Contes merveilleux


L’Oiseau vair


Adapté d’un conte populaire.

Pour sauver une princesse prisonnière d’un oiseau ravisseur de jeunes filles, il faut beaucoup d’astuce. En réunissant leur habileté quatre frères finiront par avoir gain de cause. Ce conte met en évidence l’ingéniosité dont doivent faire preuve les jeunes gens et il a connu plusieurs variantes dans les campagnes du Québec où l’on a toujours admiré non seulement l’adresse et la bravoure mais, dans certains cas, une ruse sans pareille qui s’approche de la filouterie.

Il était une fois un roi qui était bien malheureux. On le voyait toujours tout seul errant comme une âme en peine. Quand sa femme vint à mourir, il était déjà miné par le chagrin si bien qu’il ne lui restait plus une larme pour la pleurer.

Les gens savaient bien pourquoi le roi était si triste ; il n’arrivait pas à se consoler de la disparition de sa fille chérie. On savait que, même s’il ne prononçait jamais son nom, il ne pouvait l’oublier. Voici comment la fille du roi avait disparu, dans des circonstances plus que mystérieuses.

La princesse avait été demandée en mariage plusieurs fois mais elle avait refusé tous les prétendants. Et un bon jour, elle avait disparu.

Le roi se torturait les méninges. L’un des prétendants l’avait-il enlevée ? Où était-elle? En prison quelque part ? Et si elle avait été complice de cette disparition ? Le roi se posait beaucoup de questions qui restaient sans réponse.

Un jour, il fit la rencontre d’un vieil homme qui, pour son âge, paraissait alerte et gaillard. Il lui demanda :

- Qu’est-ce qui vous met en train et de si bonne humeur ?

- Je viens d’apprendre le retour de mes quatre garçons, dit le vieux.

- Qui sont donc vos quatre garçons ? demanda le roi.

- Sire, vous les connaissez sûrement ! fit le vieil homme. Le plus vieux, c’est Fin Devineur. Le deuxième, Fin Voleur. Le troisième Fin Tireur et le plus jeune, Fin Ramancheur*.

Le roi, qui avait consulté tous les tireurs d’horoscopes et les sorciers du pays, se dit, en entendant ce nom de Fin Devineur, qu’il avait intérêt à le consulter s’il voulait retrouver sa fille.

- J’aimerais bien voir vos quatre garçons, dit-il au vieux.
Emmenez-les donc au palais.

À l’heure dite, le roi fit préparer pour eux un grand festin et il envoya à leur rencontre son carrosse et son équipage. Les quatre garçons et leur père furent reçus en grande cérémonie. Après les avoir régalés à sa table, le roi les fit passer dans ses appartements et leur déclara :

- Si vous pouvez deviner ma peine et si vous êtes capables de m’en délivrer, je vous promets en retour une belle récompense.

Fin Devineur regarda le roi dans les yeux et dit :

- Sire, vous pleurez votre fille que vous avez perdue. Je sais où elle est, votre fille, et je vais vous le dire tout de suite. Il y a dans le monde un homme qui était bien méchant et que sa marraine-fée a chassé de son pays. Elle l’a transformé pour le punir en oiseau vair et il vit dans une forteresse construite à même le roc dominant la mer.

Pour se venger de son mauvais sort, poursuivit Fin Devineur, l’oiseau vair s’en prend aux jeunes filles. Je sais qu’un soir, il est venu rôder aux alentours de votre domaine. Et il a vu votre fille qui se promenait dans le jardin. Il l’a trouvée si belle qu’en un éclair il a foncé sur elle et qu’il l’a prise dans ses serres. Il l’a emportée vers une destination que personne ne connaît sauf Fin Devineur.

Et en disant ces paroles il pointa du doigt son front, il enfla la voix et dit :

- Le repaire de l’oiseau vair est à des milliers de lieues d’ici.

La princesse est emmuraillée dans un cachot de sorte qu’elle ne peut se sauver.

Le roi, en entendant ces mots, fut bouleversé. Il était au désespoir de savoir que sa fille était enfermée sous pareille garde. Il décida donc sur-le-champ de la donner en mariage à celui des quatre qui la lui ramènerait vivante.

- Je vous équiperai d’un navire que je ferai charger de provisions pour toute la durée du voyage, promit-il.

- Le voyage pourrait durer des années, répliqua Fin Devineur, car le repaire de l’oiseau vair est très loin.

Mais le roi tint sa promesse et les quatre garçons s’embarquèrent sur le navire équipé, à la recherche de la fille du roi. Après des semaines et des mois de navigation, après des tempêtes où ils faillirent périr, ils aperçurent enfin un rocher très haut qui dominait la mer. La nuit venue, grâce à la lueur de la lune, ils longèrent des falaises et s’arrêtèrent en face de la tour.

Une lumière brillait là-haut à la lucarne grillagée de fer.

- C’est bien là le cachot de l’oiseau vair. Nous voilà rendus, se dirent-ils.

Fin Voleur, qui avait l’habitude de rôder la nuit, grimpa au mât. Il y grimpa au mât. Il y grimpa jusqu’au bout et aperçut le visage d’une jeune fille appuyée à la vitre du cachot. Il redescendit vivement et trouva une lime et une échelle de corde. Puis, il déroula l’échelle qu’il fixa au bateau et il remonta jusqu'à la tour. Mais la princesse avait éteint sa lampe. Depuis qu’elle était enfermée chez l’oiseau vair, c’était la première fois qu’elle voyait de près un homme vivant. Elle se cacha du mieux qu’elle put car sa frayeur était immense. Quel malheur allait encore lui arriver ? Fin Voleur se mit à limer les barreaux du cachot. Il dégagea une ouverture en silence et la princesse finit par oser le regarder. Elle lui trouva un air honnête et obligeant. Mais ce n’était pas un temps pour les galanteries.

Fin Voleur lui expliqua vite le but de sa présence et pria la jeune fille tremblante de le laisser faire comme il l’entendait. Là-dessus, il sauta dans la pièce sombre, lui jeta un manteau sur les épaules et la pria de se pendre à son cou. Ainsi chargé, il descendit dans l’échelle de corde. La princesse osait à peine souffler, de peur de faire manquer le pas à son sauveur et de dégringoler dans la mer. Tous les deux finirent par gagner le navire où les attendaient les trois autres frères.

La princesse, malgré sa joie, redoutait l’oiseau vair. Elle s’empressa de dire aux quatre frères :

- L’oiseau vair ne dort pas plus de deux heures. S’il se réveille et s’aperçoit que je viens de déserter, il va me reprendre. Alors, dépêchez-vous de partir d’ici.

- N’ayez pas peur, dit Fin Voleur, il ne vous rattrapera pas ! Rassurée, la princesse leur confia :

- Aussitôt que l’oiseau vair sera en vue, vous le viserez sous l’aile gauche. Il a là une petite tache blanche.

À son tour, Fin Devineur multiplia les commandements :

- Toi, Fin Ramancheur*, tiens-toi prêt. Tandis que Fin Tireur se préparera à tirer, toi, si quelque chose se casse ou se brise, tu le répareras.

- L’oiseau vair, en effet, est capable de tous les dégâts, prédit la jeune fille.

Et tout se passa comme prévu. Le bruit du navire en partance réveilla l’oiseau vair qui, constatant la disparition de sa belle captive, entra dans une colère terrible. Il s’élança à leur poursuite.

Une tempête se déclencha qui amena un vent violent et des coups de tonnerre effrayants. La fille du roi tremblait d’effroi tandis que le ciel était zébré d’éclairs. Fin Tireur se préparait à tirer l’oiseau vair malgré la houle et, heureusement, un éclair lui permit de repérer, sous l’aile gauche de l ‘oiseau, la fameuse tache dont la fille avait parlé. Fin Tireur visa et tira. Aussitôt l’oiseau vair poussa un cri effrayant et tomba. Mais avant d’atteindre la mer, son corps vint frapper l’avant du bâtiment et cassa le mât en deux. Le navire se mit à pencher et tout semblait perdu. Fin Ramancheur*, qui attendait le moment de se rendre utile, répara les dégâts en un tour de main. Le navire portant la princesse et ses sauveteurs reprit la mer pour retourner au pays.

Le pays les accueillit avec joie. On célébra leur retour et l’on invita les quatre frères à raconter leur chasse à l’oiseau vair. Le roi était si content de revoir sa fille qu’il ordonna une grande fête.

Puis, il commença à penser à sa promesse. Il avait beau tourner et retourner dans sa tête les faits et les exploits de chacun des frères, il n’arrivait pas à fixer son choix sur l’un des quatre. Lequel aurait sa fille en mariage ?

Il se dit : « Sans Fin Voleur, la clairvoyance de Fin Devineur n’aurait servi à rien. Sans Fin Tireur, l’oiseau vair aurait repris ma fille et regagné la tour où il l’aurait enfermée encore une fois. Et que dire à cette heure de Fin Ramacheur* qui les a sauvés d’un naufrage certain en réparant le vaisseau à temps ? »

À la fin, le roi décida de s’en remettre au jugement de sa fille puisque, après tout, c’était bien elle qui était la première intéressée dans l’affaire et c’était son bonheur à elle qui était en jeu.

Questionnée par son père, la fille du roi se répandit en compliments sur la vaillance de celui qu’elle avait aperçu en premier et qui, pour la sortir du cachot, avait grimpé jusqu'à elle sur une échelle de corde.

- Quand Fin Voleur est apparu au clair de lune, je l’ai trouvé tout de suite si grand et si beau ! s’écria-t-elle.

Alors le roi accorda à Fin Voleur la main de sa fille. Quant aux trois autres, Fin Devineur et Fin Ramancheur*, qui avaient été aussi braves à leur manière, ils reçurent du roi un château et beaucoup d’argent.