermé. Puis un jour, il dit à celui qui a la bourse : - Si tu voulais me prêter ta bourse, j'irais racheter ma ceinture, à la princesse. - Je n'ai aucune confiance en toi qui as perdu ta ceinture, dit le frère. Ah ! non, tu n'auras pas ma bourse ! - Mais écoute d'abord mon plan. Je vais dire la vérité à la princesse et je vais lui proposer d'acheter ma ceinture. Si elle me dit que je n'ai pas de quoi payer, je ferai sortir des écus de ta bourse jusqu'à ce qu'elle soit satisfaite. Je remplirai sa chambre d'écus jusqu'au plafond s'il le faut ! Et, puisque ta bourse est toujours pleine...je finirai par y arriver ! Le frère grogne. À la fin, il accepte tout en prévenant son frère : - Si jamais tu perds aussi ma bourse, cette fois, tu mourras. - Ne t'en fais pas, je réussirai, assure Petit-Jean qui reprend goût à la vie. Petit-Jean prend donc la bourse de son frère et retourne au château de Tomboso. En arrivant là-bas, il demande à voir la princesse. Elle accepte de le recevoir. - Bonjour, princesse, dit Petit-Jean. Je viens reprendre ma ceinture. - Votre ceinture ? Quelle ceinture ? dit la princesse. - Je sais que vous l'avez toujours. Je vais vous donner beaucoup d'écus pour la racheter. - Beaucoup d'écus ? En as-tu donc tant que ça, Petit-Jean ? demande la princesse en riant. - J'en ai assez pour remplir votre chambre, jusqu'au plafond, répond Petit-Jean. - Ah ! comment peux-tu mentir de la sorte ! Même mon père n'aurait pas assez d'écus pour en recouvrir le plancher de cette chambre, s'écrie la princesse. - Ah ! mais moi j'ai une bourse ici, une bourse magique qui donne autant d'écus que je veux . Et Petit-Jean ouvre la bourse, y plonge la main, et aussitôt cent écus roulent sur le plancher. La princesse ouvre de grands yeux. - Avec une bourse pareille, il est vrai, vous pouvez racheter n'importe quelle ceinture, dit la princesse, pensive. Mais ferait-elle de même, si j'y mettais ma main ? - Sans doute, répond Petit-Jean. - Donnez-la-moi un instant et je vous rends votre ceinture, dit la princesse. - C'est impossible, fait Petit-Jean. Mais la princesse, ratoureuse* comme pas une, fait tant et tant que Petit-Jean lui tend la bourse. Et comme elle a la ceinture magique autour de la taille elle fait le souhait d'être chez son père. - Tiens ! fait le roi. Te voilà ? - Vite, mon père, dit la princesse. Il y a encore ce scélérat dans ma chambre qui m'importune ! Les gardes surgissent, rouent Petit-Jean de coups comme la première fois et quand ils le croient sept fois mort, ils le jettent du haut de la muraille hors du château sur une route poussiéreuse. Pendant sept jours, il reste couché sans manger ni boire. Il reprend ses esprits et songe à retourner chez les siens. Mais il sait que, cette fois, ses frères le tueront. Piteux et affamé, il décide de reprendre la route quand même. Les frères, qui se doutent de sa déconfiture, le voient arriver, tout plein de poussière et la mine basse. - Tu as perdu la bourse, dit l'aîné ! Alors, tu vas rester dans la cheminée. Tu auras un os à ronger et un cruchon d'eau. Rien de plus, pour le reste de tes jours. Pendant un mois, Petit-Jean reste dans la cheminée. Puis un jour, il dit à son frère qui possède le cornet : - Si tu voulais me prêter ton cornet, j'irais reprendre ma ceinture et la bourse de notre frère. - Si tu penses que je te fais confiance ! Jamais ! s'écrie le frère du milieu. - Mais ne crains rien, fait Petit-Jean, je n'irai pas chez la princesse. Elle ne pourra pas me prendre le cornet. Je resterai plutôt dans la ville et je soufflerai dans le cornet. J'aurai cent mille hommes à mon service ; j'assiègerai la ville et après, je reprendrai mes biens. Le frère grogne un peu mais doit se rendre à l'évidence : le plan a du bon sens. Finalement, il prête son cornet à son frère qui le met sous son bras et part à la ville. Il entre par la grande porte et souffle dans le cornet. Cent mille soldats se présentent qui demandent : - Que désirez-vous, maître ? - Assiéger cette ville, répond Petit-Jean. À ce moment, vient justement à passer par là le roi et sa fille dans leur beau carrose doré. Ils sont surpris par la présence de ces nombreux soldats. Et, surtout, la princesse est très étonnée de voir qui est à la tête des troupes. Petit-Jean s'avance vers eux et dit à la princesse : - Remettez-moi ma ceinture et ma bourse, sinon j'assiège la ville et je vous fais passer au fil de l'épée ! - Ah ! Grand Dieu ! s'écrie la princesse. Je vous remets votre bien. Mais comment avez-vous fait, mon général, pour réunir tant d'hommes sous vos ordres en si peu de temps ? - Ce n'est rien, fait Petit-Jean, je n'ai que la peine de souffler dans mon cornet et cent mille hommes arrivent à mon service. - Un tel pouvoir dans un petit cornet ! s'étonne la princesse. Je ne vous crois pas. - Attendez donc ! Et Petit-Jean souffle dans un bout du cornet. Aussitôt les champs se vident. Les soldats disparaissent. Puis, il souffle de l'autre côté, l'armée reparaît. Il souffle encore, elle disparaît. - Arrêtez ! arrêtez ! crie la princesse. Je vous rends vos biens. Elle détache la ceinture de sa taille, prend la bourse et s'approche de Jean. - Mais, dit-elle, je voudrais voir si c'est pareil quand c'est moi qui souffle. Et encore une fois, Petit-Jean cède et la princesse souffle dans le cornet. Aux cent mille hommes qui lui demandent : « Que désirez-vous ? », elle répond : - Prenez cet homme, marchez sur lui jusqu'à ce qu'il soit mort. À ces mots toute l'armée marche sur lui et le voilà aplati par cent mille hommes. Il reste là un mois, sur le sol et finalement, la connaissance lui revient. Cette fois, pas question de revenir chez ses frères, il ne lui reste plus qu'à mourir. Il se lève lentement et se met à marcher dans un petit sentier dans le bois. Il arrive près d'un marais et au bord il voit un pommier chargé de fruits. Pas très loin du pommier, il reconnaît un prunier qui ploie sous les prunes. Il pense : « Avant de mourir, je vais au moins me rassasier de pommes et de prunes. » Alors, il se traîne jusqu'à l'arbre et arrive, malgré sa faiblesse, à grimper sur une branche. Il mange une pomme qu'il trouve délicieuse. Puis, une autre et une autre. Et tout à coup, il s'aperçoit que son nez a tellement poussé qu'il touche par terre. - Tonnerre ! dit-il, je vais mourir avec un long nez. Et il se traîne avec son nez énorme vers le prunier. Et là, il se met à manger des prunes qu'il trouve sucrées et juteuses. Et soudain, il se rend compte que son nez rapetisse à vue d'oeil et que, après trois prunes, il est comme avant. Un nez ordinaire. « Tiens, se dit-il, on mange une pomme, le nez grandit. On mange des prunes, le nez rapetisse. C'est vraiment une bonne affaire ! » Au lieu de se préparer à mourir, il tresse deux paniers avec les joncs, qu'il remplit de pommes et de prunes. Et le lendemain matin il se dirige vers la ville et s'en va au marché sur la place. L'une des servantes de la princesse du Tomboso est là pour acheter des fruits pour elle. Elle voit les pommes et les prunes toutes fraîches : elle en achète et les rapporte au château. La princesse est ravie et elle se met à manger des pommes. Et son nez se met à grandir tant et tant qu'elle marche dessus et trébuche. Elle finit par se coucher dans son lit avec son nez qui traîne par terre. Le roi est prévenu de la maladie de sa fille. Vite il fait venir le médecin. Le médecin arrive au chevet de la princesse. Il prend son pouls et le trouve normal. Il dit au roi : - La princesse a une maladie bizarre car son pouls est normal et elle n'a pas de fièvre. Puis s'adressant à elle il demande : - Montrez-moi votre langue. La princesse, qui se cachait le visage et surtout le nez dans ses oreillers, refuse de se montrer. Elle crie et hurle et dit que le médecin est un bon à rien et qu'il l'a insultée. Alors, on jette le médecin dehors. Pendant ce temps, Petit-Jean rôdait près des portes du château. Il voit sortir le médecin et lui dit : - Monsieur le docteur, je pense que je peux guérir la princesse. Prêtez-moi donc votre manteau et votre chapeau noir. Le docteur les lui prête et Petit-Jean, qui porte un panier de prunes couvert d'herbes à son bras, dit aux gardes : - Laissez-moi voir la princesse : je suis médecin et j'ai ici les herbes qui peuvent la guérir. On fait entrer Petit-Jean avec son panier. Il prend le pouls de la princesse et dit la même chose que le médecin précédent. - Faites-moi voir votre langue. Et la princesse refuse, la tête toujours cachée dans les oreillers. Petit-Jean insiste et la princesse se soulève pour appeler ses servantes. Et alors Petit-Jean saisit la princesse par les épaules et écarte les oreillers. - Ah ! s'écrie Petit-Jean, voilà votre mal, princesse, un nez géant ! La princesse est furieuse et veux le faire jeter dehors mais, prenant une prune de son panier, il la lui tend : - Mangez cette prune tout de suite, dit-il d'une voix autoritaire. La princesse mange la prune et son nez rapetisse de quelques centimètres. - Vous voyez, je vais vous guérir. Mais votre maladie est aggravée par autre chose. - Par quoi donc ? demande la princesse. - Par le fait que vous avez des objets qui ne vous appartiennent pas et qui enlèvent tout pouvoir à mes remèdes. Si vous ne me les remettez pas, je ne peux vous guérir. - Ah ! fait la princesse, j'ai une petite ceinture de rien du tout, justement. Et elle la remet au médecin qui lui fait manger une autre prune. Son nez rapetisse encore mais il n'est pas parfait. - Mais vous avez encore en votre possession un autre objet qui n'est pas à vous. - Ah ! celui-là je ne vais pas vous le donner. - Bon, je m'en vais, dit Petit-Jean. Ma médecine ne peut vous sauver. La princesse se ravise et, à contrecoeur, elle donne la petite bourse au médecin qui lui fait manger une autre prune. Son nez rapetisse encore de quelques centimètres mais il n'est pas parfait. - Et maintenant, fait Petit-Jean, il reste encore un autre objet que vous avez et que vous devez me remettre. - Oh ! il y a bien un petit cornet de rien du tout que m'a remis un jeune homme. Mais je ne crois pas... - Alors, adieu princesse. - Voilà, voilà, fait la princesse en lui remettant le cornet. La princesse mange une autre prune et son nez rapetisse encore. Il est moins long qu'avant mais il mesure encore un bon pied. - Je ne suis pas tout à fait guérie, s'écrie la princesse en tâtant son nez. - Oh ! c'est ce que je peux faire de mieux, dit le médecin en enlevant son manteau et son chapeau noir. La princesse reconnaît alors Petit-Jean mais il est trop tard, Il lui dit : - Je vous quitte maintenant, princesse du Tomboso. Vous m 'avez volé tout mon bien et, pour vous en remercier, je vous laisse un pied de nez. Désormais on vous appellera la princesse du pied-de-nez. Petit-Jean sort du château avec la ceinture, la bourse et le cornet et pouf ! il retourne chez ses frères qui l'accueillent à bras ouvert. Et moi, j'ai marché toute la nuit pour venir, ici, vous raconter cette histoire. |