Contes
Merveilleux
Ti-Jean, le violoneux
Adapté d’un conte populaire.
Nous retrouvons ici Ti-Jean (voir
l’introduction de Ti-Jean et le Cheval blanc), le héros par excellence
des contes du Canada français. Les péripéties de ces
contes sont identiques à celles de contes populaires très
anciens en provenance d’Europe.
De génération en génération,
les conteurs ont actualisé ces récits même s’ils ont
pour décor un lieu imaginaire. Il est amusant de retrouver ici la
soupe aux pois qui est l’un des mets traditionnels des paysans québécois.
Un roi avait une fille. Elle était d’une grande
beauté et ne manquait pas d’intelligence. Le roi était enchanté
de sa fille et il voulait lui trouver un mari à sa mesure. Il fit
publier un édit annonçant que celui qui pourrait faire un
discours qui mettrait sa fille dans l’embarras, de sorte qu’elle ne trouve
pas de réponse, aurait sa fille en mariage. De partout, des seigneurs
se rendirent chez le roi pour converser avec la princesse. Ceux qui ne
réussissaient pas à l’embêter étaient mis en
prison pour un an et un jour.
Un seigneur du voisinage avait trois fils. Les deux
plus âgés étaient brillants et instruits. Le plus jeune,
Ti-Jean, qui manquait de finesse, agissait comme serviteur des deux autres.
Les deux plus vieux dirent :
- Allons chez le roi parler à la princesse.
- Faites attention à ce que vous allez dire,
leur dit leur père. Rappelez-vous que la prison du roi est pleine
!
- N’importe, allons-y ! dirent les fils.
Lorsqu’ils furent partis, leur frère les suivit
en cachette. Il savait qu’il fallait trois jours pour se rendre chez le
roi. Seule la curiosité motivait son déplacement. Il voulait
savoir ce que ses frères allaient faire une fois à destination.
Le premier soir, après la journée de
voyage, les deux frères aînés entrèrent dans
une maison pour demander l’hospitalité. Ti-Jean entra dans une maison
voisine pour ne pas se trouver avec ses frères. Car eux avaient
de quoi payer leur logis tandis que lui n’en avait pas. Il s’en fut trouver
les domestiques.
- Je n’ai pas de quoi payer votre hospitalité,
dit-il, mais je peux travailler pour vous.
Les domestiques, qui avaient beaucoup de travail
à faire, furent d’accord. Ti-Jean se mit à travailler vif
comme le vent. Les domestiques enchantés de son ardeur à
la tâche voulurent le garder toujours avec eux. Mais il refusa. Le
lendemain matin, il partit pour suivre ses frères qui étaient
déjà en route. Les serviteurs, qui l’appréciaient
beaucoup, lui dirent :
- Tiens ! Voilà une petite serviette ; mets-la
dans ta poche. Quand tu auras faim tu n’auras qu’à désirer
n’importe quoi et tu l’auras tout de suite.
Ti-Jean les remercia et s’en alla. Il marcha encore
une journée entière en suivant ses frères. Le soir,
il s’arrêta encore à la maison voisine de celle où
s’étaient arrêtés ses frères. Il alla trouver
les domestiques. Il leur expliqua qu’il n’avait pas d’argent mais qu’il
pouvait travailler pour les aider. Les domestiques furent bien contents
car il travaillait vite et bien.. Le lendemain matin, au moment de les
quitter, l’un d’eux lui dit :
- Tiens ! Voilà une petite bouteille. Quand
tu auras soif, tu n’auras qu’à souhaiter de l’eau ou du vin et tu
l’auras. Ti-Jean était ravi. Il les remercia en s’écriant
:
- Avec ça, je m’arrangerai bien !
Puis, il partit. Ses frères étaient
toujours devant lui. C’était la dernière journée de
marche avant d’arriver chez le roi. Le soir venu, il fit comme il avait
déjà fait : il alla voir les domestiques et leur proposa
de le garder à coucher en échange de travaux de jardinage.
Il travailla vite et bien et le jardinier-chef fut très content
de lui. Le lendemain, il lui donna un petit violon en disant :
- Tu vas aller en prison comme les autres. Tu joueras
de ce violon. Tu amuseras les autres à les faire danser et chanter.
Ti-Jean le remercia et suivit ses frères qui s’en allaient rencontrer
la princesse. Elle les attendait sur le perron du palais.
Ti-Jean se cacha pour écouter les paroles
qu’ils échangeaient. Ses deux frères firent des discours
pour tenter d’embêter la princesse mais elle était si vive
et futée qu’elle trouvait toujours une réponse ou une réplique
à leurs dires. On les mit en prison, séance tenante, avec
tous les autres éconduits.
Ti-Jean s’approcha à son tour mais au lieu
de parler à la princesse, il la menaça du poing. Et il lui
lança une série d’injures lui reprochant d’avoir fait emprisonner
ses deux frères. La princesse fut tellement surprise de ce comportement
qu’elle resta bouche bée. Ti-Jean l’avait véritablement embêtée.
Et elle n’avait plus de voix pour répliquer quoi que ce soit. On
avertit le roi de ce qui s’était passé.
- Tu vas épouser ce garçon puisqu’il
t’a embêtée, déclara le roi en se rendant auprès
d’elle.
Mais Ti-Jean refusa et demanda plutôt d’aller
en prison. Le roi, plein de dépit, accéda à sa demande
malgré sa mauvaise humeur.
Quand Ti-Jean arriva dans la prison, il vit bien
que tous les prisonniers étaient en larmes. Il les questionna.
- Nous n’avons pas mangé depuis trois jours,
dirent les prisonniers.
- Avez-vous faim ? demanda Ti-Jean.
- Quelle question ! Bien sûr que nous avons
faim !
Ti-Jean sortit sa serviette de sa poche, l’ouvrit
et dit :
- Demandez ce que vous voulez manger.
Le premier prisonnier dit :
- Un poulet rôti et du gâteau.
Le poulet et le gâteau apparurent par magie.
Ti-Jean réussit à calmer la faim de tous les prisonniers.
Puis, il décida de les faire boire. Il saisit sa petite bouteille
et dit :
- J’aimerais du bon vin.
Le vin coula à flots et les prisonniers en
burent tant et tant qu’à la fin ils étaient soûls.
Ils riaient et ils étaient très gais. Alors, Ti-Jean décida
de les faire danser.
Il sortit son violon et se mit à jouer. Les
prisonniers se mirent à danser et à chanter bruyamment. Le
roi entendit le bruit et les chants. Il appela ses servantes et leur demanda
:
- Qu’avez-vous donné à manger aux prisonniers
aujourd’hui ?
- De la soupe aux pois mais ils n’en ont pas voulu.
- Allez leur porter encore à manger : ils
font tant de bruit que je pense qu’ils deviennent fous ! s’écria
le roi.
Les servantes allèrent au cachot porter de
la soupe aux pois dans de grands chaudrons : mais dès qu’elles entendirent
la musique du violon elles lâchèrent leur fardeau et se mirent
à danser. Le roi voyant la soupe renversée se fâcha
et courut après les servantes. Mais dès qu’il arriva tout
près, il se mit à danser lui aussi. Tous ensemble dansaient,
dansaient en compagnie des prisonniers qui, comme les autres, ne semblaient
pas pouvoir s’arrêter de danser.
La reine s’aperçut de ce qui se passait. Le
bruit et les chants lui cassaient les oreilles. Elle décida d’aller
trouver ses gens pour leur dire de se taire car tout le village était
réuni à la porte de la prison pour écouter les gens
danser et chanter. Mais lorsqu’elle fut à deux pas de son mari et
de ses servantes, elle ne put s’empêcher de se mettre à danser
à son tour. Et tout à coup le roi se rendit compte que c’était
Ti-Jean qui jouait du violon et qui les entraînait tous dans la danse.
Il s’écria :
- Ti-Jean ! Arrête donc de jouer de ton violon
et je te donnerai la princesse et la moitié de mon royaume.
- Ce n’est pas assez, répondit Ti-Jean tout
en continuant de jouer. Videz la prison. Renvoyez tous ces gens chez eux,
sinon je continue de jouer...
Le roi donna l’ordre d’ouvrir les portes de la prison
et il renvoya tout le monde. Quand tout le monde fut parti, Ti-Jean arrêta
de jouer. Deux jours plus tard il épousa la princesse et, ensemble,
ils eurent une belle et longue vie.
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