Histoires de la nature

Les Messagers de l'hiver

Texte de Cécile Gagon.

Ah ! l'hiver ! Il commence parfois fin novembre et dure au moins jusqu'en avril. Les tempêtes peuvent laisser de 40 à 60 centimètres de neige au sol et les températures atteignent parfois - 30 °C. Le vent soulève la neige et la fait poudrer ce qui rend la visibilité nulle sur les routes : c'est ce qu'on appelle la poudrerie.

Mais l'hiver au Québec ne cause pas que des désagréments. Le ciel est si bleu, le soleil si ardent sur la neige que les paysages sont magnifiques. Et les Québécois ont apprivoisé cette saison en passant leurs heures de loisir dehors. Tous les sports d'hiver sont à la portée de la main : ski, patinage, hockey sur glace, raquette, glissades, motoneiges et même la pêche qu'on pratique en faisant des trous dans la glace.

Dans le petit parc voisin de sa maison, Martine apporte tous les jours des miettes de pain aux oiseaux. Aujourd'hui, il n'y a plus d'oiseaux autour des branches nues. Martine sait que la plupart sont partis dans les pays du soleil et que les autres se cachent à l'abri du froid.

Tout à coup, au-dessus du vieil orme, elle voit venir un grand oiseau bleu qui se pose doucement sur une branche. Il est plus grand que les geais et les gros-becs. Ses grandes ailes sont frangées de vert et il a une crête bouclée sur la tête et un long bec jaune. Jamais Martine n'a vu son pareil. Tandis qu'elle se tient immobile pour l'admirer une voix dit :

- Bonjour !

« Est-ce l'oiseau qui parle ? » se demanda Martine.

L'oiseau bleu ouvre ses ailes et soudain la neige se met à tomber. Des centaines de flocons recouvrent sa tête, ses épaules, ses mains. La même voit dit encore :

- Je suis Nivolina, messagère de la neige,

- C'est toi qui fais tomber les flocons ? demande Martine.

- C'est juste ! Regarde !

En battant des ailes, l'oiseau fait naître une vraie chute de neige tout autour de l'arbre. Elle recouvre les trottoirs, les rues, les toits des maisons du village et enfin, les champs, les prés et les forêts au loin. Martine suit des yeux le vol de l'oiseau bleu et regarde le paysage se transformer. Elle applaudit en s'écriant :

- Ah ! c'est toi qui fais l'hiver !

- Ce n'est pas moi toute seule, répond l'oiseau en revenant vers le parc. Si tu veux je vais te raconter comment vient l'hiver.

Dans le nord du pays vit le Grand Esprit de l'Hiver. Chaque année, à cette époque, il envoie vers le sud trois messagers : Nivolina, c'est moi ; Frigo, le messager du froid et Ventou, le messager du vent du nord. À nous trois, on fait l'hiver.

Moi, j'arrive en premier, continue Nivolina. Le froid et le vent, quand la neige n'est pas là, c'est un peu triste. Quand je viens d'abord, les gens sont contents. La neige est douce et réjouit le cœur : elle fait oublier les glaçons et les poudreries.

- Tu as une tâche épatante ! dit Martine à l'oiseau.

- C'est vrai. Mais Frigo, lui, n'est pas très apprécié. Quand le froid s'installe, les gens sont maussades.

Justement un souffle froid fait frissonner Martine. Au-dessus d'elle, un oiseau vert au bec pointu zigzague dans le ciel gris. Il vient se poser sur l'arbre dans un bruit sec de glaçon qui craque.

Martine demande :

- Qui es-tu?

- Je suis Frigo, le messager du froid.

Martine s'écrie :

- Ah ! Vas-tu poser des glaçons ? J'en voudrais un gros au bord de ma fenêtre.

- Bien sûr que je vais t'en faire un, mais je dois d'abord geler les ruisseaux et les patinoires et mettre du givre aux carreaux.

- L'hiver dernier mes fenêtres étaient pleines de broderies de glace. C'était donc toi ?

- C'était moi! Mais... tu m 'empêches de travailler. Attention ! Je vais te frigorifier !

Martine a beau enfoncer ses mains dans ses poches, ses doigts se glacent. Son nez est déjà rouge. Il va falloir rentrer. Elle quitte le parc à contrecoeur, ravie quand même d'avoir entendu une belle histoire et d'avoir fait la connaissance de deux oiseaux assez exceptionnels. Elle court vers son logis en songeant : « Demain, l'autre messager arrivera sans doute. » Ce soir-là, Martine sort du gros coffre sa tuque*, ses mitaines, sa longue écharpe et son anorak à capuchon. . L'hiver ne va pas tarder à arriver pour de bon.

En se réveillant le lendemain, Martine se rend compte que le messager du vent du nord est arrivé à son tour. On l'entend siffler à travers les fentes du toit et de la cheminée. Bravement, elle sort dans l'air glacial et cherche des yeux Nivolina et Frigo. Mais elle ne voit dans l'orme qu'un grand oiseau gris aux plumes ébouriffées. Il saute d'une branche à l'autre. En voyant Martine il lance :

- Tu veux un cyclone ? une tornade ? un ouragan ? Je suis là, Ventou, le messager du vent du nord, pour barrer les routes et ensevelir les maisons. Mais où sont donc les autres ? Un sifflement aigu retentit dans le ciel. Après quelques minutes, Frigo apparaît et se pose sur l'arbre à quelque distance de Ventou. Ils attendent tous les deux en silence mais l'oiseau bleu n'arrive pas. Ventou siffle encore. Rien

- Où donc est-elle passée ? s'inquiète Frigo. L'as-tu vue ?

- Nulle part

Martine qui les écoute se sent toute triste. S'il fallait que la neige ne revienne plus, ce serait épouvantable ! Et voilà qu'elle entend un toc ! toc ! toc ! qui vient d'en haut. Elle lève la tête et regarde partout, puis elle aperçoit un éclair bleu traverser la fenêtre du grenier.

- Nivolina !

Martine court et entre dans la maison ; elle monte au grenier à toute vitesse et là, ouvre la fenêtre.

- Merci Martine de me secourir, lui dit Nivolina. La fenêtre était entrouverte quand je suis entrée pour me reposer. Mais le vent l'a refermée et je ne pouvais plus ressortir.

- Que je suis contente de t'avoir trouvée. Ventou et Frigo te cherchent.

- J'y vais ! fait l'oiseau qui s'envole vers le parc.

Martine s'élança dehors et retrouve les trois oiseaux près du vieil orme. Les trois messagers sont réunis et ils font leurs projets pour la soirée. Ventou propose :

- Viens avec moi, Nivolina, on va fabriquer une énorme tempête !

Martine les interrompt :

- J'ai quelque chose à vous demander. J'aime bien l'hiver mais trop de froid ou trop de vent, ça empêche tous les enfants de jouer dehors. Trop de neige, ça bloque les chemins et les grands sont furieux. Un peu des trois c'est merveilleux ! Voudriez-vous, cet hiver, essayer de vous entendre ?

- C'est d'accord, disent ensemble les trois oiseaux. À nous trois on fera le plus beau des hivers : pas trop froid, pas trop venteux et avec juste assez de neige.