Histoires
de la nature
Fier Champignon du
bois
Texte de Cécile Gagnon, adapté
d’un conte amérindien, extrait du recueil L’herbe qui murmure,
© éditions Québec /Amérique Jeunesse, collection
Clip, Boucherville 1992, 94 p.
Sur la plus haute branche
d’un bouleau blanc à l’orée de la forêt vivait Lappiltawan
ou Fier Champignon du bois, le polypore du bouleau. Tous les animaux de
la forêt connaissaient l’existence de Fier Champignon du bois. Les
insectes de toutes les familles l’appelaient « mon cousin »
et lui rendaient souvent visite. Tous les matins, au lever du jour, il
chantait une petite chanson :
Lappiltawan
Lappiltawa
Welchlatonebit.
Ce qui voulait dire :
Fier Champignon du bois
Fier Champignon du bois
Bouche qui rit.
C’était une chanson un peu étrange,
mais pour tous les habitants de la forêt, elle annonçait le
début de la journée.
- Lève-toi ! Lève-toi, criait le merle.
- Le jour est là, là, là ! disait
la mésange.
- Pressez-vous ! Éveillez-vous ! Levez-vous,
criaient les oiseaux en choeur.
- Au travail ! hurlait l’écureuil roux.
Et tous les membres de sa grande famille, Écureuil
gris, Écureuil noir, Polatouche, Petit Tamia, se mettaient à
la recherche de faines, de glands et de noix.
- Que serions-nous sans Fier Champignon du bois ?
demanda Bourdon à la guêpe.
Chaque matin, au lever du jour, il nous réveille
avec sa chanson, et quand le soleil descend derrière les montagnes,
il chante encore pour nous signaler l’arrivée de la nuit.
Bourdon, qui n’avait pas grand-chose à faire,
s’envola vers le bouleau. Il alla dire à Fier Champignon du bois
combien sa présence était essentielle à la survie
de tous, ce qui le fit rougir de plaisir de tous les pores de son chapeau.
Un jour, Écureuil roux interrompit sa cueillette
de faines, de glands et de noix pour grimper jusqu’en haut du bouleau où
vivait Fier Champignon du bois.
- Depuis quand vis-tu ici ? demanda-t-il.
- Depuis aussi loin que je me souvienne, répondit
Fier Champignon du bois.
- Ca fait trop longtemps, dit Écureuil roux,
qui voulait le chasser pour habiter le grand bouleau blanc avec sa famille.
Il se mit à ronger la grosse branche où se tenait Fier Champignon
du bois.
- Ne fais pas ça ! s’exclama Fier Champignon
du bois. Cette branche est ma maison. C’est ici que je veux vivre et chanter.
-Trouve-toi un autre arbre, dit Écureuil roux
en redoublant d’ardeur.
- Non ! Je ne peux pas déménager. Personne
n’entendra ma chanson si je change de domicile.
- Pas d’importance ! s’écria Écureuil
roux tout en continuant de ronger la branche.
Fier Champignon du bois prit peur. Il appela :
- Au secours ! Au secours ! Venez à mon aide
! Je veux rester dans le bouleau blanc et chanter ma chanson.
Ses cris furent entendus par une famille de guêpes
qui avait construit son nid au bout de la branche où vivait Fier
Champignon du bois. Les guêpes accoururent et, voyant ce qu’Écureuil
roux était en train de faire, elles l’attaquèrent avec rage
et le piquèrent si fort qu’il perdit pied et roula par terre.
- Va-t’en ! Va-t’en, et laisse Fier Champignon du
bois tranquille, crièrent les guêpes, sinon nous te piquerons
jusqu’à la mort !
La nouvelle de cette attaque ne tarda pas à
se répandre dans la forêt. Les écureuils affolés
décidèrent de convoquer une réunion du conseil.
- Comment les guêpes ont-elles osé attaquer
Écureuil roux ? lança Écureuils gris.
- Parce qu’Écureuil roux a tenté de
déloger Fier Champignon du bois de sa maison dans le bouleau blanc,
répliqua l’un des tamias.
- Tais-toi ! Petit tamia ! lança Polatouche.
Personne ne veut ton opinion.
- Il ne faut pas croire tout ce qu’on entend, dit
Écureuil noir, Les guêpes sont des menteuses.
- Écureuil roux aussi est un menteur, répliqua
un autre tamia.
- Si vous continuez à dire des stupidités,
dit Polatouche aux tamias, on vous chasse du conseil de guerre !
Les tamias se turent et les écureuils votèrent
pour déclarer la guerre. Ils commencèrent par accomplir leur
rituel, c’est- à-dire qu’ils dansèrent la danse de guerre,
et lorsqu’elle prit fin, ils se dirigèrent vers le bouleau blanc
où vivait Fier Champignon du bois.
Par bonheur, le tronc de ce bouleau blanc n’était
pas très gros. Seulement deux ou trois écureuils pouvaient
y grimper ensemble. Les autres membres du conseil de guerre devaient attendre
en bas.
Quand Fier Champignon du bois vit les écureuils
se bousculant et se poussant au pied de son arbre, il pensa que sa dernière
heure était arrivée.
- À l’aide ! À l’aide ! À l’aide
! se mit-il à crier.
Soudain, couvrant les voix et la rumeur des bousculades,
on entendit un bruit sourd, un murmure persistant et continu. Les insectes
étaient aussi sur le sentier de la guerre !
Les guêpes avaient, elles aussi, réuni
leur conseil et tous, guêpes, frelons, abeilles, bourdons, mouches
noires et maringouins étaient en marche. En armée serrée,
ils fondirent sur les écureuils.
- Laissez Fier Champignon du bois tranquille ! hurlaient-ils.
Il n’a fait aucun mal. Eloignez-vous de sa maison ! Ouste ! Et ils enfoncèrent
leur dard dans la peau des écureuils, piquant et bourdonnant sans
relâche jusqu'à ce que ces derniers s’enfuient.
Là-haut dans le bouleau, Fier Champignon du
bois observait les combattants et attendait. À la fin les insectes
dirent :
- N’aie plus aucune crainte, petit cousin. Nous serons
toujours là pour te défendre et te protéger.
Ce soir-là, à la tombée du jour,
Fier Champignon du bois chanta sa petite chanson comme toujours :
Lappiltawan
Lappiltawan
Welchlatonebit.
Ou :
Fier Champignon du bois
Fier Champignon du bois
Bouche qui rit
Et tous les êtres de la forêt reconnurent
le signal annonçant l’arrivée de la nuit et comprirent que
Fier Champignon du bois était toujours vivant et bien à l’abri,
haut perché dans son grand bouleau blanc.
Encore aujourd’hui Fier Champignon du bois chante
toujours au lever et au coucher du soleil, mais seuls les habitants de
la forêt peuvent l’entendre et comprendre son message.
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